Innovation-lab, social-lab, creative-lab... Le laboratoire devient la métaphore qui décrit ces espaces de liberté où l'exploration, la prise de risque et l'innovation sont possibles.
Au milieu des procédures, des obligations de reporting, urgences charriées par les mails et les téléphone, le "lab" représente à la fois un lieu et un mode d'organisation qui favorisent la créativité, la coopération et le moyen-long terme.
Au delà des termes employés, quels sont les grands principe de management et d'organisation de ces espaces inspirants ?
Un lieu qui permet de faire varier les distances
Le "lab" est un espace où il est possible de moduler la distance avec les collègues, de travailler seul ou de se réunir. Il est possible d'y inviter clients et fournisseurs, ou de s'en abstraire complètement.
Le "laboratoire" est éloigné du reste de l'entreprise. Pour penser "out of the box", il faut sortir de la boîte... C'est assez simple ! Rien n'est figé. On peut passer d'une salle de réunion à des fauteuils, discuter autour d'une table basse, ou debout, accoudé au bar. Le bien-être, le confort sont des éléments essentiels, comme la disponibilité des équipements et aussi des connexions !
Les espaces permettent tour à tour de s'isoler, de rencontrer des collaborateurs, ou d'accueillir un client. Mais on peut au contraire choisir de prendre ses distance vis-à-vis de l'environnement de l'entreprise. Dans un article intitulé "Vous avez vraiment besoin d'une stratégie d'innovation", Gary P. Pisano nous explique que certaines sociétés pharmaceutiques empêchent volontairement leurs groupes de recherche d'accéder aux informations du marché lorsqu'ils ont à décider de l'orientation des programmes. C'est selon eux une condition pour s'éloigner du court terme.
L'organisation de l'espace en mode Lab inspire aussi l'univers de la pédagogie. Ainsi, Lucas Gruez, enseignant au collège Albert Samain (Roubaix, France) explique comment son établissement a installé un espace "Lab" pour ses élèves.
Les urgences attendront
Les formations en gestion du temps nous invitent à prendre quelques minutes chaque matin pour planifier notre journée. Pourtant, beaucoup de salariés et de cadres d'entreprise sont incapables de dire le matin à quoi leur journée ressemblera. Un coup de fil, un mail, l'irruption d'un collègue ou d'un client suffisent à tout bousculer. A tous les stades des hiérarchies, l'horizon temporel semble se rétrécir. Planifier à l'année, au mois, à la semaine ou même à la journée semble un luxe.
Et c'est ce luxe que le mode Lab apporte. Le laboratoire renvoie une image de long terme. Il faut des années pour mettre un médicament ou un produit phytosanitaire sur le marché. La dictature du temps et des urgences en tout genre n'y a pas cours. C'est en tout cas ce qu'on aimerait croire... Une recherche sur internet avec les mots clés "reporting, contrôle de gestion et laboratoire" nous démentirait assez rapidement !
Le mode lab n'est pas éloigné de toute considération économique, bien au contraire. Il constitue néanmoins une parenthèse dans laquelle ce n'est pas votre boîte mail ou votre téléphone portable qui vous indique ce que vous ferez dans les prochaines minutes. En revanche, certaines méthodes, comme l'accélérateur de projet, fonctionnent dans un temps limité avec un rythme soutenu. Le lab n'est pas juste un espace avec des gros fauteuils et des baby-foots !
Autonomie et interdépendance
Linda A. Hill, Greg Brandeau, Emily Truelove et Kent Lineback nous disent dans un article intitulé "Le génie collectif", que le rôle du leader n'est pas de définir une vision et de motiver ceux qui la mettront en oeuvre. Il est davantage de créer une communauté qui voudra et qui pourra créer de nouvelles idées. Il crée un environnement au sein duquel d'autres feront en sorte que l'innovation se produise...
Les rôles et les fonctions au sein du groupe ont peu d'importance. La prise de parole est libre. Un laboratoire est un lieu où des points de vue très divers peuvent s'exprimer, où la richesse réside dans la pluralité des regards. Pas de hiérarchie pesante, donc, mais une interdépendance importante entre les membres.
Les compétences relationnelles sont aussi importantes que les compétences techniques. Les participants sont invités à quitter une zone de confort, des réflexes de méthodes et les process qui les ont pourtant aidés à réussir leurs projets précédents. Les egos trop importants, les relations d'autorité trop affirmées viendraient casser cette dynamique basée sur l'échange et la convivialité.
Un/e responsable de projet est autonome sur les méthodes et l'utilisation des ressources à sa disposition. Mais il/elle est aussi une ressource pour les autres responsables. Le système d'évaluation doit donc prendre en compte les avancées du projet porté par le/la responsable, mais aussi ses contributions. La compétition n'est pas la norme, et chaque réussite porte une part de collectif.
En quelques mots, le management en mode Lab favorise la collaboration et l’émulation, il donne du pouvoir aux employés, et fait confiance.
Encourager le débat
Si le management des lab encourage la collaboration, il favorise aussi le débat et les échanges directs. Linda A. Hill, Greg Brandeau, Emily Truelove et Kent Lineback écrivent que collaborer, c'est aussi exprimer des désaccords. Il faut une volonté de travailler ensemble, mais qui soit suffisamment "conflictuelle" pour qu'il y ait une confrontation qui suscite la réflexion.
