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Publié le 20 juin 2017 Mis à jour le 20 juin 2017

L’ADN de la reconstitution de l’information ou les trous noirs de l’espace sémantique historique

Rigueur et recoupements

La qualité des savoirs historiques dépend de la façon dont on traite l’information et selon quelle posture.

Dans la reconstitution historique (Re-enactment) de haut niveau sur des époques anciennes, les reconstitueurs essayent de façon archéologique expérimentale de reconstituer les savoirs, les façons d’être, les façons de faire et les façons de vivre ensemble d’une époque.

C’est un exemple intéressant par sa dimension à 360° par opposition aux études historiques littéraires qui se déploient elles à 90° selon les dimensions x et y, plan du support papier ou de l’écran et aux études archéologiques qui amènent une dimension par l’objet inerte à 180°.

La reconstitution est une approche constructionniste de l’histoire par le vivre et le faire qui repose sur les bases constructivistes archéologiques et littéraires qui eux sont des projections de l’histoire, par l’esprit, posées sur papier ou sur l’écran internet. La reconstitution historique associée à l’archéologie et aux savoirs historiques reprend tout l’éventail des typologies de savoirs qui peuvent être confrontés à des chaînons manquants de l’histoire de l’humanité. Comment les aborder, comment les évaluer et comment présenter des hypothèses ?

Combler les trous

Les sources premières de la reconstitution historique sont les traces archéologiques physiques de cette époque, principalement muséographiques ou venant de collections privées. Elles sont toujours associées aux études historiques qui contextualisent les objets, les traces. C’est une sorte de puzzle composé d’outils, de bijoux, de vêtements, de sites historiques, d’écrits et pour les périodes récentes d’enregistrements audios ou vidéos.

Plus on s’éloigne dans le temps, moins nous pouvons trouver des pièces de puzzle jointives et constatons la présence de trous, de blancs dans la mémoires des lieux, des faits, du savoir artisanal et du vécu de ses habitants. Dans l'exemple des bijoux romains, on trouve des bijoux très bruts et d’autres extrêment sophistiqués.

Si nous nous intéressons aux plus délicats, certains sont faits de fils d’or plus fins que des cheveux. Aujourd’hui, le mystère est complet quand au savoir faire qui a permis de les créer. C’est un chaînon manquant dans l’espace-temps des savoirs de l’histoire. Et, ces savoirs perdus sont inter-liés à la compréhension du monde qui gravitait autour de cette technologie et donc au-delà à la sémantique de l’Histoire. Qu’il est désespérant de voir dans un musée des outils préservés comme au premier jour dont l’usage n’a pas été transmis jusqu’à nous et est pour beaucoup perdu à jamais.

Si on s’intéresse aux vêtements des femmes du Moyen-âge, nous observons aussi que l’on ne trouve pratiquement aucun sous-vêtement féminin sur tout le continent européen alors que l’on trouve plus facilement des sous-vêtements masculins. Que faut-il en conclure ? Que les femmes ne portaient pas de sous-vêtements ? ou que les sous-vêtements féminins étaient fait de matières qui n’ont pas traversées le temps ? Quelle attitude opérer face à ce genre de mystère ?

Dans le monde de l’archéologie reconstituant l’histoire, certains groupes de reconstitution extrêmement pointus ont pris le parti de ne baser leurs démarches que sur des sources avérées. Ils ne portent donc que des costumes historiques reconstitués sur la base de ce qu’ils trouvent dans les sources historiques. Imaginez que ces dames dans ce cas ne portent pas de sous-vêtements. C’est purement historique du point de vue de l’état des recherches mais cela ne l’est pas du point de vue du quotidien féminin.

Imaginez une femme travaillant aux champs qui ne dispose tout au long de sa vie que d’un seul vêtement qu’elle fait évoluer au grès de son anatomie en ajoutant ou en retirant des morceaux à sa robe au fur et à mesure de ses grossesses par exemple. Son vêtement lui est donc précieux.

Pourtant, selon l’avancée des sources historiques, elle ne peut pas garantir son hygiène personnelle. Si c’était la réalité de l’époque sa robe devrait être souvent remplacée et donc ne pourrait pas être mise pendant les 20 à 30 ans de la vie d’adulte de cette paysanne. En fait, c’est même impossible. Les Romaines avait des sous-vêtements, les femmes de la renaissance aussi, mais, pas celles du Moyen-Age ?

