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Publié le 07 juin 2016 Mis à jour le 07 juin 2016

Les Champs du possible : farmlab, incubateur, campus agricole innovant.

Comment imaginer l'agriculture de demain ?

Logo : Campus Les Champs du Possible

Bonjour, pourriez-vous d’abord vous présenter et me raconter votre première rencontre avec cette révolution de l'économie numérique ?

Laure de la Raudière

Je suis Laure de la Raudière, je suis députée d’Eure-et-Loir depuis 2007. Je suis vice présidente du Conseil Départemental depuis mars 2015 en charge de l’innovation, des usages innovants.

Quand est-ce que j’ai rencontré la révolution numérique ? Pas la révolution numérique, je dirais plutôt l’étonnement dû au numérique. Le premier étonnement date de 2002. J’ai toujours travaillé dans le numérique. Je suis ingénieure des télécommunications. J’ai travaillé 12 ans à France Telecom puis j’ai été associée dans une start-up en 2001 et 2002. Elle faisait un logiciel d’analyse de bases de données à partir d'algorithmes d’intelligence artificielle. C’était avant le Big Data et la maturité des algorithmes d’intelligence artificielle à laquelle on arrive aujourd’hui. Globalement, le logiciel éditait des règles de comportements sur des bases de données industrielles.

J’étais fascinée de voir un outil automatique, qui, à partir de l’analyse des bases de données collectées sur des lignes de production et en fonction de ses réglages, était capable de dire si on allait élaborer un bon produit ou un mauvais produit. Ceci était prédit de façon plus pertinente que les différents concepts d'ingénieries qui existaient alors. Je trouvais cela très intéressant d’observer comment on pouvait apprendre à partir des données. Voilà ma première expérience qui date d’avant le Big Data et l’intelligence artificielle que l’on connaît aujourd’hui avec des outils par exemple comme criteo ou encore, en terme d’analyse de données, les publicités qui sont liées à nos comportements. C’est assez vieux, cela date de 14 ans.

Quand j’ai été élue députée en 2007, je suis arrivée à l’Assemblée Nationale et personne ne s'intéressait réellement aux enjeux du numérique. Je ne connaissais pas grand chose à la politique mais il se trouve que ces enjeux j’en avais, déjà, un petit peu conscience. C’était mon domaine de compétences, je n’étais pas rebutée par la technique, par la compréhension des réseaux et des normes. Je savais ce qu’était la 2G et la 3G, des réseaux cuivres... Je me suis investie sur ces sujets.

Depuis, je découvre l’ampleur de la transformation de la société par le numérique grâce à trois technologies qui sont arrivées à peu près en même temps : internet, la blockchain et l’intelligence artificielle. Elles vont transformer tous les écosystèmes.

Internet a connecté 2.5 milliards d’habitants en 20 ans. C’est hallucinant ! C’est quelque chose d’unique dans l’histoire de l’humanité.

La Blockchain permet de certifier l’échange d’informations sans passer par le tiers de confiance habituel : l’Etat pour le cadastre, le notaire pour l’échange de propriétés ou la banque pour les paiements. On voit que cela va révolutionner les transactions entre les individus. La troisième révolution, dont on mesure aujourd’hui l’ampleur, est l’intelligence artificielle.

Ces machines vont prendre des décisions pour nous de façon systémique. Quelle est la place de l’Homme dans cette révolution-là ? C’est un enjeu auquel les politiques répondent peu et je trouve cela bien dommage.


Jérôme Damy

Je me nomme Jérôme Damy, je suis chargé de projets innovation et numérique au sein de la Chambre d’Agriculture d’Eure-et-Loir. J’étais auparavant chef de projet informatique dans cette même Chambre. Cela m’a permis de connaître le monde agricole. J’étais en charge de mettre en place l’infrastructure de la Chambre d’Agriculture. Aujourd’hui, on essaye de développer le numérique et tout un tas de capteurs connectés pour les agriculteurs en partenariat avec le Conseil Départemental et Objenious.


Pierre-Antoine Foreau

Bonjour, je m’appelle Pierre-Antoine Foreau et je suis fils d’agriculteur. Je suis de Châteaudun en Eure-et-Loir. J’ai rencontré l’économie numérique il y a environ un an. Mon père a acheté du matériel agricole sur internet et il m’a dit : “C’est fou, j’ai réussi à faire cela à 57 ans” et je lui ai répondu : “Demain, tu vendras ton blé sur internet.” On n’est pas que dans la rencontre avec le numérique, on est entré dedans.


