« On peut passer des heures avec des machines, sans être capable d'entretenir des relations humaines et sociales satisfaisantes. Le progrès technique ne suffit pas pour créer un progrès de la communication humaine et sociale. Opposer les anciens et les nouveaux médias est une problématique dépassée ; il faut les penser ensemble. L'essentiel de la communication n'est pas du côté des techniques mais du côté des hommes et des sociétés. »
Ainsi parle Dominique Wolton (sociologue Français né en 1947) à propos de la communication et de son évolution dans notre nouvelle ère technologique.
Mais peut-on vraiment parler d’évolution quand on voit que plus le temps passe, plus l’homme est amené à s’individualiser, à ne plus avoir besoin d’autrui, même pour discuter ? Perdons-nous notre humanité à vouloir intégrer la machine dans notre vie ? L’intelligence artificielle remplacerait-elle l’être humain, même au niveau de la communication et des langues ? Dis Siri, tu en penses quoi, toi ?
Un peu d’étymologie…
Avant tout chose, penchons-nous sur le sens de trois mots « langue », « communication » et « humanisme ».
- Le premier signifie : « système de signes vocaux et souvent graphiques commun aux membres d’une même communauté et constituant leur outil de communication »,
- le deuxième, « moyen technique par lequel les personnes communiquent »
- et le troisième : « théorie qui vise l’épanouissement de l’être humain».
Ces trois notions sont-elles compatibles au vu de leurs définitions ? Dans les deux premiers, on fait nettement allusion à la spécificité humaine - et non virtuelle - de l’action de communication, cette dernière contribuant logiquement à son épanouissement. Donc, on peut penser que pour être heureux, il faut pouvoir communiquer avec quelqu’un - d’humain, cela s’entend. D’accord, mais un humain virtuel, ça marche aussi ?
Siri, Alexa et Google Home
Des « humains virtuels »... Si on s’intéresse à trois des plus importantes intelligences artificielles développées dans un but de communication, on pense immédiatement à Siri (développé par Apple en 2011), Alexa (développé par Amazon en 2014) et le dernier, Google Home (développé par Google en 2016).
Chacun d’entre eux se définit plutôt comme « assistant personnel intelligent », mais selon Noam Chomski (professeur émérite de linguistique Américain au MIT - Massachussets Institute of Technology - né en 1928), ils seraient « de vulgaires perroquets et non des intelligences artificielles ». Un exemple ? Interrogez-les sur un sujet auquel ils n’ont pas la réponse, ils répliqueront : « je ne peux pas répondre à votre requête ». Pour Chomsky, « ils ont besoin d’un « input » c’est-à-dire d’une source initiale qu’ils pourront ensuite imiter et répéter. Sans cette source initiale, ils ne peuvent élaborer une réponse à partir de ce qu’ils savent déjà.
Le comportement behavioriste, qui consiste à imiter les humains et leur langage, adopté par ces IA ne leur permet donc pas d’établir l’algorithme nécessaire à percer le mystère du langage, celui-ci étant trop complexe. Ces IA ne peuvent pas produire du langage comme nous le faisons, du moins aujourd’hui.
De plus, comme le soulignait encore Pierre Bourdieu (sociologue Français, 1930-2002), « le langage est avant tout un système de relations de pouvoir symboliques où chaque mot dispose d’une signification particulière selon son milieu social, des expériences passées… Le langage est ici un phénomène social. Or, une IA n’a aucune idée si les mots qu’elle emploie sont blessants pour la personne qui les reçoit. »
Logiquement, on ne devrait donc alors pas parler ici de « communication »…
Transhumanité au-delà de la mort
… Mais on veut y croire ! La preuve, saviez-vous que deux chatbots (ou « agents conversationnels » en français), mis au point en 2016 par une Russe et un Américain, ont permis à leurs créateurs de discuter avec leurs proches défunts ? Non, non, on ne parle pas de voyance, de paranormal ou de jolie romance à la Ghost, mais bien de discussion avec une IA… mais comment est-ce possible ?
En fait, ces deux développeurs informatique -chacun de leur côté- ont eu l’idée de compiler toutes leurs conversations et messages échangés avec leur être aimé afin de continuer à discuter avec eux au-delà de la mort. Bien sûr, ce projet a des limites, car même s’il peut simuler une conversation typique comme celle qu’il entretenait de son vivant en utilisant des expressions idiomatiques ou son vocabulaire, le chatbot ne pourra toutefois pas saisir la vision du monde ou l’ironie de la personne décédée. Cela demeure donc une utopie de discussion qui se poursuit au-delà de la mort.
Finalement
Mais alors, dialoguer avec un droïde comme C3PO ne relèvera à tout jamais que du mythe ? À tout jamais, c’est beaucoup dire, mais dans l’immédiat, non, en tous cas !
La structure logique de la théorie linguistique ne peut être qu’imitée, mais pas initiée par une cyber intelligence. Même si « les langues disposent toutes d’un fonctionnement central similaire à celui d’un langage informatique »(théorie de Chomsky), la compréhension originelle du logiciel qui comprend et produit le langage demeure absente chez l’IA et surtout, l’aspect sensible et intime, qui est inhérent à l’humanité même de l’Homme demeurera inaccessible.
Enfin, comme le suggère si bien un proverbe africain : « Le dialogue véritable suppose la reconnaissance de l'autre à la fois dans son identité et dans son altérité.». Or, comment reconnaître autrui si celui-ci est dépourvu de toute humanité ?
Allez, dernière preuve, je viens de questionner Siri sur mon iPhone : « L’intelligence artificielle va-t-elle remplacer l’homme ?» et sa réponse : « Qui, moi ?»…Transhumanité ou pas ? À vous de juger !
Illustrations : Tabble- Pixabay, Chatbot, Conversational experiences
Sources
Siri, Apple, https://www.apple.com/fr/ios/siri/
Alexa, Amazon, https://fr.wikipedia.org/wiki/Amazon_Alexa
Google Home, Google, https://store.google.com/fr/product/google_home
Nous ne sommes pas prêts de dialoguer avec une intelligence artificielle, Adrien Rivierre, 08/12/2017, https://usbeketrica.com/article/pas-prets-dialoguer-avec-une-intelligence-artificielle
L’intelligence artificielle commence à faire parler les morts, Leila Marchand, Les Échos, 05/03/2018,https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/0301278649981-lintelligence-artificielle-commence-a-faire-parler-les-morts-2158493.php
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