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Publié le 30 mai 2017 Mis à jour le 30 mai 2017

Les instances de l'École : au service de l'apprentissage progressif de la citoyenneté.

L’esprit critique et l’engagement ne se construisent jamais seul

Dans les années 90, j’étais fasciné par deux feuilletons pour “teenagers” : “Les années collèges” et “Sauvé par le Gong”.

Les élections du représentant des élèves est une figure imposée de ce genre de série. Entre archétype du populaire populiste promettant pizza et frites à tous les repas et premier de la classe pas très classe dont le seul objet est sa représentation de la perfection scolaire, on est bien loin de la vie démocratique, de la représentativité et des pouvoirs réels des élèves en milieu scolaire.

Entre désillusion et défiance...

En plein processus électoral, les passions se déchaînent et pourtant le taux d’abstention est important chez les 18-24 ans alors même que l’adolescence est le temps de l’engagement. Le 17 mars 2017, Eric Nunès se demande dans Le Monde Campus si l’abstention n’était pas le premier parti chez les 18-24 ans en France.

A cinq semaines du premier tour de l’élection présidentielle, la probabilité de participer au scrutin plafonne à 52 % chez les 18-25 ans, selon une étude de l’IFOP pour l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (Anacej)”.

Ce phénomène s’ancre dans un contexte général où chacun s’interroge sur son poids comme sur son choix. Le numéro 150 du Un le 12 avril 2017 interpellait les lecteurs avec cette question couperet : “Êtes-vous sûr de votre choix ?”. L’extrait du texte d’Octave Mirbeau «la grève des électeurs», notamment, raisonne dans le contexte électoral actuel.

Une élection, une projection vers un idéal

Chaque échéance électorale est l'expression d’idéaux qu’ils soient encore rêvés, souhaités ou même déçus. Cette envie d’absolu est toujours décevant car, comme la perfection, l’idéal ne peut jamais être atteint dans sa totalité. V

oter ou se présenter à un scrutin, c’est se projeter dans l’avenir et rêver demain. Il s’agit, surtout, pour nos jeunes (et moins d’ailleurs) d’une forme d’apprentissage de la frustration. Une élection n’a rien de rationnel, c’est une confrontation des points de vue et d’émotions. Elle nous interroge, nous pousse à voir plus loin et plus grand mais c’est parfois ce qui nous éloigne et nous décourage.

Du stoïcisme dans l’idéal

En pensant à cet article, j’étais en pleine lecture du livre de Charles Pépin les Vertus de l'Échec. Le chapitre 6, évoque l’échec comme une expérience du réel et invite à une lecture stoïcienne. Je n’ai pas pu m'empêcher de penser à mes propres premiers pas dans la vie citoyenne et à cette phrase de Lionel Jospin dans Libération le 14 septembre 1999 : “l’Etat ne peut pas tout”. Quelle désillusion à l’époque !

Comment comprendre à vingt ans, ivre de rêves et d’idéaux, que le réel résiste.

Au moment où tout commence, l'enjeu est d'apprendre à dépasser la déception et de ne pas poser un oeil désabusé sur l’avenir. C’est un apprentissage de l’humilité car on s’aperçoit que nous sommes en incapacité de révolutionner le monde.  Le stoïcisme est une porte de sauvegarde non pas comme une machine à casser des rêves mais à les entretenir. Apprendre à accepter ce qui ne dépend de soi, c’est percevoir toute l’importance de ce qui nous incombe.

Des instances d’apprentissage de la citoyenneté

A cette étape du texte, le lecteur pourrait se demander “quid des instances scolaires ?”. Le contexte est important pour révéler toute l’importance de l’expérience démocratique au sein de l'École.

Être libre, c’est respecter le choix des autres et confronter son point de vue. C’est aiguiser son esprit critique par l’échange et prendre en compte l’autre dans toute sa diversité. Le Conseil de la Vie Collégienne est uneinstance d'échanges et de dialogue entre élèves et entre les élèves et les membres de la communauté éducative”. C’est un échelon de plus dans l’expérimentation de la représentativité grâce aux délégués de classe ou le conseil de la vie lycéenne. Rapprocher l’élève de l’exercice de la démocratie et de la responsabilité donne du sens à leur future citoyenneté active. Dans ces lieux d'expression et de représentation, on y apprend la différence entre liberté d’expression et libération de la parole.