Qu’est-ce que le campus Les Champs du Possible ?

PAF : Le nom est plutôt bien choisi, c’est un écosystème agricole. C’est un bâtiment dans lequel il y a le lycée agricole de Nermont et Le village by CA les Champs du Possible. C’est un village de start-ups lié au monde agricole à Châteaudun. A nos côtés, il y a la Chambre d’Agriculture et une ferme expérimentale.

On est dans un écosystème dynamique au coeur du grenier de la France : la Beauce. Toutes les conditions étaient réunies pour s’implanter.

Nous, nous sommes Biagri, notre start-up est un binôme entre l’agriculteur et un acheteur (un négoce, une coopérative, un courtier ou même un agro-industriel) que l’on met en relation au travers d’un comparateur agricole en ligne. Il faut le rapprocher des autres comparateurs en ligne comme pour l'hôtellerie ou l’assurance. On répond aux besoins d’un agriculteur qui a du mal à trouver des débouchés pour sa production. Nous, on va proposer la meilleure offre pour vendre le blé, le colza ou le maïs. On est une des seules start-ups à se positionner sur la partie aval de la production. Beaucoup se positionnent en amont pour aider à produire, nous on aide à vendre.

Vous êtes des facilitateurs ?

PAF : On facilite complètement les transactions, parfois, on rapproche des entreprises de leur propre client. L'intérêt du comparateur est de mettre en relation. On a travaillé notre plateforme pour qu’elle réponde aux besoins des acheteurs et elle est gratuite pour les agriculteurs. Elle est localisée et facilite la vente de proximité. On a des offres différentes en fonction des parités du coût de transport, des acheteurs, leurs habitudes et la zone géographique.


Pour Biagri, en quoi les Champs du Possible a été facilitant pour développer le projet, qu’est-ce qu’ils vous ont offert que vous n’auriez pas trouvé ailleurs ?

PAF : L’espace, c’est plus facile de travailler dans un village d’entreprises agricoles que depuis son salon. Nous avons un bureau pour accueillir notre équipe de cinq collaborateurs. C’est bien d’avoir cette infrastructure conviviale pour organiser notre travail mais aussi pour déjeuner, boire un café...

Tous ces lieux qui facilitent la conversation, l’échange, le partage et donc le travail.

Il y a de nombreux évènements qui sont organisés comme le Futur en Beauce. Cela donne du dynamisme et favorise les contacts. Je suis, aujourd’hui, à Eure & Link grâce à cela. C’est un écosystème dans lequel on baigne tous les jours et dont on bénéficie.


Finalement, c’est un Tiers-lieu ?

PAF : C’est un Tiers-lieu, un incubateur et un accélérateur. L’avantage est que Village by CA va se développer partout en France. Si on souhaite se déployer, ce sera plus facile. Aujourd’hui, nous sommes présents en Eure-et-Loir, dans le Loiret et en Loir-et-Cher. On profitera du réseau pour créer des antennes.

La stratégie de coworking est payante parce qu’elle est peu coûteuse.

On est une petite start-up. Lorsque l’on commence, on regarde les lignes de compte. Le moindre euro compte. Aujourd’hui, on évolue dans un environnement qui facilite le développement de notre business. De plus, l’écosystème est bénéfique, on entend les gens parler. On n’écoute pas aux portes mais la proximité nous permet d’échanger. Il y a toujours quelque chose qui se passe. Du coup, il y a une émulation.

Quel est le portrait-robot d’un incubé ?

PAF : Il n’y pas de portrait-robot car chaque start-up est différente comme chaque entrepreneur. Je ne sais pas si il y a un portrait-robot mais c’est quelqu’un qui a dix mille idées. C’est créer une équipe, quelque chose d’innovant. En priorité, il y a un côté humain pour moi. Nous, à Biagri, on a embauché 5 personnes en 5 mois. C’est un état d’esprit peut-être un peu fou.


En quoi le nom du campus “Les Champs du Possible” est une définition de la genèse du projet liée à la nouvelle économie numérique agricole ?

JD : Le nom est une formule à elle seule.

