Envisager l’activité ludique comme une source de motivation et d’apprentissage peut être trompeur. Il s’agit pourtant d’un objectif pédagogique à considérer pour inciter l’élève à s’engager dans sa tâche. Cependant, pour apprendre, l’élève doit solliciter ses facultés cognitives, ce qui ne se montre pas systématiquement dans le jeu par ordinateur.
Le jeu
La ludification ou « gamification » consiste en l’introduction du jeu dans un espace non-ludique, telle que celui de l’apprentissage. Il s’agirait alors d’introduire des éléments du jeu pur et simple dans un design éducatif. On ne parle plus de jouer pour s’amuser, mais de jouer pour apprendre.
Il n’est pas nouveau de proposer aux élèves une activité ludique en cours de situation d’apprentissage. Aux différents ordres d’enseignement, la pédagogie se soucie depuis longtemps de la motivation des élèves à apprendre, le jeu présentant une source de motivation propice, à un moment de la démarche d’apprentissage où il pourrait y avoir essoufflement.
Historiquement au Québec, les enfants des Centres de la petite enfance (CPE) et ceux des classes de maternelle apprennent par le jeu à développer leurs habiletés motrices et leurs facultés cognitives. La nouveauté réside dans le fait que les jeux sont maintenant développés sur le Web, sans pour autant que les enfants y aient accès[i]. Informatisés ou pas, l’objectif de l’activité ludique est de stimuler l’engagement et la participation à la démarche d’apprentissage.
La motivation
Le piège de la nouveauté est bien présent dans la planification des situations d’enseignement – apprentissage (SEA). Proposer le jeu numérique comme activité nouvelle peut certainement inciter l’apprenant à s’engager dans sa tâche. Dès que l’activité sera répétée, la complexité de la tâche pour parvenir à des niveaux de jeu supérieurs devient stratégique : trop difficile elle décourage, trop facile elle ennuie. La question de la motivation se pose alors dans toute sa complexité.
Motivation extrinsèque et intrinsèque.
Si les jeux éducatifs ont atteint un si haut degré d’intégration, c’est sans doute à cause de la motivation qu’ils sous-tendent. Car le jeu comme représentation perçu par l’enfant et l’adolescent appartient davantage au « gaming » qu’au jeu sérieux ou « serious game ». Le chemin vers l’apprentissage est tracé; la perspective pour l’apprenant d’utiliser sa tablette ou un ordinateur pour accéder au jeu est une perspective réjouissante, et jusque-là, la stimulation à l’engagement dans la démarche d’apprentissage est bien réelle. Mais ce n’est pas suffisant. S’il n’y trouve pas un profit personnel, l’effort que mettra l’élève pour réussir le jeu sera passablement amoindri.
La motivation intrinsèque devient une préoccupation majeure des concepteurs et des pédagogues. Afin d’atteindre cet objectif, l’intérêt des joueurs doit être maintenue et leur valorisation devant l’atteinte des objectifs du jeu doit susciter leur enthousiasme, la conception propre du jeu étant aussi un élément de motivation. Les facteurs suivants ont été cités comme facteurs importants de motivation[1] :
- L’environnement du jeu : la curiosité, le désir de poursuivre plus avant est suscité par ce facteur.
- L’aspect social : les joueurs qui aiment le travail d’équipe voudront s’engager dans le jeu.
- L’élève lui-même : l’avatar permet l’engagement de soi et le joueur voudra le personnaliser.
- L’action du jeu : s’investir dans l’action, poursuivre un itinéraire, réussir à franchir des obstacles, passer à des niveaux supérieurs, voilà des défis à relever qui motivent.
La question est maintenant de savoir si les élèves apprennent réellement ?
L’apprentissage.
Les joueurs apprennent-ils à travers le jeu sérieux ? La réponse à cette question dépend d’une part de ce qu’on entend par apprendre, et d’autre part des intentions d’apprentissage.
Les enseignants qui privilégient l’approche de la pédagogie de l’apprentissage se préoccupent de mettre l’apprenant en situation d’acquisition des savoirs dans le but de les réutiliser dans d’autres contextes. Ils s’assurent que les processus cognitifs sont engagés dans l’activité ludique.[ii] Il faut alors se demander si le jeu mis en scène répond à ces critères, du moins en partie.
De plus, quelle est l’intention d’apprentissage derrière le scénario ? Nonobstant le fait que les joueurs s’amusent en réalisant l’activité, et c’est là ce que désire le pédagogue par une approche motivationnelle, il doit y avoir acquisition et, possiblement, réorganisation des connaissances, dans un objectif d’évaluation (ou d’autoévaluation). Le jeu sérieux répond-t-il à ces critères de performance ? Possède-t-il les propriétés didactiques pour lesquelles il est utilisé, soit qu’il permette le transfert et l’exploitation des connaissances et des technologies (TECT) [iii]?
Pour poursuivre la réflexion
Introduire le jeu dans la démarche d’apprentissage est un défi et nécessite qu’on se penche sérieusement sur la valeur qu’il représente pour le pédagogue et l’apprenant. Mais ce défi peut être très motivant, et le gain qualitatif (certains diront : valeur ajoutée) peut être évalué en fonction de la motivation de l’apprenant et de l’engagement cognitif de ce dernier.
Comment ludifier (ou gamifier) votre classe
The Ultimate Guide to Gamifying Your Classroom propose une bonne syhthèse des étapes à suivre et des pièges à éviter pour ludifier ses activités pédagogiques.
Illustration : TORLEY via Foter.com / CC BY-SA
Références
Altet, A. Les pédagogies de l'apprentissage. P.U.F., 2013.
Bouvier, P., Lavoué, E., Sehaba, K. Penser engagement et/ou présence pour l'apprentissage en environnements virtuels. Immersive Learning and Education workshop, in conjunction with EUROGRAPHICS 2014, Apr 2014, Strasbourg, France. <hal-01134624>
Deterding, S., Dixon, D., Khaled, R. Nacke, L., Lennart, N. Du game design au gamefulness : définir la gamification. Sciences du jeu 2, 2014. http://sdj.revues.org/287
Éducation et formation. Jouer pour apprendre : est-ce bien sérieux ? Canadian journal journal of Learning and technology. Numéro 37(2), 2011.
Emin-Martinez1, V., Ney, M. Accompagner les enseignants dans le processus d’adoption d’une pédagogie par le jeu.
Institut Français de l’Éducation, Lyon. Dernière modification le : mardi 3 février 2015.
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00872340
Wart, S. 5 étapes pour intégrer le jeu en classe. Publié le 25 octobre 2015. http://ecolebranchee.com/2013/10/25/5-etapes-pour-integrer-le-jeu-en-classe/
Ultimate Guide to Gamifying Your Classroom - Amanda Ronan - Edudemic
http://www.edudemic.com/ultimate-guide-gamifying-classroom/
[1] Bouvier et autres, 2014.
[i] Inégalité sociale concernant l’accès au numérique.
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