Primis Inter Pares ou plutôt les premiers d’entre eux

Le premier d’entre nous est “une personne qui préside une assemblée sans avoir de pouvoirs propres”. Si l’on détourne l’expression, les élèves qui s’engagent à représenter leurs camarades pourraient être les premiers d’entre eux. Ils n’ont d’autre pouvoir que de les représenter, de porter leur parole et donc faire preuve d’éthique et de responsabilité.

La bienveillance des adultes

L’élève électeur choisit, l’élève candidat décide. La nuance est importante car se présenter est un risque. C’est un engagement au service des autres. L’adolescent y joue quelque part son image au temps où chacun se découvre et se construit. On ne souligne jamais assez le rôle des conseillers principaux d’éducation et des chefs d’établissement dans la mise en confiance des élèves. Il ne s’agit pas simplement d’être élu.

Leur parole est importante par leur pouvoir de vote dans les établissements mais aussi de consultation. Ils sont l’expression d’une légitimité. Il s’agit de s’engager pour les autres, d’affronter le regard de l’autre, d’accepter de se tromper, d’être contredit, de sacrifier de son temps libre pour se former à la mission de représentant.

L’exercice difficile du consensus

Dans notre imaginaire collectif, seule la classe est une instance d’apprentissage. Les élus des instances scolaires dépassent les frontières de la classe et de l’âge. Ils font société et doivent faire preuve d’intelligence collective. C’est un rôle un peu différent que celui de suivre les consignes d’un enseignant même dans une classe active.

Travailler avec les autres, c’est accepter la parole de l’autre et se confronter à l’altérité. C’est, aussi, négocier, concéder et accepter le consensus. Le rapport Taddei encourage à rendre les établissements apprenants. Les instances scolaires permettent de passer du stade d’îlot à archipel. Trop souvent, nous fonctionnons en silos et ignorons ce qui se passe non pas de l’autre côté du trottoir ou même du miroir, mais de l’autre côté du couloir.

Un exercice d’humanisme numérique ?

André Comte-Sponville dit que « L'homme n'est pas mort : ni comme espèce, ni comme idée, ni comme idéal. Mais il est mortel ; et c'est une raison de plus pour le défendre ». Représenter l’autre, c’est faire preuve d’empathie. La formule est facile surtout que parler d’humanisme quand on parle de démocratie est un poncif du genre. Pourtant, représenter son camarade de classe ou d’établissement, c’est penser profondément que l’autre mérite que l’on prenne le temps de défendre son point de vue, y compris quand ce n’est pas le sien. Il s’agit de défendre la dignité et la valeur de tous dans un cadre scolaire et pour la France républicaine. Pour l'École, c’est croire en sa jeunesse, lui donner les clefs du camion et mettre l'accent sur la capacité de détermination des communautés d’élèves. Cela implique une confiance dans la capacité de progrès des élèves de l’établissement.

Un être émancipé, doué de raison, apprend très vite que la démocratie est l’apprentissage de la frustration. On perd souvent les élections mais c’est accepter que l’autre va exercer son mandat pendant une période. Que durant celle-ci, on a le temps, le droit et peut-être même l’obligation d’être un ami-critique de l’action de l’autre. Ces instances scolaires permettent de préparer l’élève aux compétences du XXI siècle : esprit critique, responsabilité sociale et peut-être de l’idéal de liberté de l’internet des pionniers.

Être un élu aujourd’hui, c’est se préparer au monde de demain.

Illustration : Démocratie ouverte - Armel Le Coz, Flickr

Sources :

Illustration : Définition Démocratie Ouverte, Armel Le Coz, Flickr, 3 avril 2013

L’abstention, premier parti des 18-25 ans, Eric Nunès, Le Monde, 17 mars 2017.

http://www.lemonde.fr/campus/article/2017/03/17/l-abstention-premier-parti-de-la-jeunesse_5096274_4401467.html

Êtes-vous sûr de votre choix ? Le1, numero 150, le 12 avril 2017.

Les vertus de l’échec, Charles Pépin, Allary Editions, 2016.

https://www.decitre.fr/livres/les-vertus-de-l-echec-9782370730121.html

Les vertus de l’échec, selon Charles Pépin,  Nicolas Le Luherne, Thot Cursus, 29 mai 2017

http://cursus.edu/dossiers-articles/articles/29077/les-vertus-echec-selon-charles-pepin/#.WS0Z5miLRhE

Jospin aux Francais: mobilisez-vous. A propos de Michelin, il affirme que l'Etat ne peut pas tout, Eric Aeschiman, Judith Perrignon, Libération, 14 septembre 1999.

Vie Collégienne, Education.gouv.fr, 8 décembre 2016.


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