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Publié le 09 octobre 2017 Mis à jour le 09 octobre 2017

Pour que la "formation sur le tas" soit une véritable formation

Former en respectant

Plonger immédiatement un apprenant en situation réelle, lui apprendre à nager en le jetant à l'eau... Est-ce une méthode de formation ou une stratégie d'économies à court terme ?

Beaucoup d'expériences de formation sur le lieu de travail ont laissé un souvenir amer à celles et ceux qui ont eu à les subir. Cet article rappelle quelques principes qui permettent de transformer une expérience de travail en situation de formation.

Jeter l'apprenant à l'eau, source d'accidents pédagogiques

Il suffit de lancer une discussion sur le thème de l'apprentissage de la natation pour déclencher quelques souvenirs douloureux. Au XXème siècle, beaucoup de maîtres nageurs estimaient que, comme tous les mammifères, les humains savaient nager naturellement. Il suffisait de les jeter à l'eau pour qu'ils retrouvent les gestes naturels par instinct de survie.

Les élèves qui ont eu à souffrir de cette pédagogie ont depuis boudé les piscines. La seule odeur du chlore fait remonter des angoisses vieilles de plusieurs dizaines d'années. Qu'est-ce qui n'a pas marché ?

L'élève jeté à l'eau se sent constamment en échec, il ne maîtrise rien, il n'a pas le choix de la méthode ni du rythme.

Il n'a pas la possibilité de prendre de la distance par rapport à ses gestes. L'émotion est si forte qu'il n'a plus l'esprit de comprendre quoi que ce soit... Cette approche ne permet aucune analyse.

Dans d'autres contextes, comme justement l'enseignement, on rencontre des témoignages semblables. Placés face à un groupe d'élèves, sans préparation ni véritable accompagnement, les enseignants ont le sentiment que la formation "sur le tas" est en fait un manque de formation, un moyen de faire des économies, un signe de mépris pour de jeunes professionnels qui se lancent. C'est ce que dénonce Raoul Pantanella dans un article paru dans les cahiers pédagogiques. 

La formation sur le tas est bien souvent le concept qui désigne l'absence de formation.

Et pourtant...

La vie professionnelle nous confronte souvent à des situations où il faut apprendre directement face à la difficulté. Cet apprentissage  se fait parfois dans l'urgence. Parce que les environnements évoluent rapidement, nous devons faire face à des problèmes auxquels aucune formation ne nous a préparés...

Nous sommes en novembre 1969. Alan Bean, pilote du second module lunaire regarde par le hublot. Son coeur se met à battre. Il y a beaucoup plus de cratères que lors des simulations. Il ne sait pas où alunir. Pour retrouver ses esprits, il regarde ce que lui disent ses instruments qu'il connait bien, et qui le rassurent. Puis il regarde à nouveau par le hublot. Le coeur se remet à battre, mais moins fort... il revient à ses instruments et se calme à nouveau. Et enfin il regarde encore le sol, et tout lui semble plus accessible.

Beaucoup de compétences et d'apprentissage se construisent dans l'action. C'est le sens du «learning by doing», de l'apprentissage sur le tas, «on the job», de la formation en situation de travail (FEST), etc. Dans les petites entreprises, chez les professions libérales ou pour certains métiers où les dépenses de formation sont plus faibles, se former par l'action est souvent une nécessité.

C'est d'ailleurs le mode de formation principal pour tous nos savoirs fondamentaux (marcher, parler, rouler sur un vélo...). Apprendre dans l'action.

Alors, comment ne pas en faire une formation au rabais ?

les limites de l'apprentissage sur le tas

 
Il y a toujours une part de l'apprentissage qui se fait sur le lieu de travail

Christophe Dejours montre comment la personne qui travaille tâtonne, s'implique physiquement, reçoit de la reconnaissance de ses pairs pour ses trouvailles. Le tour de main se construit sur une série d'astuces et de techniques qui impliquent le corps, et qui prennent leur distance par rapport aux apprentissages. Il est très personnel.

Au point que l'on peut affirmer que si les entreprises tournent, si les machines fonctionnent, c'est sans doute aussi parce que ceux qui y travaillent ne suivent pas les consignes, mais s'appuient sur un apprentissage collectif, fait d'essais, d'erreurs, de savoirs informels et d'observations... "Le travail, c'est  l'activité coordonnée des hommes et des femmes pour faire face à ce qui ne pourrait être obtenu par l'exécution stricte des prescriptions" nous dit Christophe Dejours.

