Partie 1 - Le bon sens est-il de l'innovation ?
Partie 2 - Penser l'apprentissage ?
On a pu mesurer votre hyper-activité pédagogique dans les deux premières interviews. Vous ne vous arrêtez pas là ! J’ai appris au cours de nos échanges que vous propulsez des MOOCS ?
Fabien Hobart : En réalité tout est parti d’une rencontre courant de l’hiver 2015 avec Ange ANSOUR et François TADDEI. Le programme Savanturiers - École de la recherche, interface pré-bac du Centre de Recherches Interdisciplinaires, prenait son envol avec un intérêt croissant de la part de la communauté éducative. Ange a oeuvré pour développer un écosystème de formation au modèle de l’Éducation par la recherche à la fois par des dispositifs de formation en présentiel mais aussi en ligne.
Le CRI m'a proposé l’ingénierie pédagogique des 9 MOOCs de la série Éducation par la recherche. Comment ne pas embarquer Régis dans l’aventure, forts des compétences développées dans ce domaine au travers de Twictée et de Nipédu. Comme aime à le répéter Ange, c’est un très beau projet qui nous a permis d’élargir le spectre des rencontres et des domaines exploratoires, notamment du côté de la recherche.
Qu’est-ce qui fait alors, le sel d’un MOOC réussi, selon vous ?
Régis Forgione : Si je devais résumer en 3 points je dirais :
- une scénarisation pédagogique bien pensée et solide,
- un accompagnement des apprenants et
- une animation de communauté active et enrôlante,
bref les ingrédients classiques de la pédagogie, non ?
Dans Nipédu, vous parlez d’un objet conceptuel non identifié : le conservatisme dynamique. En quoi Nipédu et la twictée reflètent cette idée ?
FH : Je vais laisser la parole à Régis car c’est toujours lui qui dit “Fabien ¨parle de conservatisme dynamique”. On va voir s’il comprend ce que je veux dire !
RF : Le plus parlant c’est avec Twictée. Fabien disait tout à l’heure que cela commençait par une bonne vieille dictée traditionnelle. Le maître marche en classe, avec le texte sous les yeux et dicte aux élève etc. Ça s’inscrit dans une tradition que l’on a souhaité dynamiser avec les outils d’aujourd’hui. Une dynamique nouvelle mais ancrée dans la tradition.
C’est pour cela que vous vous êtes définis comme maîtres d'École dans la première partie de l’entretien ?
RF : C’est peut-être pas anecdotique mais maître d’école, instituteur, on aime bien ces mots-là, Ce serait du conservatisme dynamique à l’envers face à professeur des écoles là ? Tu vas trop loin pour moi philosophiquement là Nicolas ;-)
Développement professionnel, personnel, empowerment, peu importe les mots. J’ai le sentiment que les collectifs enseignants témoignent de la volonté de progresser et de se donner collectivement le pouvoir d’agir. Est-ce que vous partagez ce sentiment ?
RF : On peut prendre appui sur la relation des enseignants avec Twitter. On peut dresser une forme de typologie. Il y a des enseignants qui viennent montrer ce qu’ils savent faire, d’autres n’osent pas et viennent s’inspirer. On commence par regarder ce qui se fait, puis on peut participer à un projet. Il y a un effet d’attraction, les enseignants se regroupent par convictions, compétences ou envies de projets communs. C’est de là que naissent les projets et que la dimension change.
On peut parler à ce moment-là de développement professionnel. L’enseignant n’est plus seul dans la classe puisqu’il s’inscrit dans un collectif qu’il ne trouverait pas ailleurs que dans le réseau social qu’il fréquente. Cela fait boule de neige où collectivement on progresse de manière professionnelle, peut-être, mais personnelle aussi.
Nicolas Le Luherne : c’est vrai, j’ai le sentiment d’avoir progressé grâce à ces rencontres et grâce à vous.
Sans trop en dévoiler sur votre prochaine chronique pour les cahiers pédagogiques, vous allez aborder la question des Trolls. Au cours des deux dernières années, l’univers éducatif français se déchire parfois sur les réseaux sociaux : trolling mais aussi incapacité à supporter la critique. N’est-ce pas fatiguant et décourageant ?
RF : Du côté du trollage, on ne s’y intéresse vraiment pas. Quand tu es investi dans tous ces projets tu as moins le temps de fureter sur Twitter. Tu vois moins le côté obscur de la chose. On est adepte du “Don’t feed the Troll !”. Nous n’avons jamais vraiment été attaqués de ce côté-là. On n’y a jamais été vraiment confrontés professionnellement, ni personnellement et on n’en a jamais tenu compte.
