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Publié le 30 octobre 2018 Mis à jour le 30 octobre 2018

La nuit des moocs-vivants

On les annonçait en déclin, les moocs s'adaptent et innovent !

Souvenez-vous. Les moocs annonçaient la fin des universités et des grandes écoles. Le savoir serait gratuit partout et abordable à chaque instant. Les meilleurs enseignants et leurs dizaines d'assistants nous produiraient des catalogues de connaissances et d'évaluations Aux autres les corrections et l'accompagnement pédagogique.

Ces attentes disproportionnées ont passionné les médias. Pourtant, depuis cinq ans, les classements des universités et des grandes écoles et leurs tarifs sont restés les mêmes. Et ceux qui annonçaient une révolution du savoir digne de Gutenberg insistent maintenant sur les limites des moocs. Un taux d'abandon important, des évaluations qui ne démontrent pas de compétences, une pédagogie très classique.

Pourtant des dizaines de moocs continuent d'être proposés et trouvent un public moins fébrile qu'à l'origine mais toujours aussi nombreux à s'inscrire. Le Mooc conçu par Rémi Bachelet et son équipe consacré à la gestion de projet termine sa douzième édition. Un mooc sur les "herbes folles" développé par Tela-botanica démarre ce mois-ci et compte plus de 20 000 inscrits. Les moocs proposés par la Réunion des musées nationaux en collaboration avec Orange et Mooc et Cie connaissent un succès régulier depuis plusieurs années.

Dans cet article, nous chercherons à préciser comment les moocs se sont adaptés aux évolutions de leurs publics dix ans après leur naissance.

Les premiers pas, l'embarquement (onboarding)

Les premiers moments d'un mooc sont décisifs. Les apprenants doivent absorber une quantité importante d'informations. Outre les contenus, ils doivent appréhender le mode d'évaluation, l'organisation générale, le fonctionnement technique de la plateforme, les espaces de socialisation ... Comment aider à comprendre la structure du mooc, l'identité des interlocuteurs, les travaux demandés, les exigences, les contenus et les objectifs en peu de temps ? C'est une des questions que j'ai posées à quelques acteurs de l'univers des moocs en France..

L'animation commence bien avant le premier jour

Catherine Blairon est formatrice consultante. Elle a travaillé sur le mooc "Innovation publique territoriale" du CNFPT. Elle nous explique que l'animation d'un mooc commence bien avant le premier jour. Des teasers ont été diffusés, ainsi qu'un compte à rebours, pour maintenir les personnes inscrites en alerte. Pour éviter les abandons ou les irritations liés à des problèmes ergonomiques les premiers jours, le mooc a été testé par une designer et par de futurs utilisateurs.

Les réseaux sociaux s'animent souvent quelques semaines avant le démarrage du mooc, avec le partage d'un hashtag et des messages qui gagnent en fréquence avec le temps.

De plus le mooc prévoyait une semaine de prise en main de la plateforme. Ce n'est pas toujours nécessaire, mais c'est un «plus» quand les publics ne sont pas des habitués des moocs.

Interrogée sur la manière de transmettre cette quantité d'information en début de Mooc, Christine Vaufrey répond qu'il n'est pas nécessaire de tout apporter tout de suite :

"Je ne suis pas certaine qu’il faille tout faire en une seule fois. A l'origine des MOOC, j’avais tendance à faire de longues premières séquences, ou introductions, en détaillant bien tous les éléments (les badges, les communautés, les activités, les objectifs, etc.). Ca marchait, car les gens arrivaient sur un format inconnu et avaient besoin de se familiariser, de comprendre. Et peu à peu, on a vu que les gens ne prenaient plus le temps de se présenter ni de lire cette séquence introductive, ils se précipitaient sur les contenus (et même parfois sur les quiz, sans avoir consulté les contenus)."

Accueillir les participants, créer une proximité malgré les volumes

Le Mooc Gestion de projet invite les participants à se présenter et à exprimer leur projet personnel en lien avec le thème du Mooc. Tout le monde ne complète pas ces informations, mais lorsqu'on parcourt les réponses, on est frappé par les profils variés et internationaux. Les consignes sont données dans un blogue, et les participants comprennent rapidement qu'ils ont affaire à une équipe assez nombreuse et investie.