Face aux faits, on peut élargir la vision avec le concept d’ADN

Face à cette branche puriste. Il y a une autre branche de la reconstitution historique qui va essayer d’imaginer les chaînons manquants et les expérimenter comme nous le ferions dans un lab technologique. C’est une démarche de prospective historique. La démarche est de se baser sur un ADN proche de l’histoire sous la loupe et du développement technologique de l’objet observé.

Pour les périodes anciennes hors ruptures de paradigmes, c’est assez facile. Les évolutions des modes du Moyen-Âge ont eu peu d’impacts pour le bas-peuple et donc leur vie en a été peu influencée. On observe une évolution du costume ouvrier du 11ème au 15ème siècle qui est très lente, les longueurs des dessus et dessous changent, les coupes évoluent, mais vraiment très très lentement et par vague à l’échelle des siècles.

La plus longue évolution est sans doute celle de la sous-robe du 11ème qui est très proche de la robe romaine qui l’a précédée 1 000 ans plus tôt. Elle est très très large et ne connais que des laçages. Alors que 5 siècles plus tard à la fin du Moyen-âge, les vêtements seront coupés très près du corps et les boutons et les poches se démocratisent. La mode évolue alors plutôt à l’échelle des décennies.

Nous pouvons donc nous approcher de la réalité par approximation itérative de l’hypothèses de modèles. L’hypothèse de modèles se rapproche de la technologie de reconstitution de l’ADN d’animaux disparus. On prend un ADN d’un animal ou d’une typologie que l’on suppose proche qui sert de support et on vient y superposer ou y greffer l’ADN historique. Ce qui donne par essais successifs à terme un ensemble cohérent et viable du sujet étudié. 

Le choix de l’ADN est essentiel. Est-ce un ADN romain qu’il faut appliquer à notre problème de sous-vêtement ou l’ADN du 15ème siècle, voir même celui de la renaissance ? C’est un choix contextuel surtout dans une société à plusieures vitesses. Pour la noblesse sans hésitation le choix ira vers le 13ème, en excluant l’exception du 14ème siècle très exubérant et son complet contraire du 15ème. Mais pour faire ce choix, il faut bien maîtriser la connaissance de l’histoire et des contextes. Sans contextes, on peut faire de graves erreurs projectives. Aujourd’hui, par exemple, si des extraterrestres arrivaient sur la terre et se reposaient sur la complexité du langage comme ADN pour évaluer quelle est l’espèce la plus évoluée de notre planète avec laquelle communiquer, ils ne s’adresseraient pas aux hommes, mais aux baleines.

Le bon contexte pour appréhender l'histoire

Tout est une question de regard et de ce l’on cherche. On peut appliquer cette méthode aux recherches généalogiques par exemple. Aujourd’hui, on peut faire pas mal de recherche sur internet. Il y a la base des Mormons en ligne depuis Salt Lake City qui est gigantesque et des logiciels qui mettent en correspondance les ancêtres communs ou potentiellement communs de votre arbre avec ceux d’autres arbres généalogiques d’autres familles.

Dans certains endroits du monde, il y a eu peu de brassages de population et nous pouvons trouver des communautés fermées jusqu’au milieu du 19e ème siècle qui ont vécues sur elles-mêmes. C’est une configuration qui génère souvent des chaînes d’ADN généalogiques. L’une des plus évidente est celle des chaînes de prénoms.

Dans la Vallée de Joux, Vallée suisse située dans la chaîne des montagnes du Jura, la vie était dure et les chemins difficiles d’accès en particulier l'hiver. Et, à la même époque nous pouvons trouver traces dans les registres paroissiaux par exemple de plusieurs Messieurs Rochat vivants tous dans le même village et ayant le même prénom. Tous étaient cousins et le savaient. Ils avaient des surnoms pour les distinguer les uns des autres d’ailleurs, surnoms qui quelquefois se sont perpétués sur les siècles pour distinguer une famille par rapport à une autre. Ce qui est intéressant d’observer, c’était leur transmission des prénoms. C’était souvent des familles avec 10 enfants et généralement les premiers enfants avaient des prénoms qui correspondaient au prolongement de l’identité de leur patronyme.

Ainsi si on imagine un autre cas avec 5 Messieurs Aubert d’une même fratrie dont les prénoms sont Nicolas, Pierre, Henry, Auguste, Louis. Ils sont nés sur une dizaine d’année de temps, ceux-ci auront des enfants. Il y a de très fortes chances qu’ils nomment leur premiers fils Nicolas, Pierre, Henry, Auguste, Louis, de la même façon qu’ils transmettent leur nom de famille. Et, le petit village va se retrouver avec 10 fratries ou plus  de Nicolas, Pierre, Henry, Auguste, Louis. L’exemple est aussi valable pour les filles nées dans ces même fratries.

