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Publié le 06 novembre 2017 Mis à jour le 06 novembre 2017

Les enjeux du leadership éducatif

Rôle charnière dévitalisé

Quel est le risque  d’ignorer  le leadership éducatif ?

Le leadership éducatif pourrait se définir comme l’influence sur un engagement de tout acteur éducatif en situation de prise de décision dans une organisation, se préoccupant de développer ou de stimuler les savoirs.

Le leadership éducatif semble peu interrogé. Les textes des ministères régulent ce qui vaut d’être appris et comment le faire. Par ailleurs, les enseignants et leurs représentants voient dans une presciption trop forte de leadership éducatif une forme d’intrusion rompant le principe d’égalité, allant à l’encontre de leur liberté pédagogique et promouvant une « norme sociale capitaliste ». 

Cependant, on peut poser l’hypothèse que cette absence de questionnement fait peser un risque éthique. Le fondement des missions éducatives et formatives cèderait aujourd’hui aux forces de la marchandisation ou de la seule application de textes réglementaires des gouvernements. Ce fait  renforce la lutte des places pour lesquelles les moins dotés en capitaux sociaux, économiques et identitaires sont défavorisés.

Quel est le leadership des dirigeants des collèges et  lycées ?

Même si, un sociologue de l’éducation tel que Perrenoud[1] a consacré de nombreux travaux aux chefs d’établissement et à leur évaluation, notamment en s’efforçant de distinguer l’évaluation du chef de l’évaluation de l’établissement, le leadership éducatif commence à peine être étudié en France et dans de nombreux pays. Il s’agit de comprendre le rôle crucial des chefs d’établissement dans leur capacité à mobiliser les équipes pédagogiques au service de l’apprentissage des élèves, ou leur capacité à conduire les transformations de leurs établissements.

Endrizzi et Thibert (2012), expliquent que la question du leadership se pose parce que la tendance est à une autonomie des établissements, mais aussi par ce qu’il y a moins de candidats qualifiés pour renouveler une population de chefs d’établissements vieillissants. Ce leadership serait « une approche globale du partage des responsabilités au niveau d’un établissement, voire à un niveau inter-établissements, en vue de promouvoir le changement ». 

Perrenoud (2002), évoque un « leadership professionnel », c’est-à-dire un rôle du chef d’établissement dans le projet éducatif qui dépasse la seule fonction bureaucratique de gestion des moyens,  (qui consommerait un temps conséquent) mais qui s’intéresse à la mission éducative. Un tel leadership procède d’une volonté d’action sur l’environnement. Il dépasse la seule action de gestion au sein ou en réaction à cet environnement.

Cette minoration de la dimension pédagogique et de la relation à l’autre est également observable dans la gestion des établissements d’enseignement supérieur, où là encore le leadership éducatif est absent.

Y-a-t-il un leadership des dirigeants dans l’enseignement supérieur ?

Le leadership des dirigeants d’université

Alors qu’il faudrait revoir de fond en comble les façons d’enseigner pour prendre en compte les nouvelles façons d’apprendre, les dirigeants, dans l’enseignement supérieur sont, pour l’essentiel, des gestionnaires et des politiques, c'est particulièrement vrai dans un pays comme la France.

Garcon (2011), décrit l’organisation de l’ingouvernabilité des universités françaises, et de la façon dont les dirigeants sont dotés de prérogatives importantes de gestion relativement aux universités européennes ou nord-américaines, mais d’une faible légitimité pour agir sous la pression des enjeux des différentes facultés auxquelles ils doivent rendre des comptes.

Patrice Brun (2013), raconte son expérience de président d’université. A travers son témoignage, la distance entre les préoccupations de manager  et la dimension pédagogique se révèle[2]. La pédagogie est passée sous silence.

Le leadership de dirigeants d’établissements d’écoles de commerce ou d’ingénieur

Dans le monde entier, les dirigeants d’écoles de commerce et d’ingénieur sont captivés par les normes internationales de l’enseignement supérieur qui leurs servent de boussole. Avec l’AACSB ou EQUIS ils appliquent la même "politique d’excellence » dont le coût et certains effets ont été dénoncés.

Pourtant des approches en rupture intégrant des refontes pédagogiques sont observables. Lutter contre le courant dominant nécessite l’implication de leaders éducatifs eux-mêmes persuadés des changements à opérer. Certains essais d’innovations dans le développement managérial impliquent les dirigeants pédagogiques, au plus haut niveau.

A l’aide de pratiques de design-thinking, d’installation de fab-lab ou de learning-room[3], ils essayent de créer de nouvelles formes d’apprentissages faisant une plus large place à de la transversalité, de l’interdisciplinarité, une meilleure prise en compte des nouveautés techniques et une pénétration des réflexions autour des objets connectés et du numérique en général.

Certaines initiatives, telles que le cursus alter-management d’HEC restent confidentielles ou sont questionnés au moindre changement. La managérialisation des écoles dans l’enseignement supérieur subsiste modulo un cours d’éthique semé de-ci de-là, où l’engagement dans une charte internationale dont personne d’autre qu’un pair n’ira vérifier la teneur où les engagements véritables.