"Attention, nous dit Catherine Blairon, l'accueil ne peut se limiter à une phrase type que les membres de l'équipe enverraient à chaque participant. Avec deux autres personnes, nous avons répondu de manière individualisée, en faisant le lien entre le contenu du mooc et les objectifs de chacun. Un travail de titan, mais essentiel pour créer un lien dès le départ."

Gérer la proximité de manière massive reste un enjeu pour les moocs. Idéalement, il faudrait que les participants s'accueillent aussi entre eux, comme dans les activités brise-glace de certains grands séminaires professionnels en présentiel.

embarquer dans un mooc

Le ratio décisif : S2/S1

Comment faire pour que l'apprenant revienne une seconde fois ? Comment maintenir l'engagement sur plusieurs semaines, comment créer le lien, maintenir l'intérêt ?

Le ratio souvent retenu pour relativiser le succès des moocs ramène le nombre de personnes qui ont terminé sur le nombre d'inscrits. Comme un simple clic suffit pour s'inscrire, beaucoup de personnes enregistrées comme participantes ne font finalement aucune apparition sur la plateforme... Plus interessant est le rapport entre ceux qui ont suivi la première semaine et ceux qui reviennent la deuxième.

Des pistes de scénarisation et de récit (storytelling)

Les moocs s'appuient sur un modèle de communication très récent, basé sur des événements hebdomadaires, des courriels, des réseaux sociaux et des plateformes. Cette communication est très tournée vers le contenu et l'organisation. Progressivement, les équipes techniques, pédagogiques et multimédias testent de nouvelles approches.

Christine Vaufrey estime qu'il faut améliorer la scénarisation, raconter une histoire au participant. Elle dévoile quelques pistes :

"On perd à peu près la moitié des inscrits. On a essayé plusieurs choses : une approche non linéaire, comme dans le MOOC Pompidou. Les séquences ne sont pas numérotées, on peut entrer par où on veut, car en fait chaque séquence est un cours séparé et le message est simple : commencez par ce qui vous plaît le plus ! Mais l’ordre des vignettes sur la page d’accueil sert de ligne directrice et beaucoup les ouvrent en suivant le sens de lecture…

J’aimerais pouvoir casser cette linéarité avec une présentation des vignettes en cercle par exemple, ou alors que l’ordre puisse changer à chaque fois qu’on ouvre la page. L’élément de surprise me semble fondamental pour que les gens aillent plus loin que la 1re séquence, comme dans les séries télévisées. Je m’inspire beaucoup de ce genre narratif pour les MOOC."

Christine Vaufrey imagine que chaque séquence pourrait se terminer par quelque chose en suspension et que la solution se construirait au fur et à mesure des séquences

Elle poursuit :

"La presse m’inspire aussi beaucoup. Quand on a construit le MOOC Des Elles pour financer son entreprise, j’ai conçu chaque séquence comme un magazine avec ses rubriques. Quand je lis le magazine Elle, je ne lis pas tout, loin de là. Mais je sais où retrouver ce que j’aime. Je commence par là, et de temps en temps je vais jeter un œil sur le reste." 

maintenir l'attention

Pour ce qui est de la mise en scène, le mooc sur l'innovation publique territoriale a fait le choix du dessin et des sketchnotes. Les réalisations de Sandrine Barret ont apporté une spontanéité et une fraicheur en cohérence avec l'approche de l'innovation et du prototypage qui ont eu un effet d'entraînement.

Le Mooc "initiation à la bande dessinée de Head-Genève intègre des interviews d'une bêta-testeuse qui exprime son ressenti par rapport aux travaux demandés et présente ses réalisations. C'est rassurant. Le ton n'est ni faussement enthousiaste, ni dans l'auto-satisfaction. Après les démonstrations des professionnels, ce personnage de "Sophie" est un relai entre l'équipe du mooc et nous même. 

garder la motivation

Participer, mais aussi contribuer et être utile

Tela Botanica adopte une solution originale. Le mooc propose une activité d'observation des plantes sauvages au bord des champs. Les participants disposent de quelques repères pour les identifier, ils peuvent poser des questions. Mais surtout, ils peuvent les photographier et renseigner la date, le lieu et les conditions de leur découverte sur un carnet en ligne.

