Mythes et réalités de l’enseignement synchrone, selon Jennifer Hofmann***
Faire face et résoudre les diverses objections présentées; les plus sérieuses comme les plus irrationnelles.
Publié le 22 avril 2019 Mis à jour le 22 avril 2019
Traiter de l’innovation dans l’enseignement est un sujet qui a nécessité un travail de conceptualisation et de cadrage théorique dans cette thèse. Un rapprochement est réalisé entre enseignement et tradition car les deux notions s’intéressent à la transmission des savoirs et à une culture entre individus et entre des générations.
L’auteur s’interroge sur le fait identitaire des innovateurs et de leur relation à l’innovation. Pour la contextualisation une compréhension de dispositif organisationnel encadrant toute formation est particulièrement étudiée. Les trois études de cas proposées concernent : le cas des formations à l’innovation en écoles d’ingénieurs; le cas de l’école 42, école de formation pour programmeurs; le cas du Bachelor Jeunes Entrepreneurs à l’EM Strasbourg.
Deux concepts clés traversent la thèse : la formation et l'innovation. La formation est décrite, à partir de deux de ses composantes tout d’abord avec le paradigme pédagogique, au niveau de sa conception, ensuite avec le système d’enseignement, au niveau de sa réalisation pratique. L'innovation est décrite comme cyclique (en référence à Schumpeter) qui est un changement nécessaire pour que le système puisse continuer dans un même paradigme ; ou comme radicale qui implique une mutation, la disparition d'un ancien système et la naissance d'un nouveau.
La tradition oscille entre deux forces; elle est conservatrice et adaptative/créatrice. « La tradition s’apparente ainsi à une transmission culturelle légitimée par le passé ayant un enjeu identitaire. Elle assure une continuité mais ne s’oppose ni au changement, ni à l’innovation ».
Par exemple dans l'école d'ingénieurs étudiée, la construction identitaire est véhiculée par la tradition. Les valeurs, codes, normes, représentations que l’école transmet sont parfois en dissonance avec le processus de construction identitaire. Dans le même temps l’injonction à l’innovation attire de nouveaux candidats et renforce le prestige de l’école et pose des questions d’articulation entre mécanismes de construction de l'identité professionnelle et certains types d'innovations. Dès lors il s’agirait de prendre en compte cette construction comme un processus pédagogique à part entière intégrant
La formation à l'innovation, en particulier la radicale, serait fondée sur la construction d'une identité singulière et spécifique de chaque innovateur.
Cependant, le paradigme de transmission/acquisition qui domine dans la plupart des écoles d’ingénieurs limite leur efficacité et le passage vers la formation des innovateurs radicaux. La thèse montre les lacunes dans les processus de construction identitaire des programmes de construction identitaire étudiés.
La question se pose de l’articulation d’une culture hiérarchique d'acquisition, avec un environnement égalitaire et émancipant ? Comment transformer une culture centrée sur la transmission des savoirs à une culture centrée sur l’action et le dialogue entre apprenants et enseignants ? Deux formations qui ont choisi l'option de la rupture montrent les articulations possibles.
L’école 42 a été fondée en 2013. Elle limite, par une structure axée sur l’autoformation, la médiation entre les savoirs. Cette absence ne compromet pas l'efficacité de l'apprentissage étant donné le contenu de l'enseignement, le codage, que la machine accepte ou refuse sans ambiguïté, mais des effets sur la posture des membres du pesonnel sont observables. Cette posture est ambiguë.
Le personnel, notamment étudiant, est divisé à ce propos et produit pour certains l’effet d’être un produit, ou de vivre des règles sans réellement les accepter avec une part de tension croissante relative aux possibilités ou non d’emploi. Une utopie managériale de hiérarchie plate inspirée des logiques de don-contre don s’exprimant dans un système total de donner-recevoir-rendre est mise en regard du besoin de soutien et de construction affective qui diffère d’un étudiant à l’autre et pour lequel l’école et l’acceptation dans la « famille » que constitue l’école, rend centraux la relation aux règles et aux attendus pour s’inclure, se socialiser et être accepté.
