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Publié le 26 février 2018 Mis à jour le 26 février 2018

Les dérives de la formation des dirigeants freinées par les MOOC ?

Une caste qui affermit sa position

Le prix de l’enseignement supérieur a un coût

Les écoles d'enseignement supérieur coûteuses continuent à prospérer. Les plus chères proposent des cursus à 85 000 euros l'année. Vous avez bien lu, c'est le prix d'inscription à l'exécutive MBA de l'INSEAD une école française installée dans la forêt de Fontainebleau, réservée aux cadres ou entreprises fortunées. On trouvera sûrement des prix encore plus ahurissants en Amérique du Nord ou en Asie.

En France après un programme de préparation aux grandes écoles le cursus initial dans une école de commerce coûte de 9 000 à 17 000 euros. Faites le compte pour une scolarité de 3 ans. Ceci n'est rien à côté des «10 meilleurs EMBA (Executive MBA) internationaux» relevés dans la liste du Point dont le prix se tient dans une fourchette de 160 000 à 201 000 euros.

D'aucuns pourraient affirmer que les choix éducatifs de l'enseignement supérieur appartiennent à un marché et que chacun est libre d'acheter une formation et de vendre un cursus. C'est sans compter sur les comportements et pratiques délétères induits par la marchandisation du savoir. On ne compte plus le nombre d'alumni de ces écoles qui ont failli et font la une des journaux à scandales en se connectant les uns aux autres pour faire des affaires (cf. Wikipédia scandale). Par ailleurs, cet achat de mérite scolaire à peine déguisé constitue une reproduction légalisée des injustices sociales. Un fils de milliardaire à plus de chance d'accéder à un tel cursus que quiconque d'une classe moyenne ou pauvre.

Structurellement la façon de socialiser les futurs dirigeants à des métiers de management uniquement basés sur le profit est en cause (Cristol, 2011). L'environnement pédagogique proposé renforce une déconnexion à soi, aux autres et au monde qui nous entoure. Les participants à ces cursus sont programmés pour optimiser la dimension financière des entreprises. Les options culturelles ou créatives accessibles au cours de la scolarité constituent le vernis de l'honnête homme façon renaissance; mais parviennent difficilement à développer de la réflexivité ou un quelconque étayage ontologique pour se tenir dans la société. Le développement personnel proposé tient plus de l'ego-building dans une ambiance riche de moyens et de ressources qui rappelle que seuls des êtres excellents sont admis. Les quelques programmes innovants sont marginaux dans les effectifs, parfois ils tiennent de l'alibi ou de la mise en scène à l'heure du green-washing.

Conséquences de cet égarement économique non régulé

Les participants vivent une socialisation différente d'étudiants ayant d'autres formations qui ne parleront plus le même langage. Irrémédiablement les trajectoires s'éloignent. Ceux ayant suivi ces cursus coûteux vont vers les affaires. Carrières privées et publiques divergent. Cela conduit à un affaiblissement de l'intérêt général au profit des intérêts particuliers et financiers. Les intérêts de la planète sont parfois pris en compte quand l'actionnaire l'exige mais restent exogènes à l'ADN de cursus basés sur des techniques et outils de gestion. C'est toujours une contrainte extérieure ou la peur d'une loi qui pousse l'entreprise à adopter un comportement respectueux de l'environnement et des plus fragiles. Il faudra un travail personnel des dirigeants pour que des prises de conscience opèrent sans contrainte. Quand ils vont à contre-courant d'une évidence économique, c'est un exploit et cela finit par se transformer en argument publicitaire qui produira du cash à son tour.

Dans ce système les élèves qui ont été éduqués à être les meilleurs pour passer un concours et réussir un examen ont intégré la relation entre réussite individuelle et rétribution. Ils sont invités à être excellents individuellement tout au long de leurs études. Cette logique se poursuit par la suite, et ils se méfient voire rejettent l'idée de travail collaboratif qui leur est contre intuitive. Pourquoi collaborer quand l'histoire de ma vie héroïque est de mener à bien des succès solitaires?

Le façonnage des égos est plus fait de compétition que de coopération. L’enseignement du management finit par empêcher le développement des managers ? (Cristol, 2009). La suite est un entre soi de compétiteurs, une conformisation aux signes extérieurs de succès et finalement un appauvrissement du désir et une perte de capacité d'innovation. Il est plus facile de racheter une start up en croissance. Chacun se réalise parce qu'il dépasse les autres dans des règles convenues et non parce qu'il est plus créatif.

Le système produit une exclusion sociale de ceux qui ne se conforment pas à ces repères et dans le même temps consacre un transfert de capital immatériel (réseaux sociaux, capital symbolique) pour les autres. Certains moins riches s'endettent mais ils sont loin de disposer du capital social familial qui leur permettra d'accéder aux meilleurs postes. Cet endettement entraîne une course aux salaires pour se rembourser et affaiblit le discernement une fois aux affaires pour juger de ce qui est in éthique ou pas. Cette bulle d'endettement et de spéculation inscrit le remboursement comme éthique de vie. Cet endettement croît car qui va payer le recrutement de professeurs stars qui renchérissent les prix de vente des cursus (450 000 euros pour le professeur Florencio Lopez de Silanes chez Skema Business School en france)?

