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Publié le 26 septembre 2017 Mis à jour le 26 septembre 2017

La valeur de la classe inversée

La validité du modèle remis en cause

Houssaye (2014)

La perspective pour les pédagogues d’inverser la classe semble en attirer plus d’un. Quelques jeunes enseignants en stage au secondaire sont tentés d’expérimenter cette formule, séduisante à plusieurs points de vue. Au premier regard, la popularité d’une telle approche pédagogique n’en fait pas nécessairement une approche efficace d’apprentissage, efficacité qui reste d’ailleurs à prouver.

Acquérir des connaissances dans un environnement propice à l’apprentissage et à partir d’un investissement cognitif suffisant de l’apprenant demeure l‘objectif principal de l’activité pédagogique. Sans un certain contrôle de l’enseignant, la possibilité que l’élève apprenne de façon efficace est faible, et penser que ce contrôle puisse s’exercer totalement à distance relève de l’utopie.

Une idée originale ?

Lorsque le site TED[i] a publié la vidéo de Salman Khan en mars 2011, personne ne s’attendait à une telle viralité du concept d’inversion en éducation : plus de 4 millions de vues et traduit en 43 langues. Il est possible de comprendre ce qui a bien pu intéresser tant de pédagogues, chercheurs et praticiens.

Pourtant, livrer un cours ou un contenu d’apprentissage sous la forme d’une vidéo, en utilisant un quelconque support numérique n’est pas une idée originale. Le soutien numérique pour l’apprentissage demeure un choix pédagogique efficace, ayant lieu le plus souvent dans la classe. Il ne s’agit donc pas de classe inversée, là où l’ensemble des savoirs à communiquer à l’apprenant sont livrés à la maison ou dans un lieu hors de la classe.

Pédagogie, apprentissage ou classe inversée ?

Au premier abord, la pédagogie telle qu’elle se conçoit habituellement concerne la relation entre un enseignant et ses élèves ou étudiants. Conduire et contrôler l’action éducative demeure la tâche principale du pédagogue. Le triangle pédagogique d’Houssaye (2014) illustre bien les différents pôles d’intervention de l’enseignant.

L’un de ces pôles concerne les activités didactiques qu’il met en scène afin de faire apprendre, c’est-à-dire de mettre les élèves en situation d’explorer les objets du savoir. Il peut être de bon aloi d’inverser de façon stratégique l’exploration de ces objets et d’offrir aux élèves l’opportunité de découvrir ce dont il est question avant même l’exposé théorique. Cette procédure est un choix didactique, le pédagogue demeurant le maitre d’œuvre de la démarche.

C’est en ce sens que l’inversion peut être efficace, l’utilisation du transfert du magistral en fonction de l’autonomie de l’élève étant justifié par un choix stratégique. Certains auteurs appellent « dévolution cognitive » ou dévolution du maître ce report de l’activité cognitive de l’élève dans un cadre incontrôlé. Le choix pédagogique d’inverser en tout temps l’ordre des activités didactiques en mettant les élèves en situation de connaître, d’apprendre, d’appliquer les objets du savoir par eux-mêmes, dans un contexte autre que celui de l’institution scolaire est-il valable ? L’apport de la  neuropsychologie sur les fonctions cognitives nous conduit à nous interroger davantage sur cette question.

Apport de la neuropsychologie

Les adultes ont sans doute cette capacité d’apprendre par eux-mêmes. C’est pourquoi les considérations suivantes concernent davantage les enfants et les adolescents. La dévolution du maître, tel que mentionné précédemment, doit reposer sur la certitude que les apprenants exerceront leurs fonctions cognitives de façon efficace et qu’ils pourront retenir ce qu’ils auront appris à la maison ou dans un contexte similaire. Les parents consciencieux aménagent un environnement de travail sain et préparent leur enfant au travail intellectuel en disposant de conditions propices. Ce premier pas vers l’effort intellectuel conduira l’apprenant à exercer une capacité d’attention nécessaire à la concentration et à la rétention d’une connaissance. Les apprenants doués auront plus de facilité à franchir ce pas, encore faut-il qu’ils en aient la ferme volonté. Qu’en est-il des autres élèves ?

Les fonctions exécutives et intellectuelles jouent un rôle primordial dans l’acquisition des connaissances. Le développement tardif pour certaines d’entre elles est un obstacle majeur pour l’autonomie de l’apprenant.

Par exemple, l’organisation et la planification sont des capacités exécutives permettant de bien planifier son travail, de choisir des stratégies efficaces et d’établir des priorités. Aussi, un ensemble d’habiletés intellectuelles est nécessaire pour atteindre un certain niveau de compétences en écriture, lecture, et en fonction de pouvoir réaliser certaines opérations comme le raisonnement et la mémorisation. Appréhender un problème mathématique, décortiquer un texte et en saisir les idées principales, retenir des contenus théoriques sont des habiletés qui ne peuvent pas être confiés à la simple volonté des apprenants.