La recherche généalogique classique est linéaire, car, elle se base sur des recherches dans les archives physiques ou virtuelles au sujet de nos parents, nos arrières grands parents, leurs parents, les parents de leurs parents, pour remonter avec de la chance à plusieurs dizaines de générations en arrière. Cependant, si la chaîne est cassée, alors, il est pratiquement impossible d’aller plus loin dans les recherches. La chaîne des ancêtres est alors rompue.

Aujourd’hui, on a accès à des bases de données gigantesques quelquefois reliées entre-elles et souvent orphelines ou déconnectées de leurs arbres généalogiques. En se référant à la notion d’ADN et de contexte on peut enrichir les connaissances, voire aider à retrouver des chaînes manquantes de savoirs. Si nous reprenons l’exemple des chaînes de prénoms citées précédemment, nous ne pouvons pas authentifier le lien direct de filiation, mais, nous pouvons associer les chaînes orphelines à des familles et par les micro-détails sur les dates des baptêmes, de décès, de surnoms... nous pouvons avoir peut-être la chance de les raccrocher à une position précise dans un arbre défini.

Cela se rapproche des analyses génétiques qui peuvent elles aussi associer un individu à un autre en tant que parent ou cousin sans avoir connaissance d’aucun lien historique familial. Le contexte peut aussi être important en généalogie. Si nous restons dans la Vallée de Joux et environ, voici une autre typologie d’exemple.

Nous avons deux femmes avec les mêmes prénoms, les mêmes noms, nées au même endroit, baptisée le même jour en même temps, ancêtres vérifiées de deux familles distinctes et chacune d’elle a eu des enfants l’une plus tôt que l’autre avec leur mari respectif qui ont vécu tous les deux très vieux.  Elles ont eu un enfant chacune la même année. Et les deux enfants ont été baptisés à quelques mois de distance. Ces deux femmes ont eu beaucoup de descendants catholiques qui se sont dispersés à travers la France, qui ont développés plusieurs arbres généalogiques. Ils se sont reconnus dans leurs arbres respectifs, mais jamais il n’y a eu de confusion entre les deux arbres. Ce sont alors deux personnes distinctes.

Sauf qu’en réalité, il semble que c’est la même personne. L’analyse des arbres a été faite avec des regards catholiques. Si ces descendants avaient été à majorité de religion protestante, alors, le lien aurait était fait beaucoup plus tôt. La différence entre les deux communautés qui nous intéresse est la notion de divorce et de famille recomposée. Ce qui était interdit chez les catholiques, était pratiqué chez les protestants.

Tout comme aujourd’hui certaines histoires de familles n’étaient pas simples. On peut supposer qu’après avoir eu plusieurs enfants avec un premier mari, cette dame l’a quitté pour un autre dans le cadre d’un divorce. Elle a épousé son nouvel amoureux qui avait lui aussi déjà des enfants et elle a eu avec lui pleins d’autres enfants. Là, où cela se complexifie, c’est le sujet de la naissance de deux enfants qui sont nés la même année et enregistrés dans le registre paroissial par leur baptême à des dates proches, mais différentes dans chacune des familles, chacun reconnus par chacun des maris. Nous savons qu’un enfant à cette époque appartient d’abord à sa famille avant d’appartenir à lui-même, parce qu’il garantit des bras pour les champs et pour la vieillesse de ses parents.

De plus un enfant en ces temps là n’est pas forcément baptisé de suite à la naissance. Car, si c’est le cas, c’est que l’on craint pour sa vie. On peut donc penser que c’était en fait des jumeaux qui ont été partagés entre leur père et leur mère et que l’un d’entre eux était sans doute souffrant.

Le contexte peut changer les trames de l’Histoire. Et l’ADN d’un objet, d’une façon de faire, d’une famille d’un individu peut aider à ouvrir de nouveau champ du possible face aux trous noirs historiques avec un grand ou un petit H qui peuvent devenir si non résolus des trous noirs sémantiques.

Source image : Mars87 sur Pixabay

Source

Virginie Guignard Legros, généalogiste et responsable pour le CERS des compagnies de reconstitution historiques suisses, auteur de l'article.



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