Les règles de gestion des établissements et les systèmes d'accréditation (AACSB, Equis) orientent les enseignants vers la recherche et la publication au détriment de la pédagogie. Un article de recherche dans une revue classée est rétribué mais jamais la progression des élèves. Les enseignants soutiennent donc les normes éditoriales qui les enrichissent au détriment de leur créativité et de leur pouvoir d'exploration. Ils répondent au besoin du main Stream des journaux de recherche qui se soucient avant tout  des sujets en vogue. Il en résulte pour leurs élèves une faible créativité et capacité d'émancipation puisqu'il s'agit d'adopter les normes d’accréditation, d’édition, de programmes qui satisferont un employeur rassuré par un label scolaire.

Qu’en est-il du tournant annoncé des  MOOC ?

La banalisation d'un marché de la connaissance est en marche. Ce qui devrait être un bien commun de la connaissance fait l'objet de transactions qui profitent des intérêts particuliers et pas de l'intérêt général. Pourtant dès leurs apparitions les MOOC ont été adoptés par les business school. Ils ont ouverts leurs cours  « Les MOOC sont un tournant et auront un impact sur l’enseignement supérieur en France et dans le monde. Nous devions être parmi les premiers à expérimenter cela. C’est important en terme de crédibilité et visibilité», argumente en 2013, Nathalie Lugagne, doyenne exécutive de la faculté et de la recherche à HEC Paris dans un article du Figaro.

Les MOOC sont sensés démocratiser l’enseignement  supérieur.  La méta recherche réalisée par Condé et Huguenin en (2017) à l’occasion de la conférence EMOOC 2017  nous apprend que :

  • 84 % des participants interrogés rapportent que « le suivi d’un MOOC a été bénéfique pour leur carrière et 29 % évoquent plus particulièrement des bénéfices tangibles (promotion, changement de postes, etc.) »
  • Les entreprises suivent de façons erratiques les initiatives individuelles et sont dépassées par elles (étude sur 14 MOOC de Coursera)
  • Les apprenants se connectent entre 21h et 22h en dehors des heures de travail  (exemple du MOOC  Gestion de projet)
  • Des barrières s’installent et la gratuité n’est plus totale, des fonctionnalités sont payantes en particulier pour les entreprises qui souhaitent bénéficier de tracking de connexion
  • Des MOOC sont intégrés dans des parcours de Licence ou de Master entraînant la délivrance de crédits de type ECTS. La question de la  reconnaissance de la qualité des ECTS d’une université à l’autre est également présente
  • Les administrations et universités tendraient à ralentir le développement des MOOC (étude citée de Wilde et Haugsbakken), notamment au regard des découpages des semestres universitaires qui se recoupent peu avec les temporalités des MOOC. Les enseignants se sentiraient également dépossédés de leurs contenus
  • La question de la fraude aux examens pour des MOOC comptant dans des examens persiste
  • Selon l’EADTU « les Universités nord-américaines seraient proportionnellement moins nombreuses que les universités européennes à produire des MOOC (de 30% à 60% d’un côté, contre seulement 12% de l’autre) »
  • FUN persiste à offrir des contenus gratuits à un moment où de nombreux opérateurs commencent à vendre des prestations. Cela constitue un modèle européen original. Chaque pays en Europe développe des stratégies en phase avec la politique éducative nationale souvent avec le soutien de fonds européens.

La méta étude et les recherches sélectionnées montrent que la démocratisation de l’enseignement supérieur et de la connaissance est une réalité qui s’enracine avec une tentation du marché toujours aussi présente. Le coût à payer pour les nouveaux autodidactes demeurant un effort individuel de formation en dehors des temps de travail.

Sources :

Le Point les 10 meilleurs EMBA du monde http://www.lepoint.fr/content/system/media/0/1658/093emba.pdf

Wikipédia - Scandale - https://fr.wikipedia.org/wiki/Scandale

AACSB - http://www.aacsb.edu/

Thot Cursus Edu –Les communs de la connaissance https://cursus.edu/11464/les-communs-de-la-connaissance

Russeurope - Les Prêts Etudiants sont-ils les nouveaux « subprimes » aux Etats-Unis https://russeurope.hypotheses.org/5644

Cristol, D. (2011). Qui nous dirige? Pourquoi le font-ils?. La Revue des Sciences de Gestion, (5), 21-29.

Cristol, D. (2009). L'enseignement des sciences de gestion s' oppose-t-il à l'apprentissage du management?. Revue internationale de psychosociologie, 15(37), 307-325.
http://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychosociologie-2009-37-page-307.htm

Skema - Skema renforce son excellence académique
http://www.skema-bs.fr/actualite-skema/skema-renforce-son-excellence-academique

HEC, première business school française à se lancer dans les MOOC - Lucile Quillet  - L'étudiant
http://etudiant.lefigaro.fr/les-news/actu/detail/article/hec-paris-premiere-business-school-francaise-a-se-lancer-dans-les-mooc-3010/

Condé, Jean et Huguenin, Sonia (2017). État des lieux des MOOC au prisme de la conférence EMOOCS 2017. Adjectif.net Mis en ligne vendredi 21 juillet 2017 [En ligne]
http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article435

Agence Erasmus – ECTS - http://www.agence-erasmus.fr/page/ects


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