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Publié le 10 mai 2017 Mis à jour le 10 mai 2017

Enclavée ou connectée quels enjeux pour la commune rurale de demain ?

La ruralité apprenante

Village, fklv (Obsolete hipster), 10 février 2008

Je sais que dans une chronique il faut éviter de parler de soi. Quand on parle de ruralité : je ne peux m’en empêcher ! Je suis né dans un petit village breton non loin du Golfe du Morbihan. A l’époque, c’était un bourg rural où les anciennes solidarités et habitus s’exprimaient pour les plus anciens encore en breton. J’en ai gardé un monde de l’enfance entre rêverie et image d’Epinal. Pourtant, quand je m’extrais de mes souvenirs d’enfance, je partage le sentiment de Pascal Dibie :

Nous sommes montés dans le train de la modernité sans trop nous en apercevoir”.

J’aperçois du haut de ma mémoire les premiers effets de la rurbanisation. Au moment où nous faisions encore nos fêtes de village dans l’Antique lieu dit de Mangolérian, des lotissements aux accents californiens émergeaient, aspirations d’un autre mode de vie. Avec le numérique, le village devient global et comme le déclare Pascal Dibie est  “métamorphosépuisque ses habitants habitent les lieux physiques mais aussi sont des citoyens de la commune virtuelle.

Aujourd’hui, j’utilise encore le nous mais je me promène dans le “bourg” (expression bretonne désignant le centre de la commune) de mon enfance avec le regard de celui qui réside dans le passé. J’y perçois les signes du changement que le néo-eurélien que je suis observe également dans son département rural. Finalement, enclavée ou connectée de quoi sera faite la commune rurale de demain?

Des modes de vie uniformisés

Dès 2006, Pascal Dibie évoque l’informatique comme une nouveauté que les enfants n’ont jamais apprises. Est-ce surprenant ? N’est-ce pas notre projection d’un monde qui n’a jamais vraiment existé tel que nous nous le représentons ? Jérôme Damy, dans un article précédent, fait ce même constat :

Nous, on voit le numérique comme une révolution alors que les agriculteurs le voient comme une mutation de plus. Ils en ont l’habitude, ils se sont déjà adaptés à d’autres changements comme la mécanisation”.

Le monde rural a toujours été un monde apprenant. Il a toujours su adopter et intégrer les innovations technologiques. Vapeur, moissonneuse batteuse, araire ou encore tracteur connecté chacune de ces innovations contribuent à mieux nourrir les Hommes avec un défi en plus aujourd’hui, le respect de l’autre par celui de l’environnement.

Rien n’a changé mais tout a changé

Il est toujours déroutant de penser le monde rural comme un monde innovant et pourtant ? J’ai assisté à une table ronde où John Billard, vice président de l’Association des maires ruraux de France expliquaient que les besoins des habitants ont évolué avec le temps. Un acquéreur s'intéresse moins au réseau d’eau courante qu’à internet.

L'électricité ou le tout à l’égout inquiètent moins que la déconnexion. Aujourd’hui, une ville dépasse les frontières géographiques de son espace. Poser ses valises ne s’improvise pas. Dans un monde qui favorise les mobilités professionnelles et personnelles : les courriels, le téléphone illimité mais surtout la visioconférence sont les meilleurs moyens de garder contact avec les siens. On rêve d’y habiter parce qu’à la manière du prospecteur on cherche la pépite.  On s’appuie sur le site internet, des associations ou le réseau social choisi.  C’est autant de fenêtres que l’on ouvre car pour habiter, on compare, on compile, on écoute. Il faut donc que les communes apprennent à élaborer une architecture du choix à la manière d’une plateforme de vente en ligne pour être choisie.

Le territoire comme les élus deviennent alors apprenants. Rien n’est évident puisque pour créer l’identité numérique et les lieux de sociabilité, les communes et les hommes doivent apprendre à apprendre pour s’ajuster au monde qui vient.  Elles aspirent à être entreprenantes, l’absence de réseau mobile est un véritable handicap à se recréer. Comment attirer une entreprise dans un monde de dé-connexion permanente ? La zone blanche est un défi pour l’aménagement réticulaire du territoire. Les enjeux pour le village innovant : Les emplois de demain !

Une nouvelle forme de vie locale

Pasticher le titre de l’interview de Michel Lussault à Libération peut faciliter notre réflexion. Peut-on imaginer un village du Perche ou de Beauce comme un “exemple parfait de l’hyper-lieu : exaspéré, avec de l’humain porté à ébullition».

