Comment le formateur devient le manager de la transition numérique des apprenants.
Qui est mieux placé pour aider un apprenant dans sa trajectoire d'apprentissage? Bien sûr l'apprenant peut se hisser lui-même vers les nouvelles conditions d'appropriation du savoir; il découvre des logiciels pour organiser sa veille professionnelle, classer ses trouvailles, les compiler voire même se créer un environnement personnel d'apprentissage, mais, le formateur qui cherche par vocation pédagogique à établir les conditions d'un meilleur rapport au savoir dispose d'un coup d'avance sur les questions à se poser.
Il y est incité parce que les espaces physiques ou en ligne qu'on lui propose pour intervenir modifient ses points de repères. Avant même d'apprendre à concevoir de nouveaux dispositifs, il est placé en décalage par rapport à ses anciennes manières. Le passage de l'analogique vers le digital bouleverse tous les systèmes et toutes les représentations. Les prescripteurs de formation pour lesquels il travaille le somment soit de fournir des supports multimédias, radicalement différents de ce qu'il connait, soit d'animer sur des plateformes. S'il ne transite pas tout de suite dans les nouvelles conditions qu'on lui offre, sa capacité d'exercer sa fonction disparaît, il risque même de perdre son emploi.
Apprentissage opportuniste
La difficulté de la transition numérique actuelle est moins un transit d'un point A vers un point B sur une ligne toute tracée qu'une exploration vers la multitude de logiciels de plateformes et de sites qui composent un système complexe.
Dès lors, il s'agit d'inventer un apprentissage agile. On pourrait évoquer un apprentissage «scrum», pragmatique, opportuniste, découpé en petites bouchées dans un mode "test and learn".
Formateur et apprenant font équipe
L'apprenant et le formateur agissent et apprennent dans la même intention. C'est une transformation des rapports à soi aux autres et au monde qui se joue. Le formateur s'intéresse donc à l'Ux learning (expérience apprenant). Il est sensible à l'environnement et aux dispositions d'apprenance. Pour être au plus proche des problématiques rencontrées, il coconçoit avec eux les dispositifs qui les concernent.
En passant il devient aussi un spécialiste du storytelling de la formation. Il raconte une histoire à laquelle chacun peut contribuer et qui donne sens aux apprentissages individuel mais aussi collectif. Le formateur change ainsi sa posture à l'égard des collectifs. Il favorise l'apprenance collective numérique.
Apprenance collective numérique
Composantes de l’apprenance
L'apprenance se comprend notamment comme une disposition à apprendre. Elle recouvre un vouloir, savoir et pouvoir agir. Cette disposition est souvent mesurée de façon individuelle par rapport à un objet délimité et pour une durée spécifique. Cependant apprendre est toujours un phénomène social lié à un contexte. Si l'on sépare l'individu du collectif on ampute la compréhension du réel du social qui est pourtant une caractéristique essentielle de l'homme. Il n'y a pas d'homme sans société, au minimum dans sa mémoire. Si tous ont disparu autour de lui, il reste néanmoins un grain de société.
Or, si l'on regarde les notions spécifiques associées à l'apprenance comme la motivation, le sentiment d'efficacité personnel, l'auto- régulation, l'environnement d'apprentissage, la question se pose de savoir comment ces notions se traduisent dans des collectifs pour ces formateurs managers de transition numérique. Et que font les formateurs pour les mettre en œuvre?
La motivation collective
La motivation collective s'observe parfois par une joie collective d'apprendre. Dans les modèles de la motivation se distinguent la motivation intrinsèque et la motivation extrinsèque. La part de ce qui est propre à un individu ou celle qui lui est extérieure. Pour un collectif la motivation intrinsèque vient des curiosités collectives suscitée par une ou des questions authentiques. Le formateur est un maïeuticien qui aide les groupes à apprendre à partir de questions motivantes. Il anime un processus d'auto saisissement des objets et contenus d'apprentissage par les apprenants eux-mêmes (knowledge building).
Il existe des architectures invisibles qui portent les rapports au savoir. Le formateur est un partenaire d'apprenance il introduit des rites ou des cadres d'interaction qui orientent les façons de ressentir et de donner du sens aux événements. Il nourrit et nomme ces liens invisibles qui assemblent les groupes.