L’idée est de créer un écosystème propice à l’installation de start-ups mais aussi à l’acculturation des agriculteurs, au développement de nouvelles pratiques et de nouveaux réseaux.

Au-delà du campus, c’est un maillage complet avec des différents acteurs dont un partenariat public-privé. On s’est réuni autour d’un projet commun et des valeurs communes. L’Eure-et-Loir est un département agricole avec un potentiel énorme. Les agriculteurs ont toujours subi des mutations au fil de leur histoire.

Nous, on voit le numérique comme une révolution alors que les agriculteurs le voient comme une mutation de plus. Ils en ont l’habitude, ils se sont déjà adaptés à d’autres changements comme la mécanisation.

L’écosystème est en place et mature. Nous, en tant qu'animateur, notre mission est d’aider les professionnels à relever les défis du numérique. C’est un enjeu stratégique de répondre à ces besoins.

Le campus les Champs du Possible est, donc, un espace d’acculturation mais aussi de formation des agriculteurs de demain pour les initier à cette nouvelle économie, à ces nouveaux concepts et finalement à cette nouvelle manière de penser ?

LDR : C’est ça et bien plus.

Le campus porte l’ambition de dessiner l’agriculture connectée de demain et finalement de conquérir le monde dans ses techniques agricoles.

Le modèle sera conçu pour les agriculteurs à Châteaudun. L’idée est de l’exporter, ensuite, sur d’autres territoires en France et dans le monde. Il y a une première brique pédagogique. Au lycée Nermont, pour les lycéens, il va y avoir un BTS sur l’agriculture numérique. La deuxième ambition est d’embarquer les différents acteurs qui travaillent dans le domaine de l’agriculture dans le département, la Chambre d’Agriculture, le pôle de compétitivité Agrodynamic Eure-et-Loir, des agriculteurs, sur l’expérimentation.

Il y a douze hectares de champs d’expérimentation sur ces nouvelles technologies. On va les mettre à disposition, aussi, des start-ups du domaine de la e-agriculture qui vont s’installer dans l’incubateur de Châteaudun. Tout cela permet de diffuser l’information auprès de tous les agriculteurs des territoires euréliens.

L’autre point important, avec la participation de la Chambre d’Agriculture, est la volonté de développer l'utilisation des objets connectés dans le domaine agricole. Il s’agit d’expérimenter mais surtout de diffuser l’usage très rapidement. On a un partenariat avec une entreprise qui développe un réseau bas débit pour les objets connectés. Le territoire a été pris en charge en premier et a la maille la plus fine pour pouvoir expérimenter partout les Iot. Ces outils sont déjà présents aujourd’hui mais seront encore plus nombreux demain.

Je pense, par exemple, à l’anémomètre connecté ou au pluviomètre connecté. Quand un agriculteur a un champ à quarante kilomètres, il peut y faire beau alors qu’il pleut où vous êtes. Vous pouvez être entre deux fronts. Les courants de vent ne sont pas les mêmes selon votre localisation. L’exploitant a besoin de connaître la force du vent pour savoir si il peut traiter ou pas. Grâce aux données fournies par les objets connectés, vous pouvez agir et adapter votre réponse de manière très fine.

Quel rôle joue un partenaire comme la Chambre d’Agriculture ? Pourquoi cette synergie est importante ?

JD : Nous, on a un groupe de 20 à 25 d’Ageekculteurs ou Geekculteurs. L’objectif est de réunir, au delà des connaissances techniques et numériques, des personnes qui souhaitent avancer sur ces thématiques. Je suis le référent numérique au sein de la chambre. Dans ce cadre, je propose des thèmes de travail : les objets connectés, l’agriculture de précision, les drones... Ils valident ces orientations techniques.

Je m’appuie, également, sur un groupe d’une trentaine d’experts. On a créé un écosystème pour développer ces technologies au service de tous les agriculteurs. Bien que l’on soit un département céréalier et de grandes cultures, un de nos premiers projets concrétisé est lié à l’élevage avec une salle de traite connectée.

Je suis curieux de savoir ce qu’est un ageekculteur ?

JD : C’est un agriculteur passionné de nouvelles technologies. A titre personnel, je n’aime pas trop ce terme de geek qui possède, à l’origine, une connotation péjorative. C’est plus facile de discuter avec des