Mon fils tout jeune, nous entendant parler de l’interdiction faite aux femmes de conduire une voiture en Arabie Saoudite, était sidéré par cette inégalité inexistante dans son schéma mental des hommes-garçons/femmes-fille.
Mon fils, jeune homme qui a quelque peu subi un formatage social, trouve déjà normales certaines discriminations ou inégalités envers la gente féminine rejoignant la réprobation sociale ambiante envers les comportements égalitaires. L’une de mes filles souscrit parfaitement aux restrictions imposées par son statut de femme mariée et de mère, alors qu'elle a été élevée, le crois-je, à l'aune de l'égalité avec ses frères.
Bien qu’il soit malaisé de dissocier les attitudes et comportements relevant du simple réalisme ou pragmatisme dans la gestion de toute vie, et ceux relatifs au sexisme, je constate la prégnance d’une approche genre biaisée où le genre exprime tout autant qu’il produit une valence différentielle des sexes qui traduit la place différente qui est faite universellement aux deux sexes sur une table des valeurs et signe la dominance du principe masculin sur le principe féminin.
Albert Memmi dans son livre "L'Homme dominé" (la femme, le noir, le domestique, etc.) démontre que l'intériorisation du regard et traitements avilissants ainsi que leurs valeurs sous-jacenthes rend la victime agent consentant de sa propre domination, la reproduisant et perpétuant quasi inconsciemment. Les conséquences de la domination deviennent elles-mêmes des causes et c'est le cercle vicieux de la déshumanisation.
Les dossiers de l'ifé (Institut Français de l’Éducation) n°112, Octobre 2016 sont consacrés au thème : L’ÉDUCATION DES FILLES ET DES GARÇONS : PARADOXES ET INÉGALITÉS (.pdf). Marie Gaussel y décortique le carcan du genre dans nos sociétés malgré les lois et les professions de foi sur l'égalité, la parité, etc. et le fonctionnement des systèmes scolaire et préscolaire producteurs d’inégalités sexuées. Elle pointe les solutions préconisées à la suite de plusieurs recherches dans le domaine car chaque élève, en dépit de toute différence avec ses pairs, a potentiellement la capacité de réussir et de choisir la filière qui lui correspond.
Les études scientifiques ont catégoriquement démenti toutes les allégations des différences genre basées sur les causes biologiques et naturelles. Elles ont au contraire démontré que, grâce à ses propriétés de plasticité cérébrale, le cerveau se façonne en fonction du contexte, des apprentissages et des expériences vécus par les individus : 90 % des connexions entre neurones ne s’effectuent qu’après la naissance et le cerveau reste malléable tout au long de la vie. (Gaussel & Reverdy, 2013).
Dans l'étude en question, on distingue le sexisme hostile qui correspond au sexisme tel qu’on le conçoit traditionnellement et le sexisme bienveillant qui encourage l’inégalité hommes-femmes en confortant les femmes dans l’idée qu’elles ont reçu de la nature le don d’être belles, désirables, aimantes, maternelles, par opposition aux hommes qui ont été dotés de la force et de la puissance. C’est très rassurant de s’en tenir à cette répartition des rôles. La galanterie maintient l’ordre social, qui repose sur l’idée que chaque sexe possède de façon innée (naturelle, biologique), des prédispositions qui justifient que les femmes aient besoin d’un protecteur.
Le genre scolaire serait, lui, une construction spécifique à la culture scolaire, qui aboutit à la détermination d’identités d’élève-fille ou élève-garçon, auxquelles sont associées des manières d’être-en-classe et des choix préférentiels.
La notion de curriculum caché est centrale pour la compréhension des processus de reproduction des stéréotypes de sexes à l’école primaire : filles et garçons saisissent ce qui est attendu d’eux tout au long de leur scolarité.
« Le curriculum caché ou latent désigne la différence entre les contenus, les finalités, les objectifs prescrits et ces choses qui s’acquièrent à l’école (savoirs, compétences, représentations, rôles, valeurs) sans jamais figurer dans les programmes officiels ou explicites »(Mosconi, 2010).
Paradoxalement, c’est l’avènement de la mixité qui a fait prendre conscience du poids des stéréotypes sexués qui sont d’abord développés dans les familles pour être renforcés, voire accentués, à l’école et dans la société dans son ensemble. La mixité ne peut conduire à une véritable égalité que si l’école la transforme en coéducation (et non pas juste une cohabitation).
Par ailleurs, même si les filles réussissent mieux que les garçons à l’école, elles s’orientent vers des filières moins prestigieuses, moins rémunératrices et très genrées.
À chaque carrefour d’orientation, les études et carrières scientifiques perdent des candidates, qui souvent ressentent que le domaine des sciences et techniques est masculin, froid, exploratoire et compétitif (Fumat, 2010).
L'auteure évoque des solutions radicales et qui tombent sous le sens. A l’école d’abolir totalement les différences de traitement entre les genres en proposant systématiquement les mêmes jeux, les mêmes sports, les mêmes activités, les mêmes orientations dans un respect strict de parité.
Il est également nécessaire de retarder l’âge des projets professionnels afin que la détermination sociale des parcours pèse moins sur les intentions d’orientation des élèves féminins comme masculins.
Il serait également intéressant de consulter cette publication du laboratoire de l'égalité qui propose 9 solutions (un pacte) pour lutter contre les stéréotypes et construire une culture de l'égalité ambitionnant d'une part de "faire prendre conscience à chacun et chacune qu’il/elle, en tant qu’individu, et souvent à son insu, véhicule des stéréotypes qui ont des effets réels et le plus souvent néfastes, notamment dans les situations d’évaluation, de sélection, de recrutement" et d'autre part d'interpeller les décideurs publics et privés, et leur soumettre des pistes d’action.
Illustration : ArtsyBee - Pixabay
Références
Marie Gaussel/ Dossiers de l'ifé (Institut Français de l’Éducation) n°112, Octobre 2016. L’ÉDUCATION DES FILLES ET DES GARÇONS : PARADOXES ET INÉGALITÉS.
http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA-Veille/112-octobre-2016.pdf
Combattre les stéréotypes liés au genre, Thot Cursus,
http://cursus.edu/dossiers-articles/articles/21239/combattre-les-stereotypes-lies-genre
Albert Memmi, L'Homme dominé, éd. Gallimard, Paris, 1968
http://www.decitre.fr/livres/l-homme-domine-9782070439843.html
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