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Publié le 04 novembre 2018 Mis à jour le 04 novembre 2018

A la rencontre d’Ibrahim Njoya, le premier bédéiste africain

Les origines de l'album de bande dessinée au Cameroun et en Afrique

Trajectoire de l’auteur de la première BD camerounaise, Ibrahim Njoya

Né à Foumbam vers 1890, Johanes Yerima alias Ibrahim Njoya (nom obtenu suite à sa conversion à l’Islam en 1916), se fait remarquer au début du XXème siècle en réalisant des dessins sur le sable, représentant le Sultan Njoya avec Mama Kwandu, un des fils du roi, futur Nji Mama. Ce dernier l’introduira au Palais du Roi Bamoun où ils collaboreront avec Nji Fransawaya pour la création du célèbre alphabet Bamoun appelé Shu-mom. Lequel à l’origine était pictographique dans la mesure où on dessinait une forme ou figure à laquelle on attribuait un nom.

La première version de cet alphabet crée ex-nihilo par le Sultan Njoya, comportait 510 signes, tracés sur des planchettes avec du charbon de bois ou du jus tiré d’une liane. Cet alphabet fut l’objet de six modifications, améliorations et simplifications au cours de son utilisation, la dernière version datant de 1918. Ibrahim Njoya, considéré comme le meilleur artiste calligraphe du palais par le Sultan, aura donc participé à la simplification de cet alphabet.

Après avoir gagné la confiance du fils du roi, Nji Mama, il gagnera celle du Père, le Sultan Njoya. En 1908, ce dernier placera Ibrahim Njoya comme Moniteur de l’Ecole Royale « BamounSchule des HäuplingNdschoya[1] » à Foumbam, où il enseignera l’écriture Shum-mom.

Entre temps, Ibrahim Njoya continue à faire des dessins sur papier. Il dessine des portraits du roi, des dessins d’hommes, de femmes et de chevaux…

 Cependant, ces premières œuvres seront victimes du feu lors d’un incendie qui ravagea le palais royal en 1913. En 1917, pendant la reconstruction du palais royal, il dessine des motifs décoratifs pour orner les tissus de coton. En 1923, il dessine les décors des portes, des fenêtres et des balcons du palais royal dont la reconstruction était achevée.

De 1925-1945, il va multiplier les dessins au crayon comme à la gouache. Il dessine des portraits du Sultan, ainsi que des scènes de chasse et de combats comme celui qui a opposé les cavaliers peuls aux guerriers bamoun ou celui de la guerre Gbètngkom[2] qui entraina l’islamisation du royaume.

Au-delà des scènes de combat, il s’intéresse aussi aux rituels de danse comme la fête de « Nja » , dite fête de la beauté, qui marque le retour de la saison sèche. Il fait des dessins et des tableaux inspirés des légendes traditionnelles et qui retracent la migration du peuple Bamoun depuis la Syrie.

En 1932, il adapte deux contes sous des formes proches de la bande dessinée : La Grenouille et le Milan, Mofuka et le Lion. Toutefois, la Rate et les quatre ratons est considérée par Christophe Cassiau Haurie comme « incontestablement la première bande dessinée camerounaise ».

Ibrahim Njoya, un artiste exceptionnel hors de son époque.

Contrairement aux artistes contemporains de sa génération qui puisaient leur inspiration dans « l’univers des croyances et de la tradition », Njoya lui va plus loin. Il choisi de dessiner des scènes représentant la Mémoire même du royaume

Au regard de son approche innovante[3] et de ses production artistiques, Ibrahim Njoya se démarque comme étant un peintre, mémorialiste, dessinateur exceptionnellement talentueux pour son époque et surtout une figure capitale de l’histoire artistique camerounaise pendant la période coloniale.Il a laissé une œuvre abondante constituée de sculptures, dessins, calligraphies, tableaux qui se veulent la mémoire d’une époque et d’une société en partie disparue.Il est certainement une figure importe de l’historiographie de la bande dessinée camerounaise et africaine, un maillon essentiel entre les premiers essais de BD des années 20 et ceux des années 60.

Il est une figure dont le style mérite certainement plus d’attention que celle qui ne lui a été consacrée jusqu’à présent. En effet, Ibrahim Njoya, tout comme certains dessinateurs, caricaturistes et illustrateurs contemporains, fut rapidement l’objet d’oubli. Un oubli accéléré par l’absence de ses principales œuvres du patrimoine culturel national. Ses tableaux, dessins et sculptures ne sont visibles qu’en Europe, plus particulièrement au musée ethnographique de Genève (Suisse) et à la Bibliothèque nationale de France.

Se pose ainsi indirectement, la question du rapatriement du patrimoine culturel africain aux anciennes « colonies ». [CCEN1] Les œuvres d’Ibrahim Njoya font partie de la mémoire collective du peuple Bamun. Elles constituent une source d’inspiration, de création et de récréation pour la jeunesse camerounaise et africaine. On ne peut que féliciter Christophe Cassiau-Haurie qui nous aura permis de découvrir ce héraut à part entière de la bande dessinée camerounaise. Une preuve supplémentaire de l’originalité et impact de d’Ibrahim Njoya dont les œuvres ont pu braver les incendies et traverser les frontières temporelles et même géographiques.  

Quelques œuvres auxquelles a contribué Ibrahim Njoya :

  • Sang’aam (1908-1933)
  • Mofuka et le Lion (1932)
  • Lerewa Nuu Nguet[1] (1921)
  • La Grenouille et le Milan (1932)
  • La rate et les quatre ratons, années 40.
Notes et Références

[1] Livre de l’amour décrivant « cent dix-sept positions au cours desquelles une femme et un homme atteignent des orgasmes multiples »
 

[2]C. Cassiau-Haurie, Hommage à Ibrahim Njoya, le premier auteur de bande dessinée d’Afrique, Africultures Article N° : 11493. Url : http://africultures.com/read-offline/17911/hommage-a-ibrahim-njoya-premier-auteur-de-bande-dessinee-dafrique-11493.print
 

[1] La photographe Anna Rein-Wuhrmann tire un premier portrait d’Ibrahim Njoya durant cette période (1911-1915). Ledit portrait est visible au Service protestant de mission de Bâle (Allemagne).
 

[2]Gbètngkom est le nom du Premier Grand Officier du Royaume Bamun, que le Sultan Njoya avait vaincu à l’issue d’une bataille, lui permettant ainsi de demeurer au pouvoir.
 

[3] Contrairement aux artistes de son époque qui travaillaient essentiellement sur l’univers des croyances et des traditions.
Christophe Caussiau-Haurie, L’Histoire de la bande dessinée au Cameroun, L’Harmattan, 2016, p. 17


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