Mobiliser des connaissances acquises des années plus tôt
Christine Ammirati est medecin urgentiste et docteur en pédagogie. Elle soulève le paradoxe des formations aux premiers secours. Les secouristes enseignent les "gestes qui sauvent" à des personnes qui n'auront peut-être jamais à les utiliser, et qui souvent devront les pratiquer dix ou vingt ans plus tard... Lorsque l'occasion se présente, la personne qui a suivi la formation a quelques minutes pour se souvenir de ce qu'elle a appris quelques années plus tôt.
Lorsqu'on met en lien cette constatation avec les mécanismes de l'oubli, on doit s'interroger sur les conditions d'efficacité de formations aux premiers gestes de secours. La formation doit donc viser la mémorisation, mais également un "oser agir".
La peur de mal faire, d'empirer la situation.
Avec un scénario d'arrêt cardiaque en supermarché, Christine Ammirati nous indique à quoi ces formations doivent préparer les participants.
Chaque étape est un véritable obstacle pour la personne qui a appris, et qui est confrontée par la suite à une situation réelle.
Christine Ammirati raconte l'anecdote de ce professeur qui simule un malaise face à de jeunes étudiants en médecine au tout début de leur formation. Il y a un défibrilateur en vue. Tous savent théoriquement qu'il faut l'utiliser... Mais sur 80 étudiants et étudiantes, une seule réagit comme il le faut.
Christine Ammirati donne une première explication. Même si les connaissances théoriques sont encore récentes, manipuler une personne, ou simplement la toucher n'est pas quelque chose que nous trouvons naturel. Christine Ammirati nous met en garde : "tant qu'on pourra imaginer qu'il suffit de dire pour que les gens fassent, on se trompera". Elle insiste sur la peur de toucher et de mal faire, qui doit être prise en compte dans la pédagogie du secours.
Il faut dédramatiser les gestes de premier secours, et commencer dès l'enfance. Elle insiste aussi sur la répétition, sur la nécessité de revenir régulièrement sur les premiers gestes pendant la scolarité, et après.
Des contextes difficiles à reproduire dans le cadre de la formation
Dans le réel, les gestes de secours se pratiquent dans un environnement très différent du cadre d'apprentissage. Le danger existe encore, la tension est très forte et le sauveteur se retrouve parfois au milieu de badauds qui commentent ou de proches qui manifestent leurs émotions bruyamment. Il faut "bricoler" des solutions pour installer la personne, alerter les secours,...
Ces situations réelles qui portent un sentiment de risque et d'urgence peuvent inhiber la mobilisation de connaissances que l'on aurait acquises dans l'environnement d'une formation.
Les pistes pédagogiques pour les premiers gestes de secours
Dans un article collectif auquel Christine Ammirati a participé, quelques pistes utiles sont avancées :
Faire découvrir la solution d'un problème par essai-erreur, en mobilisant les connaissances antérieures et en faisant agir les apprenants. Il s'agit d'un apprentissage par l'action plutôt que par l'écoute, que résume l'expression : "faire faire, faire dire, dire".
Entrainer au gester par la répétition, en variant les situations, et en obligeant ainsi l'apprenant à adapter ces gestes qu'il maîtrise, aide à éviter les gestes mécaniques non réfléchis.
Pour affiner les connaissances et repérer ce qui est déjà acquis, les auteurs proposent l'utilisation de cartes conceptuelles.
Le cas clinique, qui oblige à confronter ses connaissances est une autre approche, sachant qu'il peut s'agit de cas clinique avec simulation.
L'article que nous vous invitons à consulter donne de nombreuses autres pistes (utilisation de la vidéo, de machines à voter en amphi, entretien d'explicitation en petits groupes, jeux de rôles...). Varier les situations d'apprentissage est sans doute le meilleur moyen pour qu'au moment utile, l'apprenant puisse mobiliser ses connaissances et oser agir.
Les auteurs proposent une séquence pédagogique baptisée "AGIR", résumée ci-dessous :
Quelle approche pédagogique pour les professionnels du secours ?
Le développement qui précède concerne les gestes de premiers secours, ceux qui permettent de stabiliser une situation en attendant l'arrivée des professionnels. La formation de ces professionnels ou bénévoles qui interviennent régulièrement sur les scènes d'accidents ou de catastrophes se heurte à des problématiques proches. L'intervention se fait sur un terrain inconnu, avec des intervenants non préparés, dans des espaces parfois peu sécurisés...
Le capitaine Hugues, commandant l'unité de pompiers militaires du camp de Canjuers et concepteur de formations d'adultes a répondu à nos questions.
Les compétences
Il explique que la formation aux gestes de secours doit se concevoir comme une formation par les compétences. Contrairement aux publics des formations aux premiers gestes, son public est constitué de professionnels.
Il donne l'exemple de la compétence "prendre en compte la zone d'intervention". Elle fait appel à plusieurs "performances" : observation minutieuse, analyse de la zone d'intervention, prise de décision, donner des ordres, compte rendus, transmission des messages, communication avec les autorités, les impliqués et témoins...
Cette approche permet de proposer des situations de plus en plus complexes aux participants pour leur permettre de se situer face aux dangers, de prendre conscience des besoins en formation ou complément de culture et ainsi de monter en compétence.
"Les stagiaires travaillent en groupes qui co-développent par l'échange et la recherche accompagnés par un formateur-accompagnateur expérimenté." nous explique le capitaine Hugues.
Diversifier les approches
"L'objectif reste toujours la finalité de la mission : porter assistance et réaliser les opérations de mise en sécurité ou de secours nécessaires à la préservation des personnes, des biens et de l'environnement." explique le capitaine Hugues.
Il faut confronter les participants à une multitude de situations pour lesquelles ils développeront une méthode générale d'analyse issue de l'observation et de réflexion à l'aide de leurs connaissances, expériences, et évidement leur particularités personnelles (expérience, vécu, perception, compréhension, sensibilité, aptitudes, appréhensions)
Ensuite il est impératif d'analyser et de debriefer les actions en exploitant le ressenti et la verbalisation par le participant qui doit être au final capable de déterminer ce qui s'est passé et d'en tirer des enseignements pour préformer ses actions ( observation, analyse, décision, gestes).
Il n'y a pas une seule manière de traiter une situation, mais une multitude issues de l'analyse individuelle, la complémentarité des méthodes par confrontation/échanges des actions et résultats permet d'élargir son champ de vision et des possibilités.
Une place pour le numérique ?
"Le numérique permet d'enrichir le potentiel de connaissances ou d'expériences par l'étude des techniques ou procédés existants ou expérimentés dans ce "monde" des secours au travers de vidéo et films permettant l'analyse et le retour d'expérience." explique le capitaine Hugues.
L'analyse par l'autoscopie (vidéo des exercices) est extrêmement enrichissante. De plus, travailler une partie en e-learning permet de se concentrer sur la pratique et l'échange lors des phases de presentiel.
Que l'on forme des professionnels du secours ou des citoyens, les approches pédagogiques sont proches. Si la question du "oser agir" est moins centrale chez les premiers, l'alternance de contextualisation / décontextualisation, les variations de situations, de corpulences, de scénarios, ainsi que la répétition des apprentissages en sont des éléments essentiels.
Illustrations : Frédéric Duriez
Sources
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