John P. Kotter conseille quant à lui d'inviter les lions dans l'arène. Pour innover, il faut accepter de donner la parole à ceux qui n'y croient pas ou qui aimeraient faire différemment.
Les méthodes
Les méthodes utilisées en mode Lab sont diverses. La première méthode est peut-être justement qu'on ne s'en interdit aucune. Alain Dufossé, directeur général d'une cellule d'innovation au sein de Pernod Ricard insiste sur un danger qui guette ces structures. La volonté de tout mettre en algorithme, de développer des process et donc de tout organiser.
Néanmoins, quelques méthodes favorisant le travail pluridisciplinaire et créatif sont très souvent cités dans les labs, qu'il s'agisse d'innovation-labs, de creative-labs, social-labs, etc.
Avec l'accélérateur de projet, une personne présente son projet en temps limité. Les autres participants posent des questions sur des points factuels, pour bien comprendre la situation. La personne qui a exposé la situation indique ensuite en une minute ce qu'elle attend de l'accélération. Les autres participants apportent leurs remarques, commentaires, suggestions... Celle ou celui qui a présenté prend un temps pour formaliser un plan d'action, tandis que les autres participants notent ce qu'ils peuvent retenir pour leur propre projet.
La méthode dépasse le périmètre des entreprises, comme le montre la fiche méthode d'envie scolaire. Elle trouverait sa place dans une réunion de réflexion sur la pratique pour des travailleurs sociaux, ou dans un établissement scolaire, dans le cadre d'une pédagogie par projet.
La méthode C-K, la théorie de résolution des problèmes inventifs (TRIZ), et surtout le desigh thinking sont régulièrement évoqués. Pour aller plus loin, vous pouvez télécharger le livre très stimulant de Véronique Hillen, 101 repères pour innover.
L'erreur
"Try Fast, Learn Fast, Fail Cheap". Essaie rapidement, apprend rapidement, et échoue à peu de frais. Voilà le slogan des laboratoires tels qu'on les imagine. Le management à la mode Lab encourage les essais, la prise de risque. Il ne culpabilise pas l'erreur. Elle est une nouvelle étape vers la réussite. Elle nous donne une information sur une piste qu'il ne faut plus suivre.
Il faut rater rapidement, cependant. Ne pas persévérer inutilement, et croire qu'une mauvaise idée devient bonne à force d'efforts et de moyens.
Nicolas Huchet, co-créateur de My Human kit nous dit en octobre 2016 :
D'un point de vue général, [innover] c'est apprendre à se tromper : "I've learned so much from my mistakes, I think i'll make another" (ndlr : "j'ai tellement appris de mes erreurs que je crois que je vais en faire une autre"). C'est la fameuse "école de la lose" (école de l'échec), celle que l'on retrouve dans les fablabs, qui nous rend humble et nous fait apprendre bien plus que la réussite. Plus on essaie, plus on apprend, meilleur on devient et plus on innove.
Et pour cela, il faut tester rapidement, au plus près du réel. Le laboratoire est un espace de réflexion, mais aussi de fabrication et de réalisation. Dans un laboratoire, on ne produit pas que des diaporamas powerpoint ou des tableaux de données. Les prototypages sont des étapes essentielles, et ici encore, très en amont du projet.
La management en mode "lab" s'appuie donc sur quelques grands principes comme le travail en équipe, l'alternance de méthodes divergentes et convergentes, l'écoute d'acteurs d'horizons très différents.
Beaucoup d'entreprises nous en décrivent le fonctionnement, mais aucune ne présente le parcours qui y amène, et encore moins la façon dont on en sort. Car on comprends bien que le "lab" est un espace qui amène des personnes d'horizons différents à se confronter pour mieux créer. Que se passe-t-il lorsque des habitudes se prennent ? Et comment revient-on dans un espace plus cadré ?
Illustrations : Frédéric Duriez
Ressources :
Cet article s'est beaucoup inspiré du livre suivant, qui consacre quelques pages aux "innovations-labs".
Albert MEIGE, Jacques SCHMITT Innovation intelligence avril 2015 Absans publishing
Econocom Dans les coulisses de l'innovation avec Pole-Emploi consulté le 27 octobre 2016
https://www.digitalforallnow.com/open-innovation-lab-pole-emploi/#!
NB : Pôle-emploi est la structure de recherche d'emploi et d'indemnisation du chômage en France.
Tine HANSEN : Fail fast, fall often, consulté le 27 octobre 2016
https://ilab.dk/blog/fail-fast-fail-often
Jean-Pierre LEAC "Qu'est-ce que le design-thinking ?" consulté le 27 octobre 2016
http://www.lescahiersdelinnovation.com/2016/02/qu-est-ce-que-le-design-thinking/
Véronique HILLEN : 101 repères pour innover - consulté le 27 octobre 2016 http://veroniquehillen.com/
Linda A. HILL, Greg BRANDEAU, Emily TRUELOVE, Kent LINEBACK Le génie collectif Harvard Business Review - hors-série - Printemps 2016
Gary G. PISANO Vous avez besoin d'une stratégie d'innovation Harvard Business Review - hors-série - Printemps 2016
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