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Publié le 19 mars 2018 Mis à jour le 19 mars 2018

Design d’art et design collaboratif ou la gestion de la relation  

Techniques, musicales et pédagogiques

Le design est souvent associé aux créations ou optimisations innovantes.

“Le design est la création d’un projet en vue de la réalisation et de la production d’un objet (produit, espace, service) ou d’un système, qui se situe à la croisée de l’art, de la technique et de la société”.

Wikipedia

Et, si le design était en fait autre chose ?

Prenons l’exemple d’Autodesk.

“Après 30 ans de diffusion de son logiciel de dessin technique Autocad à travers le monde, celui-ci avait été implémenté pour faire de la modélisation 3D. C’était une émulation de la base 2D qui était peu ergonomique et qui se développait  avec beaucoup de difficultés à l’époque. Au début des années 2000, Autodesk achète un tout nouveau moteur de logiciel, super modulable avec des capacités de développement en 2D, 3D, BIM. Un système d’avant garde avec des capacités pouvant surpasser tous leurs concurrents. A partir de ce modèle, 2 logiciels sont développés, Inventor pour l’industrie et le BIM et Revit pour l’architecture.

Jusque là, tout allait bien. Les démonstrations se passaient bien. Le seul bémol à la vente était le peu de personnes formées et opérationnelles sur le système. Ceux qui achetaient devaient faire le grand saut et former toutes leurs équipes.

Au moment de se former commençait à arriver un souci. Le moteur étant innovant, l’équipe de développement avait dans la foulée créé une interface aussi innovante. Tellement innovante que les principaux acheteurs initiaux qui étaient au départ sur Autocad, voire depuis des décennies sur Autocad se sont retrouvés complètement perdus. Ils n’avaient plus leurs points de repères. C’était comme si ils avaient l’habitude de conduire une mercedes mécanique des années 90 et qu’on leur avait vendu une Tesla.

Certains, se sont accrochés pour faire le saut, d’autres sont revenus en arrière. Les deux produits pourtant très intéressants, voire géniaux pour certains utilisateurs, ont stagné pendant plusieures années avant de trouver leur vitesse de croisière”.

Témoignage Virginie Guignard Legros, responsable commerciale
TEGMEN pour la Suisse des produits Autodesk REVIT 2005-2006

Dans le processus de conception du design,  les concepteurs n'avaient pas pris en compte la relation entre le logiciel et son usager. Ils ont innové pour innover, sans tenir en compte des antécédents de leurs utilisateurs. Le design n’est pas seulement la création d’un projet ou d’un système. Le design, c’est principalement le rapport entre l’idée et l’utilisateur et sa formalisation. Est-ce que cela va correspondre ? Est-ce que l’on veut surprendre ? Est-ce que l’on veut accompagner ? Est-ce que l’on veut révolutionner ? Qui est l’usager ? Quels sont ses besoins ? Quelle ergonomie va lui convenir ? Est-ce qu’il peut appréhender les nouveaux services ou formalisations proposées ?

On parle d’innovations qui arrivent au bon ou au mauvais moment. Ce n’est peut-être pas l’innovation qui est en cause, mais le design de l’innovation.

Le design, ce sont toutes les valeurs, idées, règles posées qui vont formater un système. Le formatage de ce système va être agréable ou pas à l’usager. Pourquoi ?

En fait parce qu’il y a deux classes de concepteurs.

  • Les artistes qui créent du design comme on créerait une oeuvre d’art. Ce sont des designers d’art. Selon eux-même, ils sont géniaux, supers, pratiques, incontournables. S'ils sont effectivement bons, oui, cela va matcher avec l’utilisateur, si ne le sont pas bons ou s'ils sont déphasés avec leurs marchés, alors soit l’utilisateur mécontent rejettera le produit, soit on obtiendra un détournement de l’oeuvre par l’utilisateur et là, c’est l’auteur qui sera mécontent.
     

  • Les concepteurs au service des usagers. Ceux-ci prendront le temps d’analyser leurs marchés, de rencontrer leurs utilisateurs afin de leur proposer quelque chose d’ordinaire ou extraordinaire qui sera adapté et qui aura souvent beaucoup de succès. Ce sont des personnes en général qui font passer l’usager avant leur notoriété.

On retrouve ce phénomène aussi dans la musique.

  • Les interprètes musiciens qui jouent à la perfection. Excellents concertistes, centrés sur eux-mêmes, sur leur façon de jouer et sur l’attention que leur porte leur public. Ils sont des représentations d’eux-mêmes et de leur musique. Ils sont en vitrine, on les écoute, on les regarde.
     

  • Les musiciens qui font danser et chanter les gens. Pour eux, l’essentiel n’est pas la musique ou la représentation de la musique, mais, l’accompagnement des danseurs et chanteurs. La synergie des deux qui est essentielle. Le danseur et le chanteur suit la musique et la musique suit les possibilités physiques, le rythme, l’enthousiasme des danseurs ou chanteurs.

Ils sont actifs, collaboratifs, co-créatifs avec leur public. Tout le monde est actif dans la relation.

