La “rentrée”, cette madeleine de Proust qui nous ramène à l’enfance, au premier levé, à la belle tenue pour faire belle impression et à ses promesses d’un avenir radieux. Elle occupe l’espace médiatique de cette fin estivale et chaque reportage, nous rappelle un peu, à la manière des chapitres du livre de Philippe Delerm, la première gorgée de bière et autres minuscules plaisirs, les joies, les goûters et parfois les larmes d’une étape stratégique de la vie.
La madeleine de Proust :
Il y a quelques jours, au moment où les enfants ouvraient leur trousse et glissaient les premiers mots sur leur cahier, à l’endroit où les yeux de nos chers chérubins fixaient le tableau, un nouveau ou une nouvelle capitaine prit pour la première fois le gouvernail en main.
Que faire, quoi dire, où aller, quand on passe du statut de celui qui apprend à celui qui transmet. Comment éviter que l’élève qui sommeille dans nos souvenirs, nous invite à rejoindre cette place qui a été la nôtre pendant vingt ans de notre vie ? Surtout, quel pire échec serait-ce, qu’un élève dise, comme le petit Pennac dans chagrin d’école : “chaque soir de mon enfance, je rentrais à la maison poursuivi par l’école”.
Opérer une mue
Pour ma part, je me souviens des débats enflammés entre camarades sur les oeuvres intégrales à étudier en début d’année. A la manière d’une assemblée générale d’étudiants dans un amphi, il y avait les fans d’Harry Potter et les inconditionnels de Charlie et la chocolaterie. Nous ne tarissions pas d’arguments pour la victoire de notre champion. Nous avions oublié une chose : l’élève et le sens de son apprentissage. Nous avions oublié l’essentiel : qu’est ce que je souhaite transmettre à l’élève pour qu’il progresse. Quel est mon objectif pédagogique. La démarche compte toujours plus que les outils. La leçon apprise, il nous fallait opérer notre mue, devenir capitaine.
Être à l’écoute de l’équipage
Dans petite poucette, Michel Serres explique que «avant d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître». Le capitaine veillera sur ses troupes. L’empathie et le respect de l’altérité sont des valeurs essentielles à l’école. Nous ne fabriquons pas de produits standardisés mais des citoyens riches de ce qui les rapproche comme de ce qui les rend tellement différents du voisin.
Être à l’écoute, c’est regarder les interactions, le visage fermé du matin, s'asseoir et demander : “comment tu vas ?”. Dans un article pour éducavox, Guy Gillet définit l’empathie comme : “cette capacité de se mettre à la place des autres et surtout de comprendre leurs émotions, leurs souffrances et à terme de s’impliquer d’une manière ou d’une autre pour tenter d’y apporter une réponse”. Cette compétence est devenue décisive pour nos jeunes toujours plus épris d’écrans. Il faut compter, pour cela, sur le mimétisme, la capacité d’un enfant à reproduire le modèle de l’autre. L’enseignant en est un aussi.
Attention à l’effet Socrate
Dans l’article Socrate 2.0, l’auteur nous montre les résistances du philosophe à l’innovation disruptive du moment : l’écriture. Il regrette que Phèdre ne l’écoute pas et finalement que son attention soit détournée de son discours. Un peu comme pour Socrate, smartphones, montres connectées, sont la prise de note de Phèdre d’hier. Socrate regrette qu’il soit statique et concentré sur autre chose. Aujourd’hui, quelques-uns regrettent l’ubiquité et la mobilité qu’offrent les équipements individuels mobiles aux apprenants. Ils nous obligent à penser “faire l’école” autrement.
Ne faut-il pas penser une nouvelle géographie de la classe, une nouvelle distribution des espaces et de nouvelles postures de travail. Jean-Paul Moiraud pose la question corporelle à Ludovia13. Y a-t-il une bonne manière d’apprendre ou est-ce fonction des moments pédagogiques ? La question apporte la réponse, tout est affaire d’instant.
Un enseignant agile
Si la solution était entre les deux, s’adapter au-delà des dogmes ! Il n’y a pas de baguette magique pédagogique. Pour éviter l’effet Socrate, soyons des enseignants agiles. Il n’y a pas réponse unique et univoque. On est toujours attiré et tenté par un seul type de réponse. Elle nous rassure car elle ne nous bouscule pas. Il faut prendre le risque de bouger les lignes et de métisser son enseignement. Comme pour la cuisine, le secret d’une bonne recette est l’instant et l’assaisonnement.
