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Publié le 03 octobre 2016 Mis à jour le 03 octobre 2016

Mes angoisses connectées : Internet nous pardonne-t-il nos errances ?

Internet nous autorise-t-il le droit à l'oubli ?

Vous êtes une personne jeune, belle et insouciante. Vous avez une petite amie ou un petit copain. Comme la plupart de vos amis, vous êtes adeptes des réseaux sociaux. Stimulée par la lecture d’une rubrique lue dans un magazine, l’excitation du moment, un besoin de reconnaissance ou le dernier « truc à faire » à la mode, vous décidez, en accord avec votre compagne ou compagnon, de filmer une de vos relations sexuelles et de poster ce moment pornographique sur le net.

La petite vidéo fait, comme on dit, le « buzz » parmi vos connaissances connectées avant de disparaître, semble-t-il bien vite, dans les méandres de la mémoire de l’Internet, noyée sous tant d’autres vidéos du même genre publiées par autant de jeunes couples éphémères.

Internet n’oublie rien

Quelques années plus tard, fraîchement diplômé, vous êtes assis dans le bureau du chef du personnel d’une grande entreprise pour votre premier entretien d’embauche. C’est alors que le directeur des ressources humaines vous fait part de son étonnement de vous avoir trouvé, lorsqu’il a « googlisé» votre nom sur le net, dans une position fort peu adéquate avec l’image de respectabilité qu’il souhaite promouvoir dans sa société.

Vous découvrez, non sans une pointe d’angoisse, que la petite vidéo impudique qui avait beaucoup amusé vos amis de jadis, est devenue la principale nuisance à votre début de carrière professionnelle. Ainsi, une petite rigolade postée sur le net dans votre passé porte préjudice à votre présent et pourrait même sérieusement hypothéquer votre avenir.

Vous vous empressez donc d’envoyer à Google, principal moteur de recherche sur le marché, un courrier exprimant votre souhait de voir votre petite vidéo coquine disparaître de la surface d’Internet, afin que votre nom ne soit plus entaché de vos anciennes lubriques escapades numériques. C’est ça, le droit à l’oubli.

Demande de rédemption

Si cela peut vous consoler, vous n’êtes pas la seule personne dans cette situation. Depuis le 29 mai 2014, ce ne sont pas moins de 283 276 demandes de suppression d’une ou plusieurs références Internet qui ont été adressées à Google. Soit 1 030 182 URL (adresse de ressource Internet) que d’autres personnes souhaitent voir disparaître des résultats proposés par les moteurs de recherche. Soit dit en passant, c’est la France qui est le pays enregistrant le plus de demande (autour de 200 000).

Mais c’est l’Estonie qui est la championne en nombre de demandes par habitant. Les sites les plus touchés par ces requêtes de déréférencement sont, comme vous vous y attendiez, les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, Google+ ou You Tube. D’autres sites, très gourmands lorsqu’il s’agit de récolter des données personnelles, ne sont pas en reste, tels que les sites de rencontres.

Néanmoins, seules 41,3% de la totalité des demandes de suppression ont reçu une réponse positive du géant américain du net. Pourquoi ? Parce qu’au droit fondamental de l’internaute imprudent que vous êtes à la protection de sa vie privée et de ses données personnelles se voit opposer celui, tout aussi fondamental, du public à accéder à l’information, ainsi qu’au droit à la liberté d’expression de votre éditeur. Pas vraiment rassurant lorsqu’on apprend que 95% des souhaits de voir retirer certains référencements concernent des informations relativement privées et embarrassantes comme des images de nu.

Une histoire gravée dans le marbre numérique

Ainsi Google s’opposait-il systématiquement au déréférencement jusqu’à ce qu’un arrêt de la Cours de Justice de l’Union Européenne daté du 13 mai 2014 (arrêt Google Spain) ait offert aux internautes le droit, sous certaines conditions, d’obtenir la suppression des résultats potentiellement obtenus à partir d’une recherche effectuée à partir de leur nom. Depuis cette date, la firme américaine a créé une commission d’experts chargée de statuer, au cas par cas, sur les déréférencements réclamés par les utilisateurs, selon des critères établis par elle-même mais partagés par le G29, un groupe de travail indépendant agissant à la demande de la commission européenne.

Dans un profond soulagement, vous apprenez que Google a accédé à votre demande. Un petit test rapide de recherche vous confirme que votre nom n’est plus lié à cette terrible sottise de vidéaste amateur à laquelle vous aviez succombé il y a tant d’années. Etes-vous pour autant redevenu une personnalité « propre »?

Rien n’est moins certain. Car si Google a opéré un déréférencement sur la version française et, peut-être également, sur l’ensemble des déclinaisons européennes de son moteur de recherche, l’accès au lien supprimé est toujours disponible sur sa version « .com ». Car le droit au déréférencement dont vous avez bénéficié n’est pas un véritable droit à l’oubli numérique. Si la suppression du lien entre votre nom et la ressource tant redoutée est effective, ni la suppression définitive de la vidéo, ni même sa désindexation n’ont été effectuée.

Appliquer à l’information une date de péremption

Ainsi la Cours de Justice de l’Union Européenne ne vous autorise pas à disposer des informations relatives à votre passé et à réécrire votre propre histoire. Il vous est certes proposé le droit d’archiver, à votre guise, les données vous concernant, mais pas celui de les soustraire à la mémoire collective. Ni même à votre propre mémoire.

L’information numérisée est devenue permanente et inaliénable. Vous ne pouvez plus rien oublier définitivement. Vous ne pouvez même plus reconstruire votre passé sur la base des valeurs du présent. Or n’est-ce pas en remodelant vos souvenirs et en éliminant certains éléments de votre histoire que vous aurez la possibilité de construire votre avenir ?

Ainsi Viktor Mayer-Schonberger, enseignant à l’Oxford Internet Institue s’interroge-t-il : la connaissance n’est-elle pas fondé sur l’oubli ? Et les souvenirs numériques indélébiles ne nous confrontent-ils pas en permanence à nos échecs passés, leur netteté nous empêchant de les réinterpréter, nous extorquant ainsi la possibilité de nous améliorer ?

 Photo : Mike Licht, NotionsCapital.com via Foter.com / CC BY

Références

De La Porte, Xavier. "Les Souvenirs Numériques Ne Sont Pas Comme Les Souvenirs Analogiques." InternetActu.net. Date de publication 15 avril 2013. http://www.internetactu.net/2013/04/15/les-souvenirs-numeriques-ne-sont-pas-comme-les-souvenirs-analogiques/.

Granchet, Agnès. Date de publication 12 novembre 2015. www.inaglobal.fr/droit/article/droit-l-oubli-numerique-et-droit-l-information-un-equilibre-difficile-8642.

"Le Droit à L’oubli, Un Droit De L’homme Numérique — Droit Des Technologies Avancées." Droit Des Technologies Avancées. Date de consultation 3 octobre 2016. http://blog.lefigaro.fr/bensoussan/2014/07/le-droit-a-loubli-un-droit-de-lhomme-numerique.html.

Tual, Morgane. "Droit à L’oubli : La France En Tête Des Demandes." Le Monde.fr. Date de publication 15 juillet 2015. http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/07/15/droit-a-l-oubli-la-france-en-tete-des-demandes_4684029_4408996.html.


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