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Publié le 20 juin 2016 Mis à jour le 20 juin 2016

Quand les sciences entrent en scène

S'imprégner de savoirs et savoir-faire sans en avoir l'air...

Effervescence dans la salle et dans les coulisses

Une salle comble où bruissent des échos d’impatience contenue, des coulisses en pleine effervescence. Dans quelques minutes les spectateurs seront plongés dans le noir tandis que les projecteurs sur scène accompagneront l’entrée d’interprètes (in)attendus. Les jeunes élèves plus ou moins calés dans leur fauteuil s’y voient déjà : l’année prochaine ce sera sûrement leur tour.

Voilà plusieurs années que les enseignants du Centre pilote La main à la pâte, implanté dans un Réseau d’Éducation Prioritaire à Nogent-sur-Oise, conçoivent, élaborent, préparent et organisent ces représentations finales, aboutissement d’un travail soutenu et mené tout au long de l’année sur la sensibilisation aux sciences et à la démarche scientifique. Et chaque année la magie opère. Chaque année les réactions de surprise, d’étonnement et d’enthousiasme s’expriment. Même si les a priori ont la vie dure, car mettre en scène les sciences peut paraître à beaucoup d’entre nous une entreprise impossible, quand on ne la juge pas saugrenue.

Pour Virginie Vitse, enseignante ESAP (Emploi Spécifique d’Accompagnement Pédagogique) qui encadre et anime le projet Sciences en scène au sein du Centre pilote de Nogent-sur-Oise, l’intérêt de l’action est indéniable. « Même s’il a fallu convaincre les enseignants plutôt orientés vers les lettres qu’ils pouvaient donner un contenu scientifique à un projet théâtral et ceux plutôt orientés vers les sciences que le théâtre pouvait être un «sacré plus» à leur enseignement ».

Mémorisation, esprit critique, coopération et valorisation

Le théâtre ici « permet un réinvestissement sous forme de mémorisation et de réflexion » autour des notions scientifiques abordées et étudiées au cours de l’année. Sur scène, les enfants doivent en effet restituer des connaissances et la répétition aide à l’intégration de ces dernières. Tout comme le soutien que peut apporter le corps dans l’assimilation de savoirs. Ainsi « interpréter une danse qui reproduit les mouvements réciproques de la Terre et de la Lune permet de mieux les comprendre et donc de mieux les mémoriser ».

La scène permet aussi de développer esprit critique et réflexion : on y simule des débats (scientifiques), on croise les disciplines, on sort du cadre purement scolaire et disciplinaire pour mieux prendre du recul.

Et la démarche, fondée sur une participation active de chacun et la collaboration de tous, apporte son lot de (re)mise en confiance, estime de soi, (re)motivation, raccrochage scolaire aussi, et bien entendu émulation. « Au théâtre, chacun connaît la partition de l’autre (son texte, ses entrées, ses sorties, ses déplacements, etc). Ceci contribue à développer une responsabilité collective et donc une forme de solidarité et d’entraide », rappelle ainsi Virginie V. dans l’interview qu’elle a accordée aux cahiers pédagogiques.

À travers ces expériences aussi bien théâtrales que scientifiques, les élèves sont ainsi conduits à jouer « le rôle du courant électrique qui traverse l’ampoule », la révolution de la lune autour de la Terre ou ils réinterprètent des textes comme le sens interdit de Raymond Devos, cette année, dans le spectacle construit autour du thème des moyens de transport.

Les ateliers de jeux dramatiques menés dans l’année, et au cours desquels les élèves sont incités « à se servir du contenu scientifique étudié », participent à l’élaboration progressive du spectacle final. Tout comme les hypothèses émises en classe lors des ateliers scientifiques, des plus fantaisistes, mais toujours chargées de poésie, aux plus « rigoureuses », sur lesquelles s’appuie l’écriture des scènes.

Et les élèves travaillent également sur les spécificités du texte dramatique et de la littérature théâtrale, tant à travers la découverte et la lecture de textes que la production d’écrits.

Un projet qui « contribue à ouvrir l’esprit des enfants », « à éveiller leur curiosité ». Une représentation théâtrale finale, « aboutissement incontournable » qui « porte les élèves toute l’année, leur donne un but », leur permettant de « se projeter réellement, de montrer de la persévérance et d’accepter les exigences que cela implique » tout en les valorisant. À travers un travail mené avec exigence, marque d’un respect à l’égard des élèves et d’une totale confiance en leurs possibilités.

« Je pense que ce projet modifie chez l’enfant le rapport au savoir et par conséquent, la relation qu’il entretient avec l’école. Il permet de mieux comprendre le bien fondé de l’effort demandé par l’école : accéder à la connaissance et à la possibilité de réfléchir et de créer »   Virginie V.

Des expositions animées

L’exposition consacrée aux interactions écrans-cerveaux Les écrans, le cerveau…et moi, et conçue également par le Centre pilote de Nogent-sur-Oise en 2014, a mis aussi admirablement en lumière le travail mené toute l’année, dans des classes du cycle 3, à partir du module Les écrans, le cerveau... et l'enfant proposé par la Fondation La main à la pâte.

Des activités et des expériences conduites en classes ont ainsi été mises en scène et proposées par les élèves-guides aux visiteurs (élèves des écoles et du collège, et parents), au sein de petits îlots aménagés avec diversité et inventivité, et à partir de supports et documents réalisés par les élèves eux-mêmes. Tandis que de grands panneaux informatifs et créatifs accrochaient le regard : illustration du travail accompli durant l’année, ils témoignaient également des savoirs et savoir-faire abordés et intégrés par ces élèves impliqués.

