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Publié le 10 septembre 2018 Mis à jour le 10 septembre 2018

La passion à l'école et l'intelligence émotionnelle

Avec l’idée de l’intelligence collective, une rupture de paradigme est apparue dans laquelle les émotions deviennent au centre de l’attention

Comment donner l’envie aux élèves décrocheurs de rentrer dans le flux des apprenants et des apprentissages ?

La passion d'apprendre est une piste peu explorée, car elle touche à l’intelligence émotionnelle. Avec l’arrivée de la science de l’intelligence collective, le groupe et ses dynamiques ont été étudiées d’abord comme un phénomène naturel, ex nihilo, puis comme un savoir faire. 10 ans plus tard, on s’aperçoit que le savoir faire n’est pas suffisant et que le savoir être est un savoir fondamental pour s’intégrer dans un groupe et une classe est un groupe. Pour qu’un groupe aille de l’avant de façon saine et cohérente, il faut lui donner une vision (réussir sa vie), un sens (par les apprentissages pédagogiques), des énergies (qui vont nourrir l’intérêt des élèves tout au long de ce parcours).

Ces énergies sont soit personnelles, soit collectives. Un élève par exemple peut être dans un contexte environnemental, familial, économique, géographique difficile avec peu de chance de réussite, mais il s’en sortira de par sa propre volonté. Celui-là veut s’en sortir et il va réussir contre toutes attentes. L'énergie collective peut être nourrie par la passion d’un professeur pour sa matière d’enseignement; celle-ci peut changer les cours de la vie de ses élèves car il va leur transmettre sa passion pour la philosophie, la mécanique, le français, les maths, les sciences, la gym, les langues étrangères, l’enseignement… Toute matière enseigné avec passion a une influence plus grande sur son auditoire.

Discutons de passion

“En prévision du webinaire avec Sir Ken Robinson, organisé par The Future of Education, il a été décidé de tenir une discussion en vue du webinaire. Le sujet portait sur la passion de l’éducation, un thème du livre de Sir Ken, The Element, qui allait constituer la base du webinaire.

La discussion a été animée et oui, bien, passionnée!”

Source Passion in Education and How it can Drive Change mars 2010 -  Blog de R. Liberni (en anglais)

Voici quelques thèmes principaux de cette discussion virtuelle, classés par questions :

Quel est le but de l’éducation ?

  • L'éducation doit aider les gens à trouver leur passion (étudiants, enseignants, tous impliqués dans l'éducation)

  • La passion se traduit-elle en vision?

  • La passion a besoin de direction et d'orientation

Comment éduquer ?

  • La passion de l'éducation consiste à servir les autres.

  • La passion est une voie à double sens, tant pour les enseignants que pour les étudiants.

  • La passion est-elle la différence entre les grands enseignants et les médiocres?

Comment garder la passion ?

  • Comment le maintenir et le maintenir ? Qu'est-ce qui le fait partir ?

  • Comment les conditions de travail, les systèmes, les tests, etc. affectent-ils la passion?

Le sujet soulève beaucoup de questions comme on le constate.

Quel statut a la passion dans nos mécanismes de pensées occidentaux ?

La passion est de nature émotionnelle. Depuis Descartes l’enseignement est de nature rationnelle et donc loin des émotions. Pourtant, ce n’était pas son but originel. Il prônait la modération et pas la disparition de cette passion sensible.

“Les passions sont toutes bonnes de leur nature et nous n’avons rien à éviter que leurs mauvais usages ou leurs excès.”

René Descartes , philosophe du 16ème siècle

Déjà en 1927, René Guénon avait un regard extrêmement lucide sur le sujet dans son livre Une civilisation matérielle :

“Les modernes, en général, ne conçoivent pas d’autre science que celle des choses qui se mesurent, se comptent et se pèsent, c’est-à-dire encore, en somme, des choses matérielles, car c’est à celles-ci seulement que peut s’appliquer le point de vue quantitatif; et la prétention de réduire la qualité à la quantité est très caractéristique de la science moderne.

On en est arrivé, dans ce sens, à croire qu’il n’y a pas de science proprement dite là où il n’est pas possible d’introduire la mesure, et qu’il n’y a de lois scientifiques que celles qui expriment des relations quantitatives; le « mécanisme » de Descartes a marqué le début de cette tendance, qui n’a fait que s’accentuer depuis lors, en dépit de l’échec de la physique cartésienne, car elle n’est pas liée à une théorie déterminée, mais à une conception générale de la connaissance scientifique.

On veut aujourd’hui appliquer la mesure jusque dans le domaine psychologique, qui lui échappe cependant par sa nature même; on finit par ne plus comprendre que la possibilité de la mesure ne repose que sur une propriété inhérente à la matière, et qui est sa divisibilité indéfinie, à moins qu’on ne pense que cette propriété s’étend à tout ce qui existe, ce qui revient à matérialiser toutes choses. C’est la matière, nous l’avons déjà dit, qui est principe de division et multiplicité pure; la prédominance attribuée au point de vue de la quantité, et qui, comme nous l’avons montré précédemment, se retrouve jusque dans le domaine social, est donc bien du matérialisme au sens que nous indiquons plus haut, quoiqu’elle ne soit pas nécessairement liée au matérialisme philosophique, qu’elle a d’ailleurs précédé dans le développement des tendances de l’esprit moderne.

Nous n'insistons pas sur ce qu’il y a d’illégitime à vouloir ramener la qualité à la quantité, ni sur ce qu’ont d’insuffisant toutes les tentatives d’explication qui se rattachent plus ou moins au type « mécaniste » ; ce n’est pas là ce que nous nous proposons, et nous noterons seulement, à cet égard, que, même dans l’ordre sensible, une science de ce genre n’a que fort peu de rapport avec la réalité, dont la partie la plus considérable lui échappe nécessairement.”

Hier encore, on ne voyait de la passion que sa face négative. Car toute émotion peut-être positive ou négative.

“A l’origine de la formation d’une passion, il y a le rôle de l’imagination qui produit en nous des idées mutilées, confuses, des jugements erronés sur les choses et sur les biens. L’imagination est une perception sans objet réel; elle suscite dans l’esprit des idées fausses parce que partielles ou sans objet. A partir de là, naît une action qui ne dépend plus entièrement de nous, mais principalement d’une source extérieure non pensée ni maîtrisée.”

Philosophie du XXIème siècle - 2007 - Blog de Sejarah Pemikiran Modern FIB-UGM

Avec l’arrivée des neurosciences et de l’intelligence collective, une rupture de pensée très récente est apparue. C’est une rupture de paradigme essentielle dans laquelle les émotions deviennent de centre de l’attention :

“Si les conseils de sagesse existent depuis l’antiquité, il faut attendre la fin du XXe siècle pour que l’on commence à étudier en détail les notions d’intelligence émotionnelle et d’émotions positives. Ces savoirs permettent de déterminer, parmi un océan de conseils plus ou moins contradictoires, ceux qui s’avèrent les plus efficaces et comment les appliquer.

Comprendre nos rouages internes permet de gagner en motivation et confiance en soi. Nous apprenons à tirer parti de nos potentiels mentaux inexploités, éviter les pièges de certains raisonnements, faire la part des efforts productifs et des impasses. Il devient possible de dégager des chemins vers des attitudes profitables à tous”.

Sources : Intelligence émotionnelle : pourquoi sommes-nous si mauvais ? Les apports des neurosciences et les raisons d’espérer - Bernard Anselem - Article de LinkedIn

La passion comment cela marche ? Les émotions et les passions

Source des textes suivants : Université de Chicago - http://durkheim.uchicago.edu/Texts/1884a/09.html

“Nous avons vu que les inclinations avait un objet, agréable ou désagréable. Suivant que l'inclination est satisfaite ou non, il se produit du plaisir ou de la douleur. Mais plaisir et douleur sont des termes généraux; les diverses variétés des phénomènes affectifs portent le nom d'émotions. Les émotions sont donc comme ces phénomènes, tantôt agréables et tantôt désagréables; comme eux encore, elles ont pour caractère commun la passivité. De plus, tandis que le plaisir et la douleur sont localisés, les émotions ne le sont pas. En goûtant un mets délicat, le goût seul et non le moi tout entier éprouve un certain plaisir. Une grande partie de notre être est alors disponible, inoccupée. L'émotion au contraire tend à envahir le moi tout entier, à tout absorber. La volonté peut l'arrêter, au moins en partie; mais de sa nature, L'émotion est envahissante.

Voici donc L'émotion définie à un double point de vue. Par rapport au plaisir et à la douleur: elle en est une forme, mais s'en distingue en ce qu'elle est expansive et n'est point localisée. Par rapport aux inclinations: elle en est une suite; elle est en nous le contre-coup du succès ou de l'insuccès des efforts de l'inclination”.

L’émotion a une double face et est entière.

“Reste à classer les émotions. On ne peut en donner une classification rigoureuse. Cependant, l'expression de l'émotion en fonction de l'inclination va nous donner un moyen de mettre quelque ordre dans l'ensemble confus des émotions. Pour cela nous n'avons qu'à faire varier les rapports de l'objet au moi: le moi passera par diverses émotions qu'il sera facile de noter.

Supposons le cas d'un objet agréable: suivant qu'il s'approchera ou s'éloignera du moi, on aura des émotions agréables ou désagréables. Ce seul objet nous permettra donc d'étudier tous les genres d'émotions”.

Quelques mises en lumière des émotions scolaires :

“L'objet est à l'infini, c'est-à-dire n'existe pour nous que virtuellement; nous ne le connaissons pas, nous le rêvons. Alors, si nous croyons pouvoir un jour atteindre cet infini, il se produit en nous un certain sentiment d'inquiétude où domine le plaisir”.

L’avenir professionnel et personnel de l’élève est un objet à l’infini.

“L'objet approche. Alors se produit une autre émotion, l'espérance, qui va en augmentant à mesure que l'objet approche davantage. Quand nous possédons l'objet, l'espérance disparaît à son tour pour faire place à la joie”.

Acquérir et posséder des connaissance est source de joie.

“Si la possession est continue, nous éprouvons un autre sentiment agréable, la joie de posséder, plus tranquille que la joie d'acquérir qui l'a précédée. Laissant le mot joie pour cette dernière émotion, on peut nommer encore sécurité la joie de posséder”.

Posséder un diplôme ou même seulement la connaissance, est une sécurité source de joie.

“Supposons maintenant que la possession de l'objet aimé ne soit pas sûre, que nous craignons de voir cet objet disparaître, il se produit alors le sentiment pénible connu couramment sous le nom d'inquiétude. Supposons encore que nous voyons tout à coup l'objet prêt de nous être enlevé: L'émotion qui survient est la peur. Si nous en sommes privés subitement sans l'avoir prévu, c'est l'épouvante”.

Échouer ou la peur d’échouer à ses examens est une sources d’inquiétudes qui peut monter en puissance selon les milieux familiaux ou professionnels.

“L'objet s'éloigne. Alors le sentiment de la privation est la tristesse; si on l'a possédé, le regret. S'il continue à s'éloigner, la tristesse devient désespoir. Le désespoir augmente avec la distance de l'objet. Enfin quand il est retourné à l'infini, le sentiment qui nous reste de notre impuissance à l'atteindre, c'est l'abattement”.

L’échec scolaire est source d’abattement et de décrochage.

“Il nous reste à étudier la dernière espèce des phénomènes sensibles, les passions. On a entendu par ce mot des phénomènes sensibles bien différents les uns des autres. Bossuet dans le traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, mélange, sous le titre de passions, les inclinations et les émotions. Selon lui, il y a onze passions dont dix s'opposent deux à deux: l'amour, la haine - le désir, l'aversion - la joie, la tristesse - L'audace, la crainte - L'espérance, le désespoir - enfin, la colère. Toutes peuvent d'ailleurs, selon lui, se ramener à l'amour et à la haine, et la haine d'un objet n'étant que l'amour de son contraire, il n'y a pour lui qu'une seule passion: l'amour”.

Si les passions étaient pour Descartes des phénomènes semi-sensibles et semi-intellectuels, se produisant au moyen des esprits animaux, il les ramenait tous à la notion d’admiration, alors que Bossuet lui les ramenaient à celle de l’amour. Qu’en est-il dans le cadre de l’école ?

“En quoi consiste exactement la passion ? Elle présente les deux caractères suivants:

  1. Comme l'inclination, elle est relative à un objet extérieur. On se passionne pour quelque chose. L'émotion au contraire a bien une cause, mais d'objet, point. Elle agite le moi, mais sans l'entraîner vers un but déterminé.
     
  2. D'autre part, comme l'émotion, la passion est envahissante, prend le moi tout entier. Tandis qu'au contraire les inclinations sont localisées. En outre, tandis que les inclinations n'absorbent qu'une faible partie du moi, la passion est exclusive et dirige vers son objet toutes les facultés du moi.

Les deux caractères de la passion peuvent être exprimés d'un seul coup: d'une part, elle concentre le moi; de l'autre elle le dirige vers un objet. On peut donc dire qu'elle concentre tout le moi vers un seul et même objet. Toutes les forces sont dirigées vers un même but, sont assemblées. C'est dire que la passion introduit dans la vie psychologique une unité absolue”.

Et si la passion avait en fait comme moteur simplement l’envie d’être entièrement et le désir d’atteindre ?

"Dans ce cas le moi tout entier est dans une seule passion. L'activité n'a plus qu'une forme. Le désir d'atteindre l'objet de cette passion est si fort, que le moi ne peut pas avoir la patience de chercher les moyens d'arriver à ses fins. Certaines gens, par exemple, ont la passion de la volonté si violente qu'elle renonce à retarder l'accomplissement de son désir pour se procurer les moyens de le satisfaire. On est alors volontaire quand-même, c'est-à-dire obstiné.

Mais si la passion est quelque peu arrêtée par la réflexion, elle a conscience d'elle-même et de ce dont elle a besoin; elle comprend qu'il lui faut des moyens d'atteindre ce but. Alors naissent des passions secondaires, utiles le plus souvent, qui, tandis que la passion principale s'attache à la fin, elles s'attachent de leur côté aux moyens de les réaliser.

Supposons par exemple la passion de l'or, qui est immorale en elle-même. Pour peu qu'elle soit un peu réfléchie, elle entraînera avec elle la passion du travail et celle de l'économie qui toutes deux sont des passions utiles. Supposons la passion de la gloire: elle entraînera de même la passion du travail, de l'étude, etc.

Évidemment, une passion qui a un but immoral est et reste toujours immorale. Mais la passion en elle-même, abstraction faite de son but, trouble-t-elle dangereusement l'économie de l'être intérieur? Nous venons de voir qu'elle engendre des passions secondaires dont quelques unes au moins sont toujours utiles. A ce point de vue par conséquent, la passion peut et doit être utilisée.

Pour que l'activité soit vraiment productrice, il faut qu'elle soit concentrée, qu'il n'y ait pas de perte de force; il faut par conséquent qu'elle soit émue par la passion. Pour faire une oeuvre une vivante il faut se passionner pour elle: artistes, écrivains ne réussissent qu'en se passionnant pour leur objet. Il faut qu'un peintre ait, non seulement la passion de peindre, mais la passion des sujets et personnages qu'il peint. Il en sera de même d'un penseur. Ainsi donc, lorsque l'objet de la passion n'est pas mauvais en soi, lorsqu'un minimum de raison en surveille le développement, elle est la condition indispensable sans laquelle on ne fait rien de grand."

Pour être constructive la passion doit être maîtrisée, cadrée et construite dans une vision globale que l’on pourrait appeler pédagogique. Et, si transmettre l’envie d’arriver à son but était un des savoirs fondamentaux de l'enseignement ?

Source image : Pixabay Sciencefeak


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