Ce carnet compte 700 000 contributions à ce jour. Les participants ont ainsi une gratification supplémentaire : le sentiment d'être utile, de contribuer à la préservation de la biodiversité et à la connaissance des espèces. C'est un croisement interessant entre formation et la socio-science (crowd-science).

Des animations ludiques en parallèle du mooc relayés par les réseaux sociaux maintiennent aussi l'attention et créent des situations d'apprentissage variées.

un tweet pour relancer l'attention

Le Mooc "innovation publique territoriale" a utilisé une lettre électronique, avec des liens cliquables qui ramènent sur les contenus du mooc. Ce dernier entre en concurrence avec d'innombrables sollicitations qui arrivent chaque semaine. Il faut rappeler que le mooc existe, insister sur les délais, les nouveautés, les prochaines échéances et les projets qui servent de fil rouge à la progression.

Éviter la procrastination

Une semaine, ça passe vite. Et les apprenants qui ont travaillé sur un thème ont du mal à s'y remettre. La tentation est grande de repousser d'une journée, puis d'une autre et de laisser progressivement le mooc glisser loin des priorités. Le Mooc GdP est très rigoureux sur les délais. C'est indispensable lorsqu'on propose l'évaluation par les pairs. C'est aussi une qualité nécessaire pour qui prétend faire de la gestion de projet.

Ceux qui ne rendent pas les travaux dans les temps savent qu'ils n'ont pas de rattrapage et qu'ils ne seront pas évalués. En contrepartie, le Mooc s'appuie sur un accompagnement solide sur Internet. Le hashtag #MoocGdP rassemble les utilisateurs de Twitter, un groupe sur Google, un blogue, des forums font de ce mooc une expérience où l'on échange régulièrement avec ses pairs, et où on se soutient si on a choisi de faire le Mooc en version avancée, avec l'étude de cas.

A cela s'ajoutent les "Lives" où Rémi Bachelet et son équipe répondent aux questions. Cela apporte une autre forme d'interaction, et confirme le sentiment qu'il y a une équipe autour de ce mooc. Sans doute est-ce important, comme en e-learning, de montrer régulièrement que les équipes ne se sont pas contentées d'installer des vidéos, des forums, et de paramétrer une plateforme...

Pour stimuler l'attention et ancrer les éléments du mooc, l'équipe du mooc "Innovation publique territoriale" a proposé des questions de controverse. Ces questions exigent une réponse nuancée, argumentée et sont de nature à provoquer du débat. Les participants ont ainsi davantage de curiosité pour prendre connaissance des réponses proposées par leurs pairs. Des exemples ? "Est-ce que vous vous imaginez sortir une boîte de legos en réunion pour prototyper ?" ou "Faut-il associer les opposants au projet ?". Il n'y a pas des centaines de réponses, mais elles sont construites et pertinentes et deviennent ainsi des éléments de la formation.

De manière générale, les équipes qui développent les Moocs estiment que le taux de complétion est un mauvais critère. Beaucoup de personnes s'inscrivent avec l'intention de ne suivre qu'une partie du parcours. Au cours du Mooc sur Picasso, une classe a suivi collectivement trois modules, puis ils ont poursuivi en visitant un atelier de céramique fréquenté par l'artiste et enfin des activités artistiques. Le mooc a été un élément du parcours, une ouverture. Une lecture en termes de complétion traduirait cette démarche comme un "échec", puisque les élèves n'ont pas suivi l'ensemble des modules du mooc.

Ouvrir les parcours, ouvrir le mooc sur l'extérieur

Le mooc n'est pas dans une bulle, il fait partie de l'environnement d'apprentissage de chaque personne inscrite. Il peut lui aussi s'ouvrir sur son environnement, se prolonger par des rencontres, se croiser avec d'autres formations, se prolonger dans d'autres parcours...