Dans le même temps cette appartenance est accompagnée d’une culture où il s’agit de vaincre dès qu'il y a compétition. Cette compétition semble à ce jour supportable car la demande pour employer des développeurs est élevée et les salaires proposés élevés. Si les conditions changent la question de l’éthique se posera avec beaucoup plus l’acuité et ce qui se présente comme émulation aura un tout autre poids.
Enfin la thèse montre un système qui se veut « environnement d’apprentissage ouvert », quoique prédomine des référents sémantiques liés à l’appartenance à une famille ou à une maison. Du reste des espaces pour dormir, se laver, se distraire, jouer ou se cultiver sont présents. L’espace de 42 est univers en soi où un étudiant peut vivre presque en autarcie et dans une culture très en décalage avec le reste des codes sociaux, y compris avec des horaires décalés et choisis (les étudiants commencent généralement leur journée vers 14/15h), qui coupent du reste de la ville.
De nombre signaux vont vers l’entre soi et la fermeture vers ses propres codes sociaux. L'école 42 permet donc de mener une expérience radicale. L'absence de contraintes économiques et de normes sociales autorisent les membres du personnel, et surtout les fondateurs, à mener leur projet pédagogique dans toute la force et la cohérence de son modèle, fondé sur une culture propre qui s’érige progressivement en une tradition. Des questions relatives au modèle pédagogique se posent :
Selon l’idée que l’innovation réside dans l’actualisation de la tradition afin de proposer une vision du futur qui fasse sens, alors toute école se prétendant innovante devrait la transformer et l’adapter en permanence, sous peine de sombrer dans le traditionalisme en restant centré sur une structure et un modèle figé.
L’étude du Bachelor jeunes entrepreneurs pose la question de savoir si l’école est un environnement émancipant ? Les conditions et les caractéristiques d'une formation visant la mise en action durable au-delà d’un espace formatif, comme par exemple devenir entrepreneur, va au-delà de l’acquisition des gestes d’un métier certifiable. Les situations entrepreneuriales sont trop variées pour cela. Devenir son propre patron est désirable mais la possibilité réelle de la faire s’éprouve en formation à travers l’expérimentation collective et solidaire de projets variés de plus en plus complexes qui permettent de convertir les potentialités en accomplissements et de construire par là une identité entrepreneuriale.
Le travail d’observation réalisé montre que l’augmentation du pouvoir d’agir repose sur l’apprentissage par l’action, rendu possible par un environnement donnant toute sa place à la parole individuelle et collective sur l’action. Cependant l’ancrage de ce pouvoir d’agir est subordonné à la transformation psychologique des étudiants qui construisent une identité professionnelle d’entrepreneur en équipe leur permettant de reproduire ailleurs les conditions relationnelles qui ont assuré leur apprentissage.
Dans le dispositif du bachelor, le processus de transformation des étudiants repose sur une intention émancipatrice du système qui vise à faciliter le passage de la posture d’apprenant en sujets capables de réussite et de rebonds en cas d’échec. Le dispositif pédagogique est conçu comme un collectif apprenant. Cette conception est la clé d’un véritable changement de paradigme pédagogique. Le cœur de l’apprentissage est la construction des ressources de son identité et de la conscience de soi au-delà de la réalisation d’une acquisition. L’auteur reprend Stiegler (2012) qui affirme ;
« Nous allons ainsi vers la question de l’émancipation : celui qui acquiert un savoir, l’acquiert non pas pour s’y conformer mais pour le transformer. Le modèle de transmission du savoir ce n’est pas la conformation, ça c’est ce qu’on appelle les compétences, c’est la transformation, et ça c’est ce qu’on appelle le savoir. Le savoir c’est le pouvoir que j’ai. Le pouvoir et le savoir que j’ai de me transformer et de transformer les autres. Et de transformer les savoirs eux-mêmes.»
L’auteur propose plusieurs points de conclusion :
Cet environnement est appuyé par des postures d'accompagnants dont :
L’ambition est que l’analyse de ces résultats permettent d'approfondir l'expérimentation et la construction de savoirs sur la mise en place, la gestion et la pérennisation des environnements émancipants.
Illustration : Vadim ZH sur Reshot
Source
Télécharger la thèse : Les formations à l’innovation entre tradition et rupture. Thèse de doctorat à l'Université Paris-Saclay- Tiphaine Liu
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01878885/document
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