Dans dix minutes, je présente un projet à mon équipe. Je dois annoncer les grandes masses budgétaires et les principales étapes pour l'année qui vient.
Rien de bien complexe... sauf que mon collègue perfectionniste assiste à la réunion. Ce n'est pas juste qu'il aime le travail bien fait et l'exactitude, mais il traque l'erreur, critique et interrompt sans cesse pour signaler nos approximations coupables !
S'il lit un dossier, ce n'est que pour parler des fautes ou des inexactitudes qu'il y a lues. Il terrorise les trésoriers et comptables en recomptant le moindre chiffre, et peste quand on lui parle d'arrondis.
L'erreur de la réussite normale
Il est arrivé avec cinq minutes d'avance, convaincu qu'être pile à l'heure, c'est déjà être en retard. Comme j'installe un vidéo-projecteur, il m'alerte sur le fait que les diapos projetées ne sont pas droites par rapport à l'écran. Il ne me lâche pas tant qu'on n'a pas tourné légèrement le projecteur. Je ne vois pas de différence, mais ça semble le calmer.
Comme je passe rapidement mon diaporama, il repère mon budget. "Tu aurais dû faire un camembert", ça aurait été plus clair... Et tes pourcentages, si on additionne, ça ne fait pas cent... Si tu nous montres des données imprécises, on ne pourra rien décider..."
C'est qu'il ne parle jamais d'erreur, mais toujours de faute, avec une connotation morale. Quelqu'un qui se trompe, c'est d'abord quelqu'un qui est coupable de négligence... L'article "erreur/faute du site" Parler français
Et notre collègue s'est mis en tête de nous éduquer... Persuadé que l'exigence et la traque des erreurs ne font que "perfectionner" les humains, il estime en revanche que ce qui est réussi est normal, et qu'il ne faut donc pas en parler. Expérience conseil nous explique que cette tendance à ne pas valoriser ce qui est bien fait, fait partie des sept erreurs courantes des managers inexpérimentés.
Se féliciter de ce qui est réussi, c'est en quelque sorte s'en étonner, et considérer que le sans faute est une exception rare... La logique se tient. Mais personne ne lui montre plus grand chose. On l'associe de mauvaise grâce à un projet.
Depuis cinq minutes, j'ai déjà bien perdu confiance en moi et en ce projet.
Pourrait-on rêver de lui rendre la pareille s'il présentait quelque chose ? Non. Nous avons renoncé depuis longtemps à lui laisser la parole. Il s'embarrasse, cherche le mot juste, détaille et surdétaille. Chaque phrase commence par "et il faut aussi que vous sachiez que..." et le flot de paroles ne s'arrête jamais.
Lorsqu'il est stressé, il refuse de déléguer quoi que ce soit. En voulant tout faire, il se noit, démarre sa journée aux aurores et termine tard dans la nuit... pour un résultat de qualité moyenne. La Process com le classerait comme travaillomane.
Du perfectionnisme à la paralysie
Thomas Coeffe nous met en garde contre cette tendance à chercher la perfection, à être critique avec soi-même ou avec les autres. Etre perfectionniste, c'est perdre du temps. 80% du travail est fait en 20% du temps, selon Pareto. Pour s'approcher des 100%, on va donc multiplier par près de 5 le temps passé.
Mais ce n'est pas tout. Le perfectionniste casse le moral des collègues. Il pointe ce qui ne va pas, les échecs, les loupés. Il se dégage dans son sillage un sentiment d'insatisfaction peu motivant !
Et enfin, il a tendance à retarder le passage à l'étape suivante, parce qu'il continue de trouver des défauts et des incertitudes.
Thomas Coeffe parle du cycle : perfectionnisme > procrastination > paralysie.
Et en effet, le perfectionniste est le premier à souffrir de son attitude. Car il exerce d'abord son esprit critique contre lui-même. L'Université Laval propose quelques conseils à ses étudiants perfectionnistes. Il faut donc un peu d'indulgence et d'accompagnement pour mon collègue. Il faut l'encourager à se donner des "permissions", pour parler comme les auteurs de l'analyse transactionnelle.
Et pour être honnête, il y aurait quelque chose de paradoxal si nous en venions à ne poser qu'un regard critique et jugeant vis à vis de notre perfectionniste ! Le perfectionniste est aussi celui qui nous évite d'envoyer aux clients des documents incomplets, ou de nous lancer sur des projets sur la base de données incomplètes et inexactes...
Illustrations : Frédéric Duriez
Ressources :
Thomas COEFFE "Les 3 P de la non-productivité : perfectionnisme, procrastination et paralysie" publié le 19 août 2014, consulté le 2 janvier 2017
http://www.blogdumoderateur.com/perfectionnisme-procrastination-paralysie/
Le blog du management de projet "Comment donner du retour d'information à un perfectionniste" publié le 10 octobre 2012, consulté le 2 janvier 2017
https://leblogdumanagementdeprojet.com/2012/10/10/comment-donner-un-retour-dinformation-a-un-perfectionniste/
Louise CAREAU Université de Laval - "Perfectionnisme : quand le mieux et l'esprit du bien" consulté le 26 décembre 2016
https://www.aide.ulaval.ca/psychologie/textes-et-outils/difficultes-frequentes/le-perfectionnisme-quand-le-mieux-devient-l-ennemi-du-bien/
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