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Publié le 12 novembre 2018 Mis à jour le 12 novembre 2018

Au secours, j'ai oublié ma langue maternelle !

Peut-on oublier sa langue maternelle ?

Attrition linguistique. Ce terme bizare ne vous dit rien ? Pourtant, c’est un phénomène bien réel, qui se définit, selon Wikipedia, par une « perte non pathologique d'une partie ou de la totalité d'une langue chez un bilingue», ou, plus simplement, c’est quand on oublie sa langue maternelle !

Pas possible, vous dites-vous ? Si ! Cela peut se voir chez les bilingues ou chez les enfants de moins de douze ans. Peut-on vraiment oublier la langue qu’on a apprise dès notre plus tendre enfance ? Est-ce un oubli temporaire ou permanent ? Y a-t-il des explications scientifiques ? Au final, perdre sa langue, n’est-ce pas un peu perdre de son identité propre ? C’est ce que nous vous proposons de découvrir aujourd’hui !

Être ou ne pas être bilingue

Si vous êtes bilingue ou si vous vivez depuis plusieurs années dans un pays où on parle une autre langue que la vôtre, vous avez sûrement déjà été confronté à ce problème dit « d’attrition linguistique. » En effet, à force d’utiliser tous les jours cette même autre langue, il est un peu normal qu’on en arrive à ne plus utiliser la sienne et donc, à se questionner parfois sur un mot.

Plus d’une fois j’ai pu voir ce phénomène avec mes étudiants en FLE. Ceux-ci, établis en France, au Québec ou en Suisse baignaient naturellement dans un contexte linguistique francophone et, au moment de s’exprimer sur tel ou tel point, ils étaient incapables de le retranscrire dans leur langue maternelle. Ce moment, troublant pour eux en général, les mettait dans une situation plutôt inconfortable. Combien de fois n’ai-je pas entendu l’un d’entre eux soupirer en disant : « J’ai oublié comment on dit dans ma langue…».

Ce n’est pas un problème intellectuel ou de mémoire, mais bien d’adaptation linguistique. Le cerveau est dorénavant profilé pour penser et réfléchir dans une autre langue, ce qui ne remet en rien ses aptitudes de mémorisation et de connaissance naturelles. Toutefois, cette espèce de « compartimentage linguistique » semble être plus accessible du côté de la nouvelle langue que de celle des origines.

Explication scientifique

Quand on est bilingue, le cerveau s’organise comme un module de contrôle pour nous permettre de choisir, au moment opportun, la langue à utiliser. Par exemple, un Français vivant aux États-Unis prendra rapidement l’expression « Oh, boy ! », mais la perdra quasi-immédiatement à son retour en France au profit de « Mon Dieu ! », la langue maternelle reprenant alors le dessus.

Le terme d’attrition linguistique vient du latin « attritio », qui veut dire « ablation, usure par l’action d’un frottement », phénomène tout à fait envisageable lors de la mise en concurrence de deux langues : celle qui est maternelle et celle qui est apprise. Le fait de solliciter davantage une des deux langues dans notre tête peut l’amener à devenir dominante, au détriment de l’autre, qui se retrouve alors reléguée à la seconde place et s’enfouit plus profondément dans la mémoire, créant alors une sorte de rouille qui empêche une bonne mobilisation de celle-ci.

Temporaire ou permanent ?

Nous avons vu que selon notre utilisation, l’une ou l’autre des langues connues devient dominante. Cependant, peut-on aller jusqu’à affirmer que l’autre disparaisse tout bonnement ? Oui et non. 

En effet, chez les enfants de moins de 12 ans, il a été prouvé que celle-ci peut être complètement oubliée. Selon une recherche menée par BBC News, avant cet âge, le cerveau étant flexible et malléable, une langue peut être aussi vite apprise qu’oubliée. C’est le cas notamment des enfants adoptés à l’étranger qui, bien qu’ils aient entendu leur langue maternelle pendant un certain laps de temps, sont complètement incapables de la comprendre ou de la parler, du fait de leur relocalisation. Ceci dit, dans un autre de mes articles, nous avons pu voir que ces mêmes enfants avaient davantage de facilités à réacquérir leur langue maternelle en l’apprenant, plus tard, comme une langue étrangère (voir Réminiscence linguistique, avril 2016). 

Par contre, qu’un adulte devenu bilingue perde complètement le souvenir de sa langue est un fait plus rare. Il peut temporairement ne plus retrouver le mot dans sa langue, mais il aura généralement le réflexe de le chercher afin de ne plus connaitre ce malaise rencontré à ce moment fatidique ! 

Haviva Pedaya

On pourra donc dire qu’on n’efface jamais complètement les traces de sa langue maternelle. Aussi loin soit-elle enfouie dans notre mémoire, elle est toujours là, bien cachée, mais prête à refaire surface si on lui en donne la possibilité. Justement, c’est en ayant été « privé » de leur langue maternelle que bien des enfants devenus adultes se mettent à vouloir la (re)découvrir.

On pense notamment aux autochtones, francisés, hispanisés ou anglicisés par la force des choses et qui ne rêvent que d’apprendre la langue de leurs ancêtres. Il en va de même pour une certaine partie de la population immigrante où, dans un souci des parents de vouloir accélérer et favoriser l’intégration linguistique de leurs enfants, font le choix de ne leur parler que dans la langue du pays d’accueil, tout en annihilant leur langue et culture d’origine (l’exemple des Juifs après la guerre qui ont abandonné le Yiddish au profit de la langue de leur nouveau pays). 

Enfin, depuis 1999, le 21 février est devenu le jour de la langue maternelle, afin de rappeler à chacun la valeur de ses origines et surtout l’importance de ne pas oublier sa langue maternelle, car après tout, « la langue, c’est l’âme et l’esprit des choses» (Haviva Pedaya)…

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