Déficit d’attention
Nos jeunes nous ressemblent beaucoup : ils sont hyperconnectés et donc soumis aux incessantes sollicitations des notifications des smartphones. Ne portons pas de jugement trop vite, je suis sûr qu’au moment où vous lisez ces quelques lignes, votre téléphone vient de vibrer. Une notification d’un ami vous conduit à une photo de plage couverte de sable blanc ou à la vidéo d’un chat attendrissant. Votre esprit s’égare sur d’autres rivages. Comme le regrette Socrate, nous pâtissons d’un déficit d’attention.
Pour les élèves comme pour nous, il est difficile de reprendre le rythme. Il ne faut pas nier que nous sommes encore la tête aux vacances. La motivation n’est pas toujours au rendez-vous. Nous avons, élèves comme enseignants, repoussé l’idée de la reprise jusqu’au dernier moment. Nous sommes tous touchés par un déficit d’attention en fonction du moment, du temps ou de la sollicitation. Transformons cette fenêtre ouverte sur le monde, qui pourrait représenter un obstacle, comme une chance d’aborder la rentrée autrement.
Dresser un cap
En ce début d’année, le nouveau capitaine veillera à maintenir l’attention de sa classe en dressant un cap et des règles de vie à bord. Il fallait que je le prononce un moment : être bienveillant.
L’article de Karim Kherbouche est un bon départ de définition : “croire en leurs (les élèves) capacités et de tenter de créer les conditions d’apprentissage et donc aussi de motivation en connaissant les limites de son action”. Il peut donc y avoir de bons profs mais pas de super-héros. Un enseignant ne peut pas tout faire, il a besoin de l’équipe, mais nous y reviendrons. Bien souvent, quand on parle de bienveillance, on est taxé de laxisme ou de naïveté. Être bienveillant est une posture difficile car il faut apprendre à dire non, à poser un cadre. Enseigner, ce n’est pas l’art de se faire aimer ou de gagner la paix, c’est construire avec l’élève, l’adulte qu’il sera demain.
Naviguer, déambuler, rêver plus grand
Le capitaine dessinera avec son équipage le chemin de l’année. Il a une vision à partager. Il a un rêve pédagogique et le mien ne ressemble pas à celui-là.
L’école peut-être synonyme de plaisir et d’épanouissement si l’on crée l’environnement rassurant qu’il convient pour les élèves. Enseigner c’est le difficile équilibre entre l’anticipation et l’ajustement. Le storytelling en matière d’éducation est stratégique. C’est l’art de raconter une histoire aux élèves, de les emmener avec nous. Un article des “doc pour docs” nous donne une définition plus précise de ce qu’est un storytelling : “étudier un objet comme pouvant s’inscrire dans un récit”, est utilisé dans de nombreux domaines afin de parvenir à mieux capter l’attention d’un auditoire”.
Le storytelling a le double avantage d’anticiper sur ce que l’on imagine de la classe et d’offrir la liberté d’ajuster en temps réel. L’enseignant élabore sa programmation et va au-delà en pensant à sa mise en scène. Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche en neurosciences cognitives, dans “Le Cerveau Funambule” conseille aux enseignants de dresser un objectif global et ensuite de donner des missions aux élèves. Au-delà de l’aspect ludique, il s’agit de penser la construction de nos séquences en graines avec des objectifs simples et progressifs. L’élève s’éveille peu à peu et prend confiance.
N’ayez pas peur de vous tromper
Caroline Jouneau Sion a participé à un pechakucha à Ludovia. Elle nous présente son livre de chevet : “Comment ne pas être une mère parfaite”. Comme il n’existe pas de maman parfaite, il n’existe pas d’enseignant parfait. Vous allez vous tromper ! Faire des erreurs ! Le témoignage de Philippe Watrelot nous éclaire. Ce qui semble, parfois, parfait sur le papier devient inopérant en classe. Ce n’est pas grave, il faut s’adapter et réguler nos propositions pour la suite du voyage. L’important est notre capacité à l’agilité ainsi qu’à recycler nos séances.
Un carnet de bord permet d’avoir un regard critique sur notre travail. Ne dessinez pas un portrait noir de votre travail mais identifiez, pour chaque séance, trois réussites qui aillent dans le sens de l’apprentissage de l’élève. Il n’y a pas de séance parfaite alors tenter d’identifier trois éléments à peaufiner. L’humilité de reconnaître que l’on s’est trompé est un signe pour l’élève qu’il peut le faire aussi. L’erreur nous fait tous progresser et cette année de stage est un chemin partagé vers la réussite. Libéré de cette contrainte, soyez ingénieux, rêvez plus grand avec les élèves, prenez le risque de la créativité. Montrez-leur qu’ils sont libres de réussir et d’échouer dans le cadre rassurant que vous offrez.