Il faut surement avoir l’humilité de voir des communautés rurales qui bouillent aussi intensément. Il reste que le concept est inspirant pour leur vitalité afin d’éviter de devenir ces hypo-lieux que sont les villes et villages dortoirs. C’est un challenge pour des communes où les migrations pendulaires limitent le reste à vivre sur leur territoire. Le retour des “communs” peut-être un des chemins à suivre. Les Tiers-lieux ruraux et la connexion favorisent le télétravail, la formation à distance ou même la médecine de demain.

Être un territoire apprenant, c’est disposer des structures et infrastructures qui permettent de lutter contre l’isolement des professionnels mais aussi permettent de recréer une autre vie locale.  Neutralité, convivialité et mises à disposition des ressources permettent de rêver, de concevoir et de fabriquer des biens ou des services. De l’auto-entrepreneur à la compagnie de théâtre amateur, le numérique facilite la mise en vie de la ruralité.

Le droit à l’erreur comme lâcher prise

Dans un entretien pour Kaizen Magazine, Jean François Caron maire de Loos-en-Gohelle “dresse” les conditions pour être un smart village ou une smart city. Il définit “quatre piliers :

  • l’implication des habitants,
  • la transversalité des actions,
  • le rêve partagé et
  • la culture de l’innovation”.
     

Nous ne sommes pas si loin des compétences indispensables du XXI siècle : collaboration, communication, compétences liées aux technologies numériques, habiletés socio-culturelles mais surtout citoyennes. Un territoire n’est pas déconnecté de ses habitants. Pour qu’il soit apprenant, chacun doit participer à l’acculturation de tous.

La société doit se donner le droit à l’erreur et accepter les risques liés au changement de modèle”.

Pour l’édile, adopter une posture bienveillante est indispensable pour accompagner le changement.  

Les solidarités locales comme un enjeu démocratique

Le sociologue Loïc Blondiaux, dans un entretien pour le monde, souligne l’importance démocratique de cette stratégie de développement pour ces nouveaux territoires :

C’est à l’échelle municipale que la démarche participative se diffuse le mieux, et c’est souvent à l’initiative d’élus locaux que les expériences de transitions à la fois écologique, économique et politique sont les plus avancées. Cela participe du déplacement des lieux du pouvoir entre le national et le local”.

Ces formes de gouvernances encouragent la créativité et la pensée critique. Elles mettent en capacité l’individu participer à la résolution des problèmes et à faire preuve de solidarité.

Faire des communes rurales des territoires apprenants, c’est bien sur les connecter au monde, favoriser la mise en archipel mais surtout donner à chacun les moyens de faire société.

Illustration : Village, fklv (Obsolete hipster), 10 février 2008

Sources :

Le village retrouvé, Pascal Dibie, Grasset, 1977.

Le village métamorphosé, révolution dans la France profonde, Pascal Dibie, Plon, 2006.

Pascal Dibie, l’ethnologue de sa tribu, l’Express, 5 janvie 1980
http://www.lexpress.fr/informations/pascal-dibie-l-ethnologue-de-sa-tribu_590962.html

Les Champs du possible : farmlab, incubateur, campus agricole innovant, Nicolas Le Luherne, Thot Cursus, 7 juin 2016.
http://cursus.edu/dossiers-articles/articles/27455/les-champs-possible-farmlab-incubateur-campus

Michel Lussault : «Times Square est l’exemple parfait de l’hyper-lieu : exaspéré, avec de l’humain porté à ébullition», Catherine Calvet, Libération, 24 février 2017.
http://www.liberation.fr/debats/2017/02/24/michel-lussault-times-square-est-l-exemple-parfait-de-l-hyper-lieu-exaspere-avec-de-l-humain-porte-a_1550858

Transition écologique devenir une ville pilote, Carole Testa, Kaizen Magazine, 27 avril 2017.
https://www.kaizen-magazine.com/transition-ecologique-devenir-une-ville-pilote/

Démocratie participative : « Les villes sont devenues les lieux de l’innovation politique », Interview de Loïc Blondiaux par Claire Legros, Le Monde, 30 mars 2017.
http://www.lemonde.fr/smart-cities/article/2017/03/30/democratie-participative-les-villes-sont-devenues-les-lieux-de-l-innovation-politique_5103329_4811534.html


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