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Publié le 10 septembre 2017 Mis à jour le 10 septembre 2017

Peut-on apprendre une autre langue quand on est analphabète ?

Rencontre avec Lis-moi tout Limoilou

« Un peuple analphabète, sans écriture, sans mémoire, est un peuple qui n'a pas d'histoire »

Ainsi parlait Jean-Marie Adiaffi (1941-1999), poète et romancier Ivoirien, grand prix littéraire d’Afrique Noire.

En effet, les écrits forment les fondements de toute histoire culturelle. Comment pourrait-on connaître celles qui nous ont précédé si aucune trace écrite ne nous était jusqu’alors parvenue ? Dans chacune des sociétés historiques existantes depuis les débuts de l’humanité, le besoin de perpétuer le savoir et les connaissances était omniprésent. Certes, tous les peuples n’avaient pas accès à l’érudition de la lecture et de l’écriture, mais au moins une partie de la population (infime soit-elle) a pu laisser des traces écrites pour la postérité.

Cette question en soulève une autre. L’analphabétisme – soit le fait de ne pouvoir ni lire, ni écrire, fait-il de l’homme un être qui ne peut accéder au savoir, et donc à la connaissance linguistique ? Autrement dit, peut-on apprendre une autre langue si on est analphabète ?

Avant de commencer…

… J’ai moi-même été déjà confrontée à cette réalité. En effet, j’ai eu l’occasion, pendant un peu plus d’un an, d’enseigner à des adultes analphabètes : dans leur propre langue (le français aux Québécois), mais aussi en seconde langue (le français à un groupe de réfugiés Bhoutanais au Québec). Dans un cas comme dans l’autre, notre sensibilité d’enseignant est mise à l’épreuve car l’approche pédagogique et didactique, mais aussi humaine et sociale, est complètement différente.

Lis-moi tout LimoilouBienvenue à Lis-moi tout Limoilou !

Je tiens ici à souligner l’exceptionnel travail de Mme Nicole Landry, directrice de Lis-moi tout Limoilou, un organisme en alphabétisation populaire autonome accrédité par le ministère de l'Éducation en 1996, situé dans l'arrondissement de Limoilou, dans la ville de Québec. Mme Landry œuvre depuis de nombreuses années pour l’alphabétisation des adultes, locaux ou immigrants.

Véritablement impliquée dans cette problématique et ayant eu le privilège de travailler – et d’apprendre- à ses côtés, elle m’a semblée toute indiquée comme personne référence quant à l’élaboration de cet article. Je l’ai donc rencontrée pour lui poser la question fatidique : « Peut-on apprendre une autre langue si on est analphabète ? ». Petit compte-rendu d’une entrevue passionnée et passionnante concernant les immigrants analphabètes à Québec en processus de francisation (apprentissage du français langue seconde).

Entrevue avec Mme Landry

Selon Mme Landry, « apprendre est un droit » et tous devraient y avoir accès. Elle tient avant tout à bien mettre les choses au point en définissant ce qu’est un analphabète :

  • Quelqu’un de peu alphabétisé (lecture-écriture au minimum);
  • Quelqu’un qui n’est pas alphabétisé (jamais allé à l’école);
  • Quelqu’un qui subit une déficience intellectuelle ou qui a un problème de santé mentale.
     

Dans chacun de ces cas, il va de soi que l’apprentissage d’une autre langue ne se fera pas d’une manière conventionnelle, comme avec un apprenant traditionnel, « alphabétisé ».

Bien qu’elle soit convaincue du fait que chacun, analphabète ou pas, soit capable d’apprendre une langue autre que la sienne, elle convient toutefois qu’il y a certaines difficultés :

« Les vitesses d’apprentissage sont différentes, ça prend du temps. Il faut une approche spéciale, un matériel spécial. On demande une réelle ouverture aux formateurs, à l’organisme, aux participants, au ministère et aux partenaires ».

Quand je lui ai demandé de me détailler chacun de ces points, à commencer par la durée de cet enseignement, elle m’a répondu :

« c’est difficile à estimer, certains sont là depuis 4 ans. Le problème, c’est de bien se positionner. L’apprenant connaît-il des difficultés personnelles ? Un problème de santé mentale ? Des troubles de l’apprentissage ? Il faut s’interroger sur son parcours, son âge, son environnement, sa famille, s’il/elle a eu des chocs dans sa vie, si l’école est un élément important dans sa culture ou son pays d’origine… ».

Bref, une accumulation de petites informations qui s’avèrent pourtant cruciales quant à la démarche didactique et pédagogique à engager.

« Plus tu as de la difficulté en classe, moins tu transfères ce que tu as appris à la maison ».

Elle souligne également l’importance de l’intégration à la société d’accueil :

« Pour ceux et celles qui sont mariés avec des Québécois/es, ça pose moins de problème. Ils sont mieux intégrés, ils pensent différemment, ils sont prêts à s’ouvrir à autre chose, à modifier leurs comportements sociaux ».

Car oui, c’est un autre point qui fait toute la différence également à son avis. Pour Mme Landry, outre le fait de franciser par la langue, il faut aussi s’intégrer par les attitudes comportementales et sociales. Lis-moi tout Limoilou joue également ce rôle d’accompagnateur, de « grand frère / grande sœur » bienveillant/e qui est là pour aider, conseiller et, éventuellement, remettre dans le droit chemin.

Mme Landry dans sa salle de classe

Elle m’a donné un exemple particulièrement intéressant, celui de deux femmes, une fille et sa mère, toutes deux immigrantes.

La fille refusait tout simplement que sa mère suive les cours de francisation de peur, sans doute, que celle-ci soit amenée à pouvoir penser et agir par elle-même et donc, ne plus être la « simple femme au foyer », tel qu’indiqué dans leur culture d’origine. Lis-moi tout Limoilou a donc agi en conséquence et permis à cette maman de pouvoir accéder, elle aussi, à l’intégration linguistique à laquelle elle avait droit.

Mme Landry insiste donc sur le besoin de « scolariser », ou du moins de franciser ces immigrants, afin de leur faciliter la vie personnelle, mais aussi sociale dans leur nouveau pays.

Pour ce faire, elle et sa petite équipe ont mis en place tout un matériel spécialisé à base de photos, de pièces des casse-tête, d’activités… de plus, elle privilégie la qualité à la quantité : 6 participants par classe, 2 groupes de francisation, un horaire souple (entre 6 et 15h par semaine), une équipe fiable et dynamique et surtout… de la motivation !

Le souci du détail va même être de pouvoir offrir très prochainement (en novembre 2017) aux apprenants de francisation la possibilité de se préparer à l'examen de citoyenneté canadienne !

Finalement…

En conclusion, pour reprendre les mots de la directrice de Lis-moi tout Limoilou,

« Oui, on peut apprendre une langue étrangère, même si on est analphabète ».

Certes, ce sera un processus, long et difficile, qui demandera une savante dose de volonté… mais, je sais qu’avec de tels organismes et une si belle implication, le défi pourra être relevé. Mme Landry elle-même est heureuse aujourd’hui de pouvoir croiser dans la rue d’anciens étudiants qui la saluent et lui parlent en français : « On a eu de belles réussites »… et je vous en souhaite tout plein d’autres !

Remerciements à Mme Nicole Landry, directrice et fondatrice de Lis-moi tout Limoilou, 798, 12e rue, Québec (QC) G1J 2M8, Canada.

Page Facebook : https://www.facebook.com/lismoitout

Illustrations :
Mme Landry dans une salle de classe et ouvrant la porte de l’école

Logo de Lis-moi tout Limoilou, https://goo.gl/images/j9bW6r


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