Prétendre que les apprenants peuvent exercer ces habiletés intellectuelles de façon efficace hors de la classe sans supervision relève de l’utopie. En poursuivant sur cette lancée, c’est à l’épreuve de la compétence que doit se mesurer l’inversion de la classe. 

À l’épreuve du socioconstructivisme

La classe s’inverse ou ne s’inverse pas. Les devoirs à la maison, les activités découvertes, les lectures obligatoires ne concernent pas la pédagogie de l’inversion. Inverser la classe, selon ses ténors (voir «à consulter» ci-dessous), s’apparenterait à une variante du socioconstructiviste programmé d’abord hors de la classe et concrétisé dans la classe : « … un modèle centré sur l’élève… » Dans ce modèle, l’apprenant est situé dans un contexte réel d’apprentissage duquel il doit exploiter les informations nécessaires à la construction et à l’acquisition des connaissances.

Que devient l’apprenant lorsque l’analyse est complexe, la lecture difficile, l’aide extérieure inexploitable ? Comment l’enseignant apporte-t-il un éclairage métacognitif à l’élève s’il ne peut pas évaluer la démarche d’apprentissage ? En prenant ici la mesure des compétences, c’est en classe que la démarche efficace d’acquisitions des connaissances et d’évaluation des compétences peut se réaliser pleinement, alors que la décentralisation du contrôle pédagogique pourrait avoir un effet de duplication des tâches de l’enseignant.  

En d’autres termes, que le travail de base de l’élève s’effectue d’abord hors de lieux de la classe risque de devoir être repris en classe faute d’accompagnement adéquat.

L’inversion aux études supérieures

Le modèle d’inversion pédagogique pourrait s’appliquer aux études supérieures, s’il ne l’est pas déjà. Ce qui concerne les jeunes apprenants ne concerne pas nécessairement les adultes de secteur post-secondaires (collégial et universitaire). Car l’adulte peut exercer ses facultés cognitives dans un environnement propice qu’il installe lui-même afin d’acquérir les bases du savoir requises par les instances académiques.

Les cours en ligne, les formations à distances et l’autoformation en général, sans correspondre nécessairement au modèle d’inversion en éducation, sont de bons exemples d’accompagnement des apprenants dans un objectif d’acquisition des connaissances. Les formations hybrides, soit l’alternance entre la salle de cours et un lieu hors de la salle de cours, la plupart du temps sous le support d’une instrumentation numérique, s’apparenteraient davantage au modèle d’inversion.

Un feu de paille

Il faut s’étonner davantage de la popularité du modèle que de l’application réelle du modèle de classe inversée. Quoique  séduisante, l’idée de mener la classe en prenant pour acquis que nos élèves ont bien appris ce qu’ils devaient apprendre ne tient pas la route. Les enseignants d’expérience l’ont bien compris, et les données de recherche sur la validité du modèle sont peu nombreuses ou manquantes.

À consulter :

« Beaucoup de variantes sont possibles, mais la finalité est de passer d’un modèle centré sur le professeur à un modèle centré sur l’élève afin de répondre aux besoins individuels de chacun. »
http://www.classeinversee.com/presentation

Paul Devin :
https://blogs.mediapart.fr/paul-devin/blog/290117/quand-la-classe-inversee-meprise-la-connaissance-et-la-comprehension

Fonctions cognitives :
https://aqnp.ca/la-neuropsychologie/les-fonctions-cognitives/

Wikipedia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Triangle_p%C3%A9dagogique

Références

Bissonnette, S., Gauthier, C. Faire la classe à l’endroit ou à l’envers? Formation et profession 20(1), 2012.

Houssaye,J. Le triangle pédagogique, Les différentes facettes de la pédagogie. ESF, Paris, 2014.

Margolinas, C. 2009. Dévolution et institutionnalisation: deux aspects antagonistes du rôle du maitre. C. Comiti, T. Ngo Anh, A. Bessot, M.-P. Chichignoud et J.-C. Guillaud. Didactique des disciplines scientifiques et formation des enseignants, Maison d’Edition de l’Éducation, Hano¨ı, pp.342-347, 1995.

Vellas, E. Comparer les pédagogies : un casse-tête et un défi. Université de Genève. FPSE, mai 2007.


[i] TED. (2011, mars). Salman Khan: Let's use video to reinvent education.  http://www.ted.com/talks/salman_khan_let_s_use_video_to_reinvent_education.html


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