Du côté fatigue et lassitude, au contraire, on a eu un regain d’énergie à partir du moment où l’on a vu tous ces enseignants pas du tout technophiles rejoindre ces projets. Quand on était dans l’entre-soi des débuts où l’on était tous des fans de Twitter et plus ou moins experts numériques, pour construire un projet, c’était facile. Aujourd’hui, on a des enseignants qui frappent à la porte, qui souhaitent faire des twictées mais qui ont le sentiment de ne pas être compétents en numérique. Le vrai enjeu, il est là, il faut les amener à atteindre leur objectif. Plutôt que de se dire c’était mieux avant, nous on se dit tout ce chemin parcouru, c’est pour l’aider lui et aller plus loin ensemble.
FH : Je pense que toute critique est bonne à prendre. Derrière la virulence de certains Trolls voir le caractère obscène de certaines attaques, il est assez facile de trier le bon grain de l’ivraie. On considère chaque interpellation qui nous est faite comme une façon de challenger et une opportunité de réfléchir davantage sur nos propositions comme sur notre engagement.
Comme tu nous invites à la confidence, Nicolas, il y a le fait de ne pas s’exposer. On a toujours été au service de ces projets qui nous tenaient à coeur et que l’on a contribué à construire. il n’y a jamais eu une volonté d’autopromotion. En tant que briscards (vieux soldat de métier) du numérique, on peut apporter une critique à ce type de positionnement. On ne l’a pas fait, pas parce que l’on est plus humbles ou meilleurs qu’un autre, mais juste parce que cela pouvait desservir le projet à un moment ou à un autre. L’objectif est bien l’acculturation des collègues à une forme de pédagogie qui pouvait les aider dans leur quotidien mais aussi en pensant que mieux vivre sa profession, c’est mieux la vivre dans son quotidien.
L’autopromotion est quelque chose qui me questionne.
Il faut garder l’humilité et une forme de contrôle de son image sur les réseaux. L’important est de travailler tous ensemble dans cette forme d’intelligence sociale dont tu parlais tout à l’heure. L’important pour paraphraser un livre que j’apprécie particulièrement est la cause des enfants et celle des élèves.
RF : Je voudrais ajouter quelque chose qui n’est pas anecdotique et la preuve en est cette petite visio (40 minutes quand même Regis !). Tu parlais de lassitude, on est un duo. Il y a ce phénomène de binôme dans pas mal de projets qu’on croise ici et là. Quand on est à deux, on est blindés contre les coups de mou. Il y en a toujours un pour relancer l’autre. Sans compter, pour la petite confidence, que Fabien est plutôt un lion du matin et moi un loup du soir (on saura tout) ; bref on est bien plus productifs à deux que seuls.
Si j’ai envie de contacter Twictée ou d’écouter Nipédu, comment je fais ? (#jaicopiénipédu)
RF : @Nipedu, @Karabasse77, @JeanPhi_Maitre et @profdesecoles , c’est le plus simple.
FH : Le pseudo le plus pourri de la timeline numérique éducatif c’est moi qui l’ai les gars !
Pour finir cet entretien, je crois que la dimension du rêve est très importante en matière d’enseignement. Comment imaginez-vous l’école de demain ?
FH : Enseigner c’est avoir les yeux dans les étoiles et les deux pieds sur terre. L’École de demain, je ne l’imagine pas foncièrement différente. Une École capable de garder toutes ces bonnes innovations qui à travers les siècles, de Platon à aujourd’hui en passant par Comenius, a su nourrir la réflexion de la pédagogie. C’est une École qui va considérer chaque individu pour pouvoir créer des collectifs puissants et potentialiser les talents de chacun au service de l'intérêt commun et du vivre ensemble. Cela résume les projets que l’on coordonne et que tu mets aimablement en lumière aujourd’hui J’ai envie de reprendre quelqu’un que l’on aime beaucoup avec Régis, Edgar Morin et ses compétences de l’Humanité.
RF : La phrase de Fabien me rappelle la fameuse citation de Coluche mais ce serait moche de finir l’entretien comme ça :-) « Savez-vous pourquoi les Français ont choisi le coq comme emblème ? C’est parce que c’est le seul oiseau qui arrive à chanter les pieds dans la merde ! » La dureté du métier qu’on ne peut pas nier n’empêche pas les profs, chaque jour, une fois devant leurs élèves, de continuer à vouloir allumer des flammes. En terme de rêve c’est l’école d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Sources :
Le programme Savanturiers, https://les-savanturiers.cri-paris.org/
CRI - https://cri-paris.org/
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