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Publié le 24 juin 2018 Mis à jour le 24 juin 2018

La surqualification : pourquoi et comment l’atténuer sur le marché du travail ?

Causes de l’inadéquation professionnelle et mesures pour limiter la production de travailleurs surqualifiés.

Photo: Jobboom.fr

La surqualification des travailleurs est une question qui revient assez régulièrement dans les débats économiques[1]. Une publication récente de l’OIT, couvrant 24 pays européens, montre que le décalage entre les compétences des travailleurs et les exigences de leur poste est courant : entre 25% et 45% des travailleurs sont soit surqualifiés, soit sous-qualifiés pour leur poste, ce qui conduit à une forte inadéquation entre l’offre et la demande sur le marché du travail. L’inquiétude des décideurs en matière de politiques publiques et la préoccupation des chercheurs à l’égard de la surqualification résultent d’au moins trois facteurs.

1- Inadéquation entre l’offre et la demande

On considère la surqualification comme étant, plus ou moins, du gaspillage des ressources considérables que la société consacre à l’éducation. Parmi les facteurs déterminants de la surqualification, il y a l’inadéquation quantitative et qualitative entre l’offre d’une main‐d’œuvre qualifiée et la demande issue du marché du travail. Cela suppose que la société investit de manière inefficace dans l’éducation de ses citoyens – de sorte que, pour certains niveaux de qualification, le monde de l’enseignement forme plus de diplômés qu’il n’en faut – ou encore, que les diplômés n’ont pas les compétences qu’exige le marché du travail. Pour y remédier, il faudra améliorer la collaboration entre les employeurs et le système éducatif.

Sur le plan microéconomique, la fréquence de la surqualification varie selon plusieurs facteurs liés au travailleur, à sa scolarité et à son emploi. Parmi ces facteurs, notons tout d’abord le domaine d’études, le secteur d’activité, l’âge et le statut d’immigrant.

Concernant le domaine d’étude, Adele Bergin, chargée de recherche à l’institut économique et social (ESRI) de Dublin, démontre que le taux de personnes surqualifiées dans l’ingénierie, les mathématiques, les sciences, le droit et la médecine est bien plus bas que dans les secteurs des arts et des sciences sociales[2].

S’agissant des immigrés, une étude de l’OCDE[3] démontre qu’ils ont nettement plus de risques que les autochtones d’occuper un emploi qui ne correspond pas à leurs qualifications et à leurs compétences.

En fonction de l’âge, une organisation de recherche européenne, dans l’étude STYLE[4], sur l’emploi des jeunes de 18-25 ans, a révélé que l’Irlande avait le niveau de surqualification le plus élevé d’Europe : 33 %, après Chypre (31 %) et l’Espagne (30 %). La Slovénie (10 %) a le taux le plus bas. En outre, l’augmentation du nombre de jeunes surqualifiés est due à la tendance des économies développées à continuellement essayer que plus de citoyens obtiennent une éducation de niveau supérieur.

Sur le plan macroéconomique, le chômage intervient aussi, de sorte que les crises économiques et les formations qui ne sont pas porteuses d’emplois augmentent le risque que les travailleurs soient surqualifiés pour leur poste[5].  L’hétérogénéité des compétences contribue à l’inadéquation des qualifications[6], les surqualifiés présentant un faible niveau d’aptitude et les sous-qualifiés un niveau d’aptitude élevé par rapport à leur qualification.

2- Une orientation inappropriée

La plupart des conseillers des orientations travaillent dans le milieu de l’éducation, qui constitue dès lors leur principale référence. Ils ne possèdent donc aucune connaissance directe des autres environnements professionnels et des compétences qu’ils exigent, de sorte qu’ils vont privilégier l’enseignement général et les filières universitaires.

3- L’accès et la qualité de l’information sur le marché du travail.

L’accessibilité et la qualité de l’information offerte aux jeunes et aux employeurs au sujet du marché du travail et du système d’éducation, est déterminante. En effet, une orientation de qualité n’est pas possible sans l’accès à une information de qualité. Il arrive parfois que les emplois proposés ne soient pas pourvus par les travailleurs les plus appropriés en raison du manque d’information, des coûts d’ajustement, des conditions générales du marché du  travail ou  des préférences  personnelles des travailleurs.

Il faudrait, par exemple, que les dispositifs d’orientation professionnelle soient gérés de l’extérieur de l’école par des professionnels de l’orientation[7] qui seraient détachés dans les établissements pour dispenser des services d’orientation.

C’est le cas en Nouvelle-Zélande où le principal prestataire de services d’orientation professionnelle est Career Services (CS), un organisme indépendant du système éducatif. CS fournit des services directement aux élèves pour les aider à choisir leur formation et leur métier en toute connaissance de cause.