Le sentiment d'efficacité collectif
Le développement du pouvoir d'agir se produit grâce au partage, à la mutualisation de ressources, à l'accès à un réseau humain et à des savoirs d'action. Chaque fois que le formateur met les participants en situation de réussir à s'entraider, il fait grandir le sentiment d’efficacité collectif.
L'autorégulation collective de l'apprentissage
La liberté ou la contrainte dans les choix d'apprendre ensemble est le premier maillon de l'auto régulation collective. S’agit-il de laisser les groupes s’auto-organiser, de les aider à se doter de règles d’autogestion, de leur offrir un cadre et un espace protecteur, de leur concéder des plages de temps pour s’accorder, de partager des postures d’écoute de dialogue ? Les groupes qui entrent en pairagogie, s’apprennent mutuellement sont capables d’une plus grande résilience quand des difficultés d’apprentissage surviennent, si l’un est bloqué un autre prend le relais. Le sentiment qu’une solution est rapidement disponible dans le collectif est présent.
L'environnement collectif d'apprentissage
L'environnement collectif d'apprentissage c'est l'ensemble des ressources, logiciels, processus dont un groupe est doté pour apprendre ensemble. Le formateur facilite la reconnaissance de ces ressources, voire même contribue à la créer et en rendre l’usage simple.
Lorsque le groupe est plus mature, il est même en capacité de créer son propre environnement ses routines et ses règles de travail. Il parvient à s’auto-discipliner, se fixer des règles qui font grandir la confiance mutuelle dans l’apport du collectif. Les environnements numériques actuels facilitent cette dimension par les espaces de partage mis à disposition.
Intelligence collective et apprenance
L’apprenance contribue à renforcer l’intelligence collective. Lorsque les membres d’un collectif passent de l’état de groupe à celui d’équipe apprenante, l’apprenance peut être à la base d’un égrégore, cette incarnation du collectif auquel chacun se réfère implicitement et qui apporte un surplus d’envie et de capacité d’agir.
Par exemple, l’apprenance collective est marquée par une mémoire transactive. Dans un apprentissage une partie d'une tâche est dévolue au collectif, chacun garde en mémoire une partie. Chacun sait alors qui, dans le collectif, est capable d’apporter des éléments au problème. Là encore repérer qui sait quoi est plus facile avec les réseaux sociaux, les échanges en ligne et les outils de partage.
Le manager de la transition pédagogique numérique
Le formateur, en tant que manager de la transition pédagogique numérique des apprenants qu’il accompagne, met de l’énergie à créer les meilleures conditions pour une apprenance numérique collective. Cet environnement est pensé pour limiter les obstacles cognitifs (raisonnement), les obstacles conatifs (sens) et les obstacles affectifs (émotions).
Par sa capacité à rendre fluide les rapports au savoir collectif et à aviver la curiosité collective, il devient de plus en plus à l’aise avec une ingénierie de l'apprenance collective. Il parvient à une meilleure stabilité collective des modes d'apprendre donnant à chacun confiance dans le pouvoir d’apprendre ensemble.
Le rythme commun imprimé est inclusif de nouveaux membres. Créer une enveloppe culturelle commune pour un apprentissage collectif en ligne est certainement un rôle majeur à un moment où la profusion des possibilités numériques nécessite beaucoup d’énergie. Car il faut investir du temps avec l’environnement numérique avant d’en tirer tout le potentiel.
Une pédagogie de l’apprenance collective contextualisée et variable en fonction des événements et situations de la vie, se développe dans des approches formelles ou informelles. Elle est indispensable pour lutter contre une « impuissance collective apprise », et l’idée que s’accorder ensemble et à distance est trop compliqué et prend trop de temps.
Le formateur manager de la transition numérique rendra plus facile cet apprendre ensemble numérique.
Sources
Wikipédia – Apprenance - https://fr.wikipedia.org/wiki/Apprenance
Apprenance collective - https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-01408868v1/document
Imaginer demain Et si l’UX améliorait les solutions d’e-learning ? https://www.imaginer-demain.fr/experience-utilisateur-e-learning/
Apprentissage agile - http://www.qualitystreet.fr/2008/06/17/shu-ha-ri/
Wikipédia – knowledge building https://en.wikipedia.org/wiki/Knowledge_building
Apprendre de pairs à pairs - http://4cristol.over-blog.com/2016/10/apprendre-de-pair-a-pair.html
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