Dans les exemples précédents, plusieurs caractéristiques diffèrent. Dans l'apprentissage de la marche ou du vélo, le jeune enfant choisit son rythme et souvent le moment et la durée du temps d'apprentissage. Il progresse par petites avancées, en lâchant une à une les sécurités qu'on lui propose; l'échec n'a pas de conséquence grave. Il se relève.

Le cycle d'apprentissage de David A. Kolb

Proche d'un schéma de qualiticien, le schéma de Kolb distingue plusieurs étapes pour qu'une expérience puisse être source d'apprentissage. L'expérience seule n'apprend rien. Être dans le feu de l'action, le "nez dans le guidon", dans l'urgence et le stress n'aident pas. L'expérience doit être accompagnée d'une phase de réflexion et d'observation.

Elle prend une distance, fait varier les paramètres en s'éloignant de la contrainte d'une réalisation immédiate. La personne se construit ensuite un modèle, une représentation, voire des concepts. Elle crée une théorie plus ou moins formalisée. Enfin, elle confronte ses conclusions au réel, elle teste. Ces quatre étapes constituent un cycle d'apprentissage.

"On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres"

Ce modèle, dans sa présentation classique, place l'individu seul face à une difficulté ou une situation d'apprentissage.  Mais face aux situations complexes, on apprend moins bien et moins vite si on reste seul. "On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres" nous dit Philippe Carré.

Ce sont les autres qui viennent bousculer nos hypothèses et nos réflexions et qui nous obligent à les expliciter, à les expérimenter, à les démontrer. Sans parler de confrontation ou de débat, on peut apprendre ensemble, en additionnant les intelligences, comme lorsque 3 collègues se retrouvent courbés autour d'un bourrage papier dans un copieur !

Kolb et Carre

 
Apprendre à nager en se jetant à l'eau est une métaphore de nos apprentissages sur le terrain toujours d'actualité. Mais il ne s'agit pas de se jeter dans des difficultés en espérant qu'un miracle ou une solution jusqu'ici inconnue viendra émerger. Les auteurs et expériences précédentes montrent l'importance de situations où l'élève et le salarié se sentent en sécurité, où ils gardent un sentiment de maîtrise et bénéficient de la bienveillance de leurs pairs et de l'enseignant.

Apprendre en situation de travail est une forme d'apprentissage comme une autre et les conditions de son efficacité restent les mêmes. La situation doit être adaptée, la personne doit pouvoir faire des choix, se sentir valorisée, faire des erreurs et en tirer les leçons... Il faut une progression et un feedback régulier.

Ce n'est donc pas une formation bon marché. Bien au contraire : elle mobilise l'encadrement, les collègues et du temps. L'expérimentation FEST organisée en France en 2017 devrait apporter de nouveaux éclairages sur les conditions de réussite de ce type de formation.

 Illustrations : Frédéric Duriez

Ressources

Raoul Pantanella - Les Cahiers pédagogiques "Sur le tas, la formation..." http://www.cahiers-pedagogiques.com/Sur-le-tas-la-formation

Association des professeurs de langue vivante "Position de l'APLV sur la formation des futurs professeurs" mis en ligne le 11 juin 2010, consulté le 8 octobre 2017
http://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article3224

Little fish - formation par la pratique - diaporama consulté le 8 octobre 2017 https://www.slideshare.net/VALOZ/learning-by-doing-formation

Franck Bellard entrainer Autrement - le Developpement Personnel au Service de l'Excellence... – 29 septembre 2017

Christophe Dejours Souffrance en France Les éditions du seuil 1998

La presse "éducation physique, bonheur des uns, cauchemar des autres" publié le 27 septembre 2017, consulté le 7 octobre 2017
http://www.lapresse.ca/vivre/sante/enfants/201709/27/01-5137114-education-physique-bonheur-des-uns-cauchemar-des-autres.php

La lettre de l'expérimentation FEST - mai 2017
http://www.paritarisme-emploi-formation.fr/IMG/pdf/la_lettre_de_l_expe_rimentation_fest_mai_2017.pdf


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