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Publié le 15 novembre 2010 Mis à jour le 15 novembre 2010

L'élève à Manchester, le prof à Chandigarh*

La nouvelle a été publiée en septembre dernier dans le quotidien The Guardian : des diplômés indiens en mathématiques donnent des cours particuliers à distance aux élèves britaniques. Ils ne le font pas de leur propre chef, mais engagés par une entreprise de soutien scolaire, BrightSpark Education, qui a formé 100 tuteurs (professeurs particuliers) au Penjab, les paie 7 livres de l'heure dans un état où le salaire moyen à ce niveau de diplôme est de 2,5 livres, et facture 12 livres de l'heure aux parents qui achètent ces cours, contre le double à ceux qui choisissent de faire appel à un enseignant local.

Les tuteurs sont disponibles 24 heures sur 24, dispensent leurs cours en visioconférence et avec un tableau blanc interactif, ont des rendez-vous réguliers avec les parents pour faire part des progrès ou des difficultés des enfants. Les cours sont enregistrés et peuvent être visionnés à tout moment par les parents et les superviseurs.

Une école privée a elle aussi franchi le pas : elle a passé contrat avec BrightSpark Education pour une heure hebdomadaire de cours de soutien en maths, dispensé à une trentaine d'élèves.

Pénurie de profs de maths en Grande-Bretagne

En Grande-Bretagne comme en de nombreux pays développés, la carrière d'enseignant n'a plus la cote; les matières scientifiques sont les premières à souffrir de cette désaffection, qui se remarque dès l'université. Ainsi, "en 2009, 5 980 étudiants ont passé un diplôme de maths en Grande Bretagne. En Inde, 690 000 étudiants obtiennent un diplôme de maths et de sciences, chaque année". 

Si elle est avancée comme le principal motif de cette délocalisation des recrutements d'enseignants dans l'article du Guardian, la réduction des coûts ne peut pourtant être considérée comme le seul argument en faveur d'une pratique fermement condamnée par les syndicats enseignants britaniques. La pénurie de main d'oeuvre est une réalité bien plus brûlante : en Grande-Bretagne comme ailleurs, la demande de cours particuliers explose et les entreprises spécialisées peinent à recruter des tuteurs en nombre suffisant, et surtout disponibles aux heures souhaitées par les familles.

Les critiques contre ce dispositif ne manquent pas. Certains estiment que la qualité des cours est nécessairement moins bonne, car l'enseignant n'est pas familier de la culture de ses élèves. D'autres disent que rien ne remplace le face à face entre un adulte et un enfant. Mais d'autres rétorquent que le dispositif à distance a aussi des vertus, dans la mesure où l'élève est moins intimidé que lors d'une situation en face à face réel. 

Faillite d'un système ou preuve de ses capacités d'adaptation ?

Comme d'habitude, on peut préférer voir dans ce dispositif un verre à moitié vide, ou à moitié plein. Les tenants du vide crieront au galvaudage de l'éducation, à la faillite du système éducatif national qui n'est plus capable de recruter les meilleurs étudiants et dispense un enseignement si médiocre qu'un nombre croissant de familles se voit contraint de faire appel à des cours privés; les tenants du plein verront là un dispositif qui permettra précisément de sauver le système éducatif à l'heure où les meilleurs diplômés en maths ne rêvent que de faire carrière dans la finance; un dispositif consacrant la place de certains pays émergeants au premier rang des nations éducatives; un dispositif enfin démontrant avec éclat le rôle incontournable assuré par les TICE, qui libèrent les élèves et les administrations scolaires du carcan de l'unité de temps et d'espace et leur donne ainsi la possibilité d'assurer la continuité éducative en dépit des difficultés locales.

Quelle que soit la vision privilégiée, on constatera que les dipositifs à distance de cours particuliers ou collectifs ne font pas l'objet de critiques tant qu'ils concernent des élèves et des enseignants du même pays, voire de la même culture. Les expérimentations menées aux Etats-Unis, en France et ailleurs, les applications développées par des sociétés ou des particuliers, sont vues avec bienveillance. Si la nouvelle relatée par The Guardian a provoqué un certain émoi, c'est bien parce que la véritable nouveauté tient à la délocalisation dans un pays à bas coût de main d'oeuvre de la ressource humaine elle-même, celle que beaucoup considèrent, dans sa réalité physique, comme l'ingrédient essentiel à une éducation digne de ce nom.

Enseignant ou médecin en Inde : des profils très recherchés par les pays du Nord

Cette nouvelle n'est finalement qu'un avatar supplémentaire de l'éducation à bas prix, que subissent par exemple nombre d'enseignants de Français Langue Etrangère (FLE), désormais contraints de faire cours pour 7 euros de l'heure ou moins; elle atteste enfin que l'éducation ne disposera bientôt plus d'un traitement spécial la protégeant, à l'inverse de la médecine qui a délocalisé une partie de ses diagnostics vers les pays émergeants depuis de nombreuses années, de la concurrence intellectuelle appliquée aux services de base.

Indian maths tutors to teach UK pupils. Jessica Shepherd, The Guardian, 10 septembre 2010

Photo : Hameet Bhatia, Flickr, licence CC.


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