Avec la baisse des dotations aux collectivités en France, il deviendra plus que nécessaire de devenir ce que j’écrivais il y a deux ans : un enseignant bricoleur.
“Dans un contexte budgétaire contraint, il semble souvent difficile d’innover. La question des moyens est souvent celle qui est posée en premier. Elle l’est d’autant plus que le numérique apporte avec lui des changements pédagogiques, culturels et même architecturaux.”
La contrainte devient source de créativité et d’opportunité pédagogique. Il faut regarder le monde, l’écouter, le penser et l'interpréter.
Chaque objet, par le détournement, peut devenir une oeuvre artistique, un essai sur autre chose. L’imagination est parfois au bout du couloir. Des ordinateurs usagers, un tournevis, une arduino et la marche de l’empereur glisse sur les lecteurs de DVD ROM. Mais est-ce suffisant ?
Une nouvelle demande sociale
Nous vivons souvent avec le souvenir de notre univers mental d’adolescent, mais les millenials pensent forcément autrement.
Nous venons de sortir d’un épisode cyclonique où les changements climatiques interrogent chacun. Un terme sonne comme une ritournelle quand on parle de lowtech ou de changement climatique : l'adaptation. Oui, mais qu’est-ce que c’est ? Selon wikipédia, c’est l’ “ajustement fonctionnel de l’être vivant au milieu, et, en particulier, comme l’appropriation de l’organe à sa fonction.” L’adaptation est évolution. François Taddeï déclare dans Kaizen :
“Je suis un évolutionniste : j’essaie de faire évoluer le système et l’évolution contribue à faire évoluer les espèces [rire]. J’ai longtemps travaillé sur les bactéries. Elles ont trois manières d’agir face à une difficulté. La première est de migrer : on peut migrer d’un pays à l’autre, mais d’une planète à l’autre, c’est plus compliqué ! La deuxième, c’est de muter, pour s’adapter à des conditions défavorables : changer notre génome n’est pas très simple. La troisième, c’est de construire l’environnement pour qu’il soit adapté à leurs besoins, c’est ce qu’on appelle de l’ecosystem engineering, la construction de niche.”
Notre système économique, social et environnemental est en pleine évolution. Nous assistons à de véritables bouleversements qui vont faire évoluer les compétences à enseigner aux élèves.
“Quand on se demande quelle Terre on laissera à nos enfants, le bilan est assez sombre... Mais si on retourne la question et que l’on se demande, quels enfants laisserons-nous à notre terre ? Alors là, la réponse est plutôt optimiste !” Jacques Maire
Le citoyen de demain regarde le monde avec d’autres yeux que les nôtres. Il apprend à apprendre, à trier et à évaluer la plus-value de ces actions. Il développera d’autres compétences du XXI siècle comme la responsabilité sociale.
Les comportements évoluent déjà dans les intentions. Dans un article des Echos du 21 janvier 2017, intitulé : Comment la GenY et les millenials font bouger les lignes dans l’entreprise, on peut lire : “Ces jeunes aspirent à être entrepreneurs (66 %) tout en préférant louer plutôt qu'acheter une voiture (50 %). Leur vie ne se mesure plus en quantité mais en qualité”. En effet, ils préfèrent « co-construire une nouvelle économie de proximité, collaborative, open source et circulaire ».
Open-source, collaboration
L’une des contraintes les plus symboliques du monde qui vient est la fin du sentiment d’omniscience. Quand 1 212 articles paraissent par heure sur wikipédia, comment imaginer tout savoir, tout faire ou même résoudre tous les problèmes. L’émission du 19 novembre 2016 du Numérique et nous lance cette question : “Quel est l'impact de nos vies numérique sur l'environnement ?”. L’article du Monde : Une recherche Google a un coût... énergétiquedéclarait déjà en 2009 :
“deux requêtes sur Google généreraient 14 grammes d'émission de carbone, soit quasiment l'empreinte d'une bouilloire électrique (15 g).”
Certe la source est ancienne, elle témoigne d’un double mouvement qui se développe depuis quelques années l’open source et la collaboration. L’un et l’autre sont intimement liés, wikipédia nous aide à aller dans ce sens : open-source “c'est-à-dire les possibilités de libre redistribution, d'accès au code source et de création de travaux dérivés. Mis à la disposition du grand public, ce code source est généralement le résultat d'une collaboration entre programmeurs.”
S’adapter au monde de demain, c’est réactualiser l’intertextualité. Nous ne sommes que les éléments d’une chaîne d’évolution où chacun, conscient de ses atouts mais de ses limites, prend conscience que l’autre est indispensable à sa réussite. Travailler de manière ouverte, c’est éviter à chacun de chercher ce qui existe et faciliter son accessibilité pour réduire notre empreinte sur le monde.
L’adaptation transforme la contrainte en opportunité. Un esprit collaboratif et avoir un esprit “open” changent nos habitudes culturelles. Depuis l’arrivée du numérique, je n’ai jamais autant travaillé à distance et jamais autant eu le sentiment d’être proche des autres. Le monde change, les codes de l’innovation pédagogique aussi. Il y a une nouvelle forme de confiance dans l’open. Le savoir est immense et le décrypter seul est impossible. C’est le réseau de compétences de chacun qui offrira à l’élève une vision durable et globale du monde. L’adaptation est un territoire inspirant. Il nous oblige à devenir écosystème apprenant.