Ainsi, le mooc "Innovation publique territoriale" a été un "mooc augmenté" pour reprendre l'expression de Catherine Blairon. il fait partie d'un ecosystème plus large. De nombreux participants se sont retrouvés aux universités de l'innovation qui ont eu lieu dans différentes villes de France en juillet 2018. Certains participants au mooc ont aussi suivi une formation à la facilitation en présentiel, d'autres à la facilitation graphique. 

C'est un travail imposant, mais de la même manière que l'engouement pour le e-learning se traduit maintenant dans le blended-learning, on peut imaginer que les moocs trouvent un prolongement dans des meet-ups, des rencontres dans des tiers lieux ou des conférences. Cette dernière piste avait été explorée par Cécile Dejoux sur un MOOC très suivi consacré au management.

Le mooc «gestion de projet» construit progressivement des parcours différenciés. Certains participants visent la certification et souhaitent donc faire les tests dans des conditions d'examen. Les participants peuvent viser la formation simple, à travers un mooc classique constitué de vidéos et de tests. Ils peuvent opter pour un parcours avancé avec des études de cas et l'évaluation par les pairs. Enfin, ils peuvent avancer en équipes sur des projets concrets.

Depuis la troisième version en 2014, le mooc propose des modules de spécialisation en complément d'un tronc commun. Les participants en choisissent deux sur un total de quinze. Le mooc s'est aussi ouvert en sollicitant d'autres enseignants, issus d'autres centres de formation.

Vers la co-construction ?

Catherine Blairon nous précise que les contributions les plus pertinentes, que ce soit dans les forums, en réponse aux questions de controverse ou sur les webinaires ont été intégrées dans le mooc. La co-construction passe pour l'instant par la proposition de ressources pertinentes trouvées sur internet, par des témoignages. 

On pense également à Christine Dejoux, qui a sollicité des anciens pour devenir témoins et apporter un éclairage sur les sessions suivantes.

Le mooc Gestion de projet propose une prise de notes collaborative. Les réseaux sociaux sont mobilisés pour mettre en valeur les productions les plus significatives. 

Au-delà, sur quelques milliers de participants, il y a nécessairement des personnes qui ont des compétences affirmées dans les domaines du mooc. Une règle empirique issue des premiers moocs montrent que sur 100 personnes inscrites, on compte 90 observateurs, 9 personnes qui feront les travaux et viseront l'attestation de réussite, et une qui s'investit, dialogue avec les organisateurs, propose des ressources, et participe à l'animation générale des semaines.

Détecter rapidement ces personnes, leur proposer ue action ou une participation particulière donne une couleur spécifique à chaque session. L'évaluation par les pairs du Mooc Gestion de projet est parfois l'occasion de repérer des personnes qui participent sur les forums, qui évaluent de manière précise et mesurée et bienveillante leurs pairs, et de leur proposer un rôle d'animation.

Les moocs sont plus que jamais un espace de test, d'innovation, d'inventions qui peuvent inspirer les autres domaines de la pédagogie. Si le discours est plus modeste qu'il y a quelques années, l'enthousiasme est toujours présent dans les équipes et chez les participants !

Illustrations : Frédéric Duriez

Ressources

Christine Vaufrey : Où sont les moocs à succès ? Pas là où vous les attendiez !
publié le 15 octobre 2018, consulté le 30 octobre 2018
https://cursus.edu/12019/ou-sont-les-mooc-a-succes-pas-la-ou-vous-les-attendiez 

Mooc et Cie : https://mooc-et-cie.com/

Les moocs culture de Solerni :  https://culture.solerni.com/?lang=fr

La plateforme FUN qui héberge quelques uns des sites évoqués, et notamment le Mooc Innovation publique territoriale : https://www.fun-mooc.fr/

Miss Mooc et sa team : https://miss-mooc.paris/

Le blog du mooc gestion de projet : https://gestiondeprojet.pm/mooc-gdp/

Denis Cristol Créer un mooc constructiviste
https://cursus.edu/11065/creer-un-mooc-connectiviste consulté le 30 octobre 2018

Jacques Dubois : Accompagner les apprenants dans un mooc : pourquoi et comment ?
https://cursus.edu/21174/accompagner-des-apprenants-dans-un-mooc-pourquoi-et-comment consulté le 30 octobre 2018

 


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