On a pu ainsi découvrir « comment l'ajout d'ambiances sonores différentes à des images éveille en nous des impressions et émotions différentes (...), faire l'expérience de la façon dont nos sens coopèrent pour nous permettre d'interpréter le monde qui nous entoure », et s'initier à bien d'autres phénomènes encore.

L'exposition a offert ainsi à tous une présentation du chemin parcouru, mais aussi un joyeux espace de découvertes, d’échanges et de partage, interactif et ludique, et également fort instructif.

Cette année encore les enseignants et les élèves du Centre pilote nous convient à leur exposition annuelle et nous font découvrir cette fois la ville et ses moyens de déplacement réels et imaginaires…vers l’écomobilité ! Gageons que les visiteurs exprimeront une fois de plus leur enthousiasme.

Sciences et théâtre pour travailler la langue aussi

« Voir ces jeunes élèves, qui ont souvent d’immenses difficultés avec le maniement de la langue, (…) articuler si bien, se faire entendre au fond de la salle, danser, traduire l’humour d’un texte savoureux, dire en particulier des extraits de Umberto Eco (…) un vrai bonheur », écrit Jean-Michel Zakhartchouk sur son blog dans son article Pourquoi en parle-t-on si peu ? où il déplore le discours trop souvent négatif relayé dans les médias, sur le monde éducatif en particulier.

Car cette association du théâtre et des sciences est aussi une voie pour travailler la langue avec des classes caractérisées par la diversité linguistique et culturelle des élèves.

Le contexte familial de certains élèves, pourtant nés en France, les place parfois dans une situation linguistique fragile et proche de celle de certains élèves allophones. Et les besoins des uns et des autres ne sont alors pas si éloignés.

Quand il s’agit de travailler sur la langue, là encore, l’essentiel est de donner l’envie d’apprendre en menant des activités porteuses de sens : une saynète entendue puis lue, et jouée enfin, pour découvrir les parties du corps, plutôt qu’une confrontation frontale à un panneau à renseigner collectivement avec des étiquettes.

Privilégier la pédagogie de projet qui génère enthousiasme et mobilisation, et favorise l’entrée de chaque enfant dans ses apprentissages. Remplacer les exercices de systématisation un peu fastidieux (ou tout au moins les réduire), au cours desquels les élèves sont plutôt tendus, par des petites scènes dialoguées que l’on aura préparées en amont.

Même s’il est recommandé par les formateurs de travailler l’oral de façon structurée « pour favoriser l’entrée en communication et permettre à l’élève d’acquérir aisance et rapidité d’expression », un entraînement à travers des jeux de mime ou de rôle peut se révéler tout aussi efficace et surtout plus motivant pour les élèves. Exercices structuraux et jeux et activités plus « ludiques » pourront alors s’enchaîner de façon profitable, mêlant objectifs linguistiques, communicatifs et culturels. 

Le théâtre en toute occasion...en classe de français, travailler la langue et la confiance en soi

Dans notre petite classe de français, ce ne sont pas les phénomènes scientifiques que nous observons mais la langue dans toute sa diversité, et sa complexité aussi. On y fait des hypothèses, on expérimente, on observe, on analyse, on manipule, on vérifie, on compare…

Et le théâtre, là encore, y joue son rôle de mobilisateur, d’incitateur, de facilitateur.

« On va faire le théâtre aujourd'hui, maîtresse ? »

me demande Maria, un sac à la main rempli d’accessoires qui pourront nous servir pour la représentation à venir.

Cette question introduit chacune de nos retrouvailles depuis que j'ai expliqué à ma petite troupe, suite à une lecture appuyée, imagée et fort expressive des quatre courtes scènes mettant en situation les personnages bien connus de notre méthode d'apprentissage, que nous allions jouer ces petites aventures devant d'autres élèves. Certains seraient même d'avis de convier les parents.

C'est certain, pas besoin de les solliciter. Ils sont déjà installés, prêts à lire et à interpréter leur rôle face à l'appareil d'enregistrement (qui me/leur permettra d'évaluer le chemin parcouru).

Une occasion de plus de travailler la langue sans en avoir l'air, avec la motivation du spectacle final.

Illustration : Damien Girard, licence CC, Flickr

Références

Sciences en scène, une interview de Virginie Vitse par Jean-Michel Zakhartchouk pour les cahiers pédagogiques,
http://www.cahiers-pedagogiques.com/Sciences-en-scene

Vidéo du spectacle Sciences en scène 2015, à la Sorbonne, à l’occasion des 20 ans de La main à la pâte,
https://www.youtube.com/watch?v=7ZIqNFgvYgY&feature=youtu.be

Pourquoi en parle-t-on si peu ? par Jean-Michel Zakhartchouk, sur son blog,
http://blog.educpros.fr/Jean-Michel-Zakhartchouk/2016/06/05/pourquoi-en-parle-t-on-si-peu/

Exposition Les écrans, le cerveau …et moi, article de Gabrielle Zimmermann, juin 2014,
http://www.fondation-lamap.org/fr/page/20438/exposition-les-ecrans-le-cerveau-et-moi-a-nogent-sur-oise

Entretien avec Pierre Léna, co-fondateur de La main à la pâte dans les cahiers pédagogiques,
http://www.cahiers-pedagogiques.com/Ce-gout-de-questionner-le-monde-ne-m-a-jamais-quitte

Module Les écrans le cerveau et…l’enfant de La main à la pâte,
http://www.fondation-lamap.org/cerveau

Module En marchant, en roulant, en naviguant…je suis écomobile ! de La main à la pâte,
http://www.fondation-lamap.org/fr/je-suis-ecomobile

Site du Centre pilote La main à la pâte de Nogent-sur-Oise,
http://nogent.rrs.ac-amiens.fr/


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