Du développement critique ou l’imagination au pouvoir
Construire un citoyen émancipé, responsable socialement s’apprend au travers de projets et d’une vision du monde partagée. La low tech n’est pas simplement de donner aux élèves un esprit créatif quelles que soient les circonstances. Transformer les contraintes en opportunité demande à l’élève d’être à l’écoute du monde, à celle de l’autre. La responsabilité sociale s’apprend par l’éducation y compris par le développement durable.
Il ne s’agit pas simplement de dire que l’Homme protège la Nature mais que l’Homme appartient à celle-ci. Préserver son biotope, c’est prendre conscience de soi et des autres. Nous n’avons jamais autant parler de collectif, saisissons une occasion de lui donner du sens. Une posture frugale invite à l’humilité, au respect de l’autre. Être économe en matériel pour s'inscrire dans une relation sensible et globale au monde. Eduquer et enseigner est une affaire d’émotion, d’empathie et d’écoute des signaux faibles que nous transmet notre environnement. Bouger les lignes, c’est prendre conscience des aspirations de l’altérité.
Pas si compliqué ?
Je ne suis ni développeur, ni un génie du bricolage. Pour moi, comme pour beaucoup des élèves dont j’ai eu en responsabilité : l’univers du libre restait affaire de spécialistes. Il faut dire que parfois cet univers revêt plus du code restreint que d’un langage ouvert à tous. Mais ça c’était avant semble-t-il. L’émission de la sphère du 16 septembre avait pour thème le logiciel libre. Les notes de l’émission retiennent cette expression en forme de promesse pour tous de l’invité Jean-François Fortin-Tam :
“Mes oncles, mes tantes et ma famille proche utilisent Linux sur leurs machines. Ce n’est pas plus compliqué à utiliser [que Windows ou Mac OS X] pour un usage de base”.
L'expérience client est un enjeu pour assurer la transition vers des logiciels libres. La frugalité de l’usage du numérique ne doit pas détériorer le sentiment de compétence de chacun. Je me souviens que jeune enseignant, je souhaitais utiliser une plateforme d’apprentissage. Je m’étais tourné directement vers moodle. Elle avait l’avantage d’être le choix académique. Mes premiers pas ont été difficiles et j’ai reculé. J’ai échoué, appris, investigué, ré-appris puis j’ai réussi. Apprendre que l’on soit élève ou professeur est un processus.
Souvenons-nous de nos yeux d’enfant quand deux bouteilles d’eau faisaient un catamaran. Ce n’était pas le portrait qui compte, c’est le détournement, la réinterprétation qui compte. La lowtech, c’est l’art de faire de ce qu’il y a devant nous ce dont nous rêvons.
Il faut bien conclure
La contrainte comme opportunité, la lowtech au service de la créativité ? Oui, mais pas seulement ! La lowtech permet de voir le monde tel qu’il se dessine demain dans un contexte de ressources finies. Il faudra être économe, inventif et le facile à écrire : faire plus avec moins ! Je crois surtout que l’avenir sera celui de la créativité car c’est en cherchant les réponses aux questions du monde que l’on progresse. Le défi est toujours de convaincre que le changement est acceptable et accessible.
Sources:
Wikimedia, Aschim Raschka, 25 septembre 2016
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:PIC18F8720.jpg
Les grands perdants de la baisse des dotations aux collectivités, Le Parisien, Aurélie Lebelle, 4 août 2017.
http://www.leparisien.fr/economie/les-grands-perdants-de-la-baisse-des-dotations-aux-collectivites-04-08-2017-7174602.php
Devenir un enseignant bricoleur, Thot Cursus, Nicolas Le Luherne, 1er juin 2015
http://cursus.edu/article/25549/devenir-enseignant-bricoleur/#.WclGWsirQ2x
Travaux pratiques à l'atelier Canope avec un #arduino #bricolage #makers, Instagram, Nicolas Le Luherne, 31 août 2017.
http://www.thepicta.com/media/1593578942395104576_208469046
Les générations YZ ne veulent plus travailler dans des boîtes comme les vôtres, Les Echos, Léa Delpont, 23 janvier 2017.
https://www.lesechos.fr/thema/0211720089224-les-generations-yz-ne-veulent-plus-travailler-dans-des-boites-comme-les-votres-2059367.php
Quel est l’impact de nos vies numérique sur l'environnement ? Le numérique et nous, France Culture, Catherine Petillon, 19 novembre 2016.
https://www.franceculture.fr/emissions/le-numerique-et-nous/quel-est-limpact-de-nos-vies-numerique-sur-lenvironnement
Une recherche Google a un coût… énergétique, Le Monde, 12 janvier 2009.
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/01/12/une-recherche-google-a-un-cout-energetique_1140651_651865.html
Les appareils libres, pas si compliqués que ça, La Sphère, Radio Canada Première, Matthieu Dugal, 16 septembre 2017.
http://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/la-sphere/segments/entrevue/38612/appareils-libres-linux-purism-ordinateur-portable
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