Attention aux sirènes, il n’y a pas d’évidence
Comme Ulysse, accrochez-vous au mat pour ne pas tomber dans le charme des sirènes. L’enseignement est truffé de stéréotypes. Tous les élèves ne se ressemblent pas. Ils sont bavards, chenapans, doués d’ironies et parfois difficiles. Ils sont, aussi, spontanés, enthousiastes, généreux avec les autres (ils nous ressemblent beaucoup) pour peu qu’on arrive à leur faire partager le sens de notre projet d’apprentissage.
L’objectif est d’aller au delà de la motivation pour qu’il s’engage dans la formation. Il ne travaille pour faire plaisir au professeur, à la famille mais parce que cela les fait progresser. Nous représentons le monde des adultes qui les oblige à sortir de l’enfance. Nous sommes une fracture de leur histoire personnelle. Il y a un avant et un après l’école. Être élève ce n’est pas évident car il faut renoncer à l’enfance pour devenir un adulte. Je me suis toujours bagarré pour garder une certaine fraîcheur, un espoir dans les élèves.
Dans les bons moments, comme dans les moins bons, le carré des enseignants est le lieu de l’entraide. Vous y trouverez des parrains comme en Belgique. La solution est l’équipe, la parole. Il n’est pas évident de dire que l’on est en difficulté, mais en parler, c’est un début de résolution. Garder sa fraîcheur, ce n’est pas écouter les discours désabusés, déclinistes ou d’un âge d’or hypothétique de l’éducation. Enseigner, c’est renoncer à l’élève que l’on a rêvé pour un plus grand et intéressant défi : l’élève avec toute sa complexité qui est en face de nous.
Pour finir, une dernière ressource pratique : la bibliothèque idéale du prof débutant et surtout bienvenue à bord !
Sources
Boussole de la Médiation numérique, PhilCaz, 17 juillet 2012
https://www.flickr.com
La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, Philippe Delerm, l’Arpenteur, 2003.
http://www.decitre.fr/livres/la-premiere-gorgee-de-biere-9782070744831.html
Chagrin d’école, Daniel Pennac, Gallimard, 2007.
http://www.decitre.fr/livres/chagrin-d-ecole-9782070396849.html
Petite Poucette, Michel Serres, le Pommier, 2012
http://www.decitre.fr/livres/petite-poucette-9782746506053.html
Développer l’empathie à l’école, une discipline nécessaire à la vie, Guy Gillet, Educavox, 15 juillet 2016.
http://educavox.fr/accueil/debats/developper-l-empathie-a-l-ecole-une-discipline-essentielle-de-la-vie
Socrate 2.0, Joaquín Rodríguez Marco, Bibliobs, 25 juin 2009.
http://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20090625.BIB3642/socrate-2-0.html
La question corporelle, Jean-Paul Moiraud, Ludovia13, 30 aout 2016.
L’agilité au service de l’école, Nicolas Le Luherne, Thot Cursus, 29 septembre 2015.
http://cursus.edu/dossiers-articles/articles/26095/agilite-service-ecole
Le métissage pédagogique, découvrez l’auto-socio-construction des savoir, Nicolas Le Luherne, Thot Cursus, 1 avril 2015.
http://cursus.edu/dossiers-articles/articles/24966/metissage-pedagogique-decouvrez-auto-socio-construction
Qu’est-ce qu’un bon professeur, Karim kerbouche, 21 août 2016
http://francais.enseignement.over-blog.com/2016/08/qu-est-ce-qu-un-bon-professeur.html
L’école en Corée, “Faites les travailler jusqu’à l’épuisement !”, Doan Bui, L’Obs, 1er septembre 2016.
http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20160831.OBS7182/l-ecole-en-coree-faites-les-travailler-jusqu-a-l-epuisement.html
Storytelling et enseignement, Solène Font, Doc pour Docs, 2 avril 2014.
https://docpourdocs.fr/spip.php?article536
Comment obtenir une classe parfaite, Caroline Jouneau Sion, Ludovia 13, 30 août 2016.
https://www.youtube.com/watch?v=Xtv1X99dwTs
15 conseils d'un formateur aux jeunes professeurs : "Face aux élèves, l’expert ne doit pas oublier qu’il est un ex-pair", Isabelle Maradan, 14 septembre 2010.
http://www.letudiant.fr/metiers/15-conseils-de-formateur-aux-jeunes-professeurs-faire-cours-c-est-un-peu-du-jazz-17067.html
La bibliothèque idéale d’un prof débutant, Philippe Watrelot, Chronique d’éducation, 12 août 2016.
http://philippe-watrelot.blogspot.fr/2016/08/la-bibliotheque-ideale-du-prof-debutant.html?m=1
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