Les modes sélectifs de recrutement des professeurs et des élèves, les contenus proposés, basés sur des micro-disciplines, l’orientation sur des recherches éloignées des préoccupations pragmatiques,  la priorité gestionnaire, la quête de l’excellence, l’orientation internationale restent des éléments structurants dans l’organisation du marché de l’enseignement supérieur. Les leaders éducatifs les plus innovants doivent déployer une immense énergie et un grand talent pour aller à contre-courant.

Quel est le rôle des leaders éducatifs dans l’édification démocratique ?

La fonction sociale des leaders

Quels que soient les établissements dont ils ont la charge, les leaders éducatifs ont une fonction sociale essentielle. Par leurs décisions, ils contribuent à organiser la socialisation de générations d’apprenants, à les aider à consolider leur subjectivité, à maîtriser des savoirs de base et compétences informationnelles, à acquérir des savoirs scientifiques et techniques ou encore à apprendre des métiers.

La fréquentation d’établissements éducatifs, de leurs règles, de leurs architectures (favorisant ou non le travail en équipe), de leurs programmes (incluant ou non les possibilités numériques), la vie dans une communauté à un moment charnière de sa vie, tout cela forme le creuset des rapports sociaux. Les leaders éducatifs possèdent une influence sur les orientations de chacun, sur la manière dont se mettent en place coopération collective ou compétition individuelle. Ces décideurs participent à l’édification démocratique. Ils ont  plus que les autres une responsabilité à cet égard, puisque  les individus qui traversent les établissements qu’ils dirigent le font avec des enjeux sur leur propre devenir.

Parce qu’ils valident et impulsent les règles du jeu, ces leaders contribuent au système d’autorité qui va être internalisé par les apprenants.

La dépendance à l’autorité

Soumis à des règles d’évaluation sociale (examen, note, diplôme), les apprenants sont en position de dépendance à une autorité qui s’impose à eux. Les apprenants sont tenus d’habiter les rôles sociaux que les institutions attendent qu’ils jouent, pour franchir avec succès le curriculum qui leur est proposé et sortir diplômés de l’expérience. Ils intériorisent à cette période-là les critères de jugement de l’évaluateur.

Or, lorsque les savoirs leurs sont présentés en miettes, ils perdent la vision holistique, critique et globale. Parce que les institutions d’éducation et de formation continue sont des lieux propices à la réflexion sur soi, à la construction de choix, à l’appropriation de raisonnements et de critères sur le monde, elles sont des instances critiques d’édification de l’homme et du citoyen. Parce qu’ils sont en situation de peser sur ces orientations essentielles, les leaders éducatifs sont bien plus que des marchands de formation.

Pourquoi la question du leadership éducatif des dirigeants est-elle si peu débattue ?

La recherche sur le leadership éducatif est faible

Plusieurs possibilités expliquent le peu de recherche sur la question du leadership. Cet immobilisme éducatif pourrait être le fait des hypothèses suivantes :

  • Les acteurs décisionnaires sont le témoignage des réussites des dynamiques sociales en place. Ils en sont les produits et les bénéficiaires, ils en ont expérimenté les vertus positives pour eux. Ils croient en leur succès. Des parcours de carrières classiques faites de progression régulière dans l’organisation finissent par constituer une référence et à s’imposer dans les représentations comme prophéties auto-réalisatrices.
     
  • Les systèmes éducatifs et ses dérives sont soutenus par une masse de responsables qui dépasse les seuls décideurs éducatifs. C’est l’exemple des familles et de leurs choix : « trouver la bonne formule pour mon enfant ».

    Ceci a pour conséquence de favoriser celles qui ont une meilleure vision du marché éducatif comme les enseignants ou les catégories sociales les plus aisées et de renforcer la compétition scolaire défavorable aux plus démunis.
     
  • Les pouvoirs publics restent cantonnés dans la gestion d’équilibres sociaux et économiques fragiles. Ils ne savent ou ne peuvent par manque de moyens répondre à des demandes variées et individualisées d’orientation de soutien qui s’expriment alors par défaut sur un marché.
     

Une des clés de transformation des points de repères de l’éducation tout au long du continuum éducatif réside dans une prise de conscience plus forte de leur rôle des leaders éducatifs. 

Le développement  du leadership en éducation est contrarié

Bref, la réflexion sur le leadership éducatif apparaît timidement du fait de quelques innovateurs ou pédagogues qui créent un laboratoire, initient une démarche transdiciplinaire ou développent le numérique éducatif [4]. Tout au plus, des ajustements gestionnaires à la marge d’un contenu de programme ou d’un calendrier, d’un mode de financement sont initiés par les pouvoirs publics dont, réforme après réforme, personne ne voit les réels correctifs apportés que ce soit pour les collèges, les lycées, l’enseignement supérieur ou la formation continue.