Et, en pédagogie, c’est la même chose.

  • D’un côté, les agents d'un système hiérarchique, avec le professeur au centre qui communique la connaissance de façon descendante à ses élèves dans le cadre d’un système compétitif. On a des notes, des premiers de classe valorisés. Les décrocheurs au fond de la classe près du radiateur. Ce système traditionnel, transmis depuis des décennies, s’est transposé à toutes les couches de la société. Le design de ce système est figé par la structure de la relation où le professeur est mis sur un piédestal et l’enfant doit entrer dans un moule.
     

  • De l’autres côté, des communicateurs qui sortent du cadre pour partir de l’enfant, de ses possibilités, de ses besoins, de son environnement pour lui permettre de se construire avec ses camarades. L’idée est de co-créer la connaissance par le lien entre l’enfant, le professeur, les objectifs pédagogiques et l’environnement selon des valeurs qui peuvent être variables, mais toujours centrées sur l’enfant. Le cadre est plus souple et on y fait preuve de plus d’agilité de mobilité.

Lorsque l’on observe la pédagogie sous un regard urbain, soit par le regard de l’urbanisme par l’humain, on peut détecter ces deux premiers modèles, mais aussi un troisième type de relation à la conception, aux interactions et donc au design

“En observant plus d’une dizaine d’établissements scolaires (relevant de l’Éducation nationale ou d’associations) en France et en Allemagne, pratiquant des pédagogies actives, nous avons pu caractériser trois grands types d’espaces nécessaires aux dépassements successifs d’une représentation enfantine du monde, à la construction par l’école d’une conscience de la relativité culturelle des représentations qui gouvernent nos pratiques territoriales, et plus généralement le regard que nous portons sur le monde : les espaces participants, les espaces d’interaction sensorielle et les espaces de représentation de l’idée de nature”.

Carnet des études urbaines - Pour une veille et mise en débat des études urbaines par Mathide Girault 2016 - https://urbs.hypotheses.org/203

  • Les espaces participants sont ceux de la création anthropocentrée.

Ils sont ceux de l’artiste qui va créer à partir de lui-même et de son environnement. Ces espaces à travers le rangement qui va suivre et le rapport à l’enfant qui va créer à sa suite introduisent aussi la notion de compétition :

“C’est parce que l’enfant construit un monde avec des planches, des portiques, des tables et des tissus qu’il prend confiance dans la vie : les objets qu’il a la force de déplacer prennent la forme et donnent forme à ses rêves. Et c’est parce qu’il range ensuite les composants de cet espace anthropocentré qu’il entre dans une représentation duale par laquelle il se distingue peu à peu de l’espace.”

CF Carnet des études urbaines

  • Les espaces interactifs existent aussi dans cet exemple.

Ils sont ceux des musiciens et des danseurs. Dans ce cas, c’est le jardin qui se met au service de l’enfant.

“L’enfant y développe son imagination par interaction avec un monde qui, cette fois, s’impose et ne sera pas démonté à la fin de ses jeux. Il entre dans des espaces de perméabilité être-monde, intérieur-extérieur, qui lui sont offerts : sable, eau, végétation. L’espace jusque-là centripète commence à interagir avec l’enfant selon une dynamique centrifuge : l’enfant court partout dans le jardin, équipé d’une laisse qui fait de lui un cheval. Il va cette fois concrètement sauter par-dessus des objets qui ont leur réalité propre, buttes de terre par exemple. Il va s’abriter sous un arbre qui restera au-delà de ses jeux. C’est avec les espaces naturels qu’il découvre l’altérité, et non avec ce qu’il a construit lui-même”.

CF Carnet des études urbaines

Un troisième concept essentiel émerge dans ce texte, un autre design pédagogique qui est celui de la représentation, de l’expression des sentiments, de la communication des concepts.

“Chaque sentiment induit par la perception de la réalité sensorielle doit pouvoir être exprimé, représenté, pour permettre le développement d’une conscience de la relativité des êtres et des choses : c’est grand, c’est petit, c’est froid ou brûlant, c’est simple ou compliqué, c’est terrifiant ou rassurant… À l’école, ces expressions s’apprennent dans des espaces qui n’ont pas tout abandonné des espaces de l’école maternelle, car l’enfant a besoin d’aller vérifier dans le jardin, à l’atelier. Il a besoin de terrains d’expérimentation autant que de terrains d’expression”.

CF Carnet des études urbaines

Ce sont des designs relationnels à partir duquel des projets pédagogiques peuvent être développés.

Que la relation soit anthropocentrée ou dans l’interaction avec les autres voire même dans l’extrapolation, celle-ci va générer un design, une façon de créer, de faire, d’être et donc de structurer l’objet pédagogique.

Il n’y a pas de bonnes ou mauvaises façons, il y a juste des utilisateurs face à des designs qui leur sont adaptés ou pas selon leur nature ou leur âge ou le moment de la journée. Il y a aussi des mutations de sociétés qui vont valoriser un design par rapport à un autre et faire que celui du jour ne correspond plus aux besoins conceptualisés du moment.


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