"Vous êtes irremplaçables", nous dit Cynthia Fleury. Cela signifie que notre histoire, notre sensibilité nous amènent à porter une vision et des valeurs singulières. Et que nous pouvons donc apporter une contribution unique à notre société. Être irremplaçable, c'est surtout une responsabilité.
Découvrir cette irremplaçabilité passe par un travail d'individuation, qu'elle développe dans son ouvrage "Les irremplaçables", sorti en 2015. Cet article tente d'en présenter quelques aspects et de faire le lien avec le monde de la formation.
L'article qui suit est issu des premières pages des irremplaçables, et de nombreuses interventions filmées ou audio de Cynthia Fleury. Les encadrés bleus sont des réflexions personnelles, en lien avec son travail et la formation.
Quand les individus sont remplaçables
Pour comprendre ce que signifie être irremplaçable, il faut étudier son contraire. De nombreux exemples existent de personnes qui se sont perçues comme "remplaçables".
Cynthia Fleury nous rappelle les arguments qu'Eichmann énonce lors de son procès. Il n'aurait été qu'un rouage, il n'aurait pris aucune décision, et ce qu'il a fait, un autre l'aurait fait s'il s'y était refusé... Il était remplaçable.
En s'appuyant sur le livre l'obsolescence de l'homme de Gunther Anders, Cynthia Fleury nous présente ces personnes pour qui les loisirs ne servent plus qu'à "passer le temps"... Les spectateurs sont passifs, anesthésiés, et se contentent d'images prêtes à consommer de la réalité. Ils peuvent faire venir le monde à eux avec une télécommande, mais n'imaginent plus pouvoir agir ou participer dans ce monde.
Est-ce que les loisirs servent à se vider la tête, à se distraire ou au contraire à se construire ? La « skholé » chez les Grecs, puis « l’otium » chez les Romains sont des temps consacrés au souci de soi. Les loisirs contemporains sont davantage orientés vers un oubli de soi, pour "faire passer le temps".
Croire qu'on est remplaçable, c'est donc se considérer dégagé de toute responsabilité. C'est aussi fuir l'angoisse en s'abrutissant d'émissions ou de loisirs répétitifs. Pour retrouver ce qui est fait qu'on est irremplaçable, Cynthia Fleury nous expose le processus d'individuation.
les éléments de l'individuation
Au cours de ses interventions diffusées sur YouTube, la philosophe prend régulièrement la précaution de différencier individuation et individualisme. L'individuation est liée au souci de soi, à la construction de soi. Elle est tournée vers les autres, elle est le contraire du repli ou du rejet.
Cynthia Fleury nous rappelle la devise de Delphes "connais-toi toi-même" qu'elle prolonge avec un "connais tes limites et tes manques". Se connaître, c'est connaître sa dépendance vis-à-vis des autres. "Nous ne sommes pas monde", nous dit la philosophe, et nous avons besoin des autres pour être autonomes. Elle assortit la première devise d'une deuxième, moins connue "Rien de trop", qu'elle choisit de traduire par "ne te mets pas en scène en permanence", ou plus simplement "n'en fait pas trop".
En formation, on comprend bien que la citoyenneté ne consiste pas à se ranger derrière un drapeau, ni même à réciter les symboles de notre nation ou de notre république. Des activités collaboratives et en groupe, conçues à partir de rôles différenciées, et qui obligent donc à s'appuyer les uns sur les autres peuvent favoriser l'individuation. On pense également au design thinking ou à la méthode C-K, aux hackathons et aux techniques d'animation collaboratives, qui toutes s'appuient sur les différences des participants et sur leur complémentarité.
L'individuation se forme ensuite avec l'imagination vraie. Non pas l'imaginaire, mais l'imagination créatrice. Inventer des possibles, les mettre en oeuvre.
De ce point de vue, l'apprentissage de la citoyenneté et donc l'individuation se construit dans tous ces projets où l'apprenant est incité à créer, à inventer de nouveles solutions. Toutes ces techniques qui utilisent des légos, des post-its, des maquettes... pour inciter à réorganiser plutôt qu'à décrire sont bien adaptées. les élèves inventent individuellement et collectivement des solutions. Nous évoquions récemment John Hunter qui fait travailler de très jeunes enfants sur des questions géopolitiques à partir d'une maquette.
On pense également à ces activités de recherche, où les formateurs et enseignants n'ont pas la "bonne" réponse en réserve, et qui obligent donc chacun à inventer des solutions. Les savanturiers dont nous avions parlé il y a quelque temps illustrent bien cette démarche.
L'individuation s'appuie ensuite sur ce que l'individu est prêt à payer pour accéder au réel, le "prix de la douleur". Il s'agit du désapprentissage du mensonge et de l'illusion.
Cette problématique est particulièrement importante en formation. Un article de Nicolas Leluherne vantait les mérites du scepticisme. Débusquer les "fausses informations", confronter les sources, analyser le storytelling à l'oeuvre dans les discours sont des compétences de plus en plus nécessaires.
L'individuation, c'est aussi transformer toutes ces successions d'événements qui rythment notre quotidien en "expériences".
Une réponse pédagogique consiste sans doute en un travail sur l'attention. Les travaux de Ludovia 2016 peuvent nous donner quelques pistes. Les blogs, bullet journals ou autres productions peuvent aussi aider à transformer un événement en expérience.
Enfin, Cynthia Fleury insiste sur l'importance du rire. Elle cite Freud : "[...] L'humour ne se résigne pas, il défie, il implique non seulement le triomphe du moi, mais encore du principe du plaisir qui trouve ainsi moyen de s'affirmer en dépit de réalités extérieures défavorables".
Le souci de soi et la citoyenneté
Être citoyen, ce n'est donc pas s'aligner derrière un drapeau ou un leader. Cynthia Fleury rappelle avec humour que Socrate invitait déjà les dirigeants d'Athènes à se soigner, à se mettre en accord avec eux-mêmes avant de songer à diriger la cité.
Mais lorsque les citoyens se sentent dans une situation incertaine et précaire, ils se replient, ils se réfugient dans un "moi minimal", comme le dit Christopher Larch. Et ces personnes ne sont plus en capacité de s'occuper des affaires de la cité, et de penser aux solidarités. L'état de droit ne peut exister que si les citoyens peuvent se construire comme sujet. Cynthia Fleury utilise la métaphore de l'anneau de Möebius pour exprimer ce lien entre individuation et état de droit.
Lire et entendre Cynthia Fleury
Cet article ne dispense pas d'une lecture du livre, qui devrait sortir en poche en septembre 2017. De nombreuses vidéos d'interventions dans des librairies ou des séminaires facilitent l'entrée dans ce livre parfois difficile.
Cynthia Fleury est une auteure contemporaine. Elle est très présente sur les réseaux sociaux et travaille aussi sur les nouvelles technologies. Mais son livre aurait pu être lu dans les années 80. Il semble cependant que le monde numérique accentue les pathologies du social dont elle parle, en même temps qu'elles peuvent donner d'autres formes à l'individuation. Au lecteur de s'en saisir, donc, et de réfléchir sur la déclinaison qu'il donne aux propositions de l'auteure.
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