La relation d’autorité verticale du savoir où l’un enseigne et l’autre ce qu'il est censé apprendre demeure toujours la solution plus que le problème. Les leaders éducatifs semblent cantonnés à appliquer les réponses attendues par les professeurs, les familles, les apprenants, les ministères ou les concurrents, par toute une demande sociale qui exprime des besoins de sécurité, de reconnaissance, de perpétuation et assez peu de transformation.

Quelle importance revêt la réflexion éthique individuelle et collective ?

Dans les collèges et lycées, les études d’impacts recensées par Endrizzi et Thibert (2012) montrent des liens indirects entre leadership et réussite des élèves. C’est pourquoi, les chercheurs  commencent à s’intéresser au leadership éducatif. Ne rien faire c’est laisser subsister le statu quo. C’est cautionner un immobilisme in-éthique. Mais, à l’inverse agir, c’est prendre le risque de faire des erreurs.

En matière éducative, il n’existe pas comme dans l’industrie de « détrompeurs ». Il est impossible de mettre de côté une pièce mauvaise. Face à la désintégration décrite, quand la référence aux codes de conduites professionnelles et à la déontologie est devenue insuffisante pour tous ceux qui sont engagés dans une relation éducative, la ligne de conduite éthique demeure  une possibilité.

Nombre de ceux qui font profession d’enseigner, de former, de diriger, d’influencer, s’interrogent sur ce qu’il convient de faire, à l’endroit où ils agissent sans attendre qu’un tiers (syndicat, ministre, directeur, inspecteur, recteur, famille, collègue) ne leur dise ce qui vaut. Ils réinterrogent leurs engagements et leurs vocations. Ils entament un débat avec eux-mêmes.

Le leadership éducatif passe par l’idée que les dirigeants d’institution et de formation ont des responsabilités devant tous les citoyens et qu’ils doivent s’interroger au-delà des seules perspectives personnelles ou gestionnaires de ce qu’ils font de cette responsabilité. Si, dans une société laïque, la référence au religieux appartient au passé, du moins l’examen de ses choix en conscience devrait être réhabilité.

Le leadership éducatif devrait conduire chaque dirigeant à s’interroger sur sa volonté de participer à une mission d’influence et de repérer, par lui-même, ce qui fonde son action et comment celle-ci accroit chez les autres le pouvoir d’agir. Cette réflexion pourrait être menée avec ses pairs, ou avec les usagers des services éducatifs, les enseignants et formateurs, les familles et les acteurs économiques. Le partage qui en découlerait ne saurait se limiter à être un engagement de pure forme ou seulement déclaratif[5].

Le leader éducatif est appelé à donner un signe qui ne soit pas seulement le reflet du marketing ambiant et des solutions convenues.

Quelle sont les pistes pour amorcer un leadership éducatif ?

Le leadership éducatif dépasse l’exercice du pouvoir de quelque uns.  Il existe des réseaux qui se donnent pour mission d’aider à l’émergence d’un tel leadership comme les réseaux « Leadership for learning »[6] qui explorent de façon systématique les liens entre leadership et pédagogie ou « l’European qualification network for effective school leadership »[7] qui s’efforce d’établir un référentiel métier du chef d’établissement.

Si la réflexion est amorcée dans l’enseignement primaire et secondaire, qu’en est-il de l’enseignement supérieur ? Cette interpellation du leadership éducatif concerne tout le système éducatif, et en tout premier lieu les écoles  de formation des futurs managers et dirigeants. Certains dirigeants d’écoles amorcent la réflexion et font profession de foi dans des ouvrages ou des blogs[8].

 Cet article est extrait de :

 Humaniser la formation des dirigeants: vers un leadership démocratique.
Cristol, D. (2014). Éditions L'Harmattan.
https://www.decitre.fr/livres/humaniser-la-formation-des-dirigeants-9782343051499.html



[1] Textes sur les cadres et les établissements - Perrenoud - http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/extraits/cadres.html

[2] Voici ce que Brun propose dans son glossaire pour définir la pédagogie « Qualité strictement inutile à un enseignant-chercheur, qui ne lui sert en aucun point à sa promotion éventuelle. La preuve ? Il n’est jamais évalué sur ce point. » p. 222

[3] Le design-thinking est une approche multidisciplinaire de l’innovation centrée sur l’humain, le fab-lab est un espace de rencontre équipée de machines (usinage, imprimante 3D etc.) pour inventer de nouveaux objets, une learning-room est un espace stimulant conçu et équipé pour rendre plus actif des apprentissages

[4] Voir l’exemple d’enseignements alternatifs la Wi-School : http://www.wi-school.com/

[5] La mission statement des normes nord-américaines de l’AACSB qui sévit dans nombre d’école de commerce ou d’ingénieur peut ainsi être comprise en France

[6] Leadership for Learning - University of Cambridge
http://www.educ.cam.ac.uk/centres/lfl/

[8] Le dirigeant du pôle Léonard de Vinci écrit sur la « Trahison des chefs », Jean François Fiorina Directeur adjoint de Grenoble école de management  tient un blog,  Philip McLaughlin directeur général délégué de KEDGE expose ses vues dans « Alter manager mode d’emploi : réflexion sur l’enseignement de la gestion »


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