La surqualification choisie et la surqualification imposée

La surqualification n’est pas nécessairement indésirable. Un pourcentage très élevé de travailleurs surqualifiés sont satisfaits de leur emploi[8]. En effet, le sens qu’accordent les individus au fait d’être surqualifié est ambivalent. Même s’il est raisonnable de croire que la majorité des diplômés espèrent pouvoir obtenir un emploi à la hauteur de leur diplôme, le fait de définir le sentiment de surqualification de façon substantialiste, en ne considérant que le niveau de diplôme obtenu par le travailleur et exigé par l’employeur, semble quelque peu réducteur. Comme l’affirme Francis Laparre,

« le sentiment de surqualification naît d’un jugement social : il est empirique, contextualisé et dynamique[9] ».

Dès lors, il importe d’effectuer un distinguo entre la surqualification imposée et la surqualification choisie. La surqualification n’est pas toujours une situation ou conséquence de sur-éducation ou de déclassement scolaire.

Enfin, il serait vain de penser qu’on peut éliminer la surqualification. Le marché du travail est compétitif. Certains travailleurs n’ont pas nécessairement toutes les compétences requises pour occuper les emplois disponibles, même s’ils ont le diplôme recherché.

Maintenant, penchons nous sur un certain nombre de politiques à même d’atténuer le phénomène de la surqualification, afin de favoriser le bien‐être collectif.

Des mesures palliatives

L’éducation demeure une priorité dans l’élaboration des programmes gouvernementaux. Les sociétés qui investissent massivement dans l’éducation affichent un taux de surqualification élevé. Il serait même avantageux de maintenir un certain excès de l’offre de main‐d’œuvre qualifiée afin de créer un climat de concurrence. Ainsi, l’objectif des jeunes ne sera pas uniquement d’obtenir un diplôme mais aussi acquérir des compétences compétitives pour les bons emplois.

Une souplesse du système éducatif est nécessaire pour s’aligner le plus possible sur les besoins évolutifs du marché du travail et ce en laissant aux jeunes la liberté de choisir la formation qui leur convient. Ils doivent toutefois être suffisamment outillés pour faire des choix éclairés. D’où l’importance de l’accès à une information et orientation de qualité comme souligné plus haut.

Les employeurs devraient continuer d’investir dans la formation en cours d’emploi. Aussi performant puisse‐t‐il être, un système d’éducation ne pourra jamais répondre à tous les besoins de toutes les entreprises.

Les employeurs doivent s’ouvrir à l’immigration et aux minorités visibles, et contribuer à l’intégration de ces populations dans le marché du travail. L’immigration est une source de main‐d’œuvre qualifiée de plus en plus importante et de plus en plus variée.


[1] Chevalier, A. et Lindley, J. 2007. Over‐Education and the Skills of UK Graduates, CEE DP 79, London, Centre for the Economics of Education, 36 pages.
 

[2] Henriette Jacobsen, « La surqualification des jeunes devient la norme en Europe », euractiv.com (blog), 23 septembre 2015, https://www.euractiv.fr/section/emploi-economie/news/la-surqualification-des-jeunes-devient-la-norme-en-europe/.
 

[3] OCDE, « Bon pour le poste : surqualifié ou insuffisamment compétent ? », dans Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2011 (Paris, France, s. d.), https://www.oecd.org/fr/els/emp/EMO%202011%20Chap%204%20FR.pdf.
 

[4] Jacobsen, « La surqualification des jeunes devient la norme en Europe ».
 

[5] Cahuc, P. et Zylberberg, A. 1996. Économie du travail. La formation des salaires et les déterminants du chômage, Ouvertures économiques, Université De Boeck, 608 pages.
 

[6] OIT, « L’OIT fait état d’une forte inadéquation des compétences en Europe », Actualité, 29 octobre 2014, http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_316233/lang--fr/index.htm.
 

[7] OECD, Des compétences meilleures pour des emplois meilleurs et une vie meilleure Une approche stratégique des politiques sur les compétences: Une approche stratégique des politiques sur les compétences (OECD Publishing, 2012).
 

[8] Magali Flachère et Erwan Pouliquen, « Surqualification et sentiment de déclassement : public-privé, des profils et des opinions proches », STATISTIQUES ET RECHERCHE SUR LA FONCTION PUBLIQU (MINISTÈRE DE LA DÉCENTRALISATION ET DE LA FONCTION PUBLIQUE, janvier 2015), https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/statistiques/etudes/Surqualification-et-sentiment-de-declassement.pdf.
 

[9] Francis Lamarre, « Le sentiment de surqualification chez les diplômés » (Université de Montréal, 2010), https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/4124/Lamarre_Francis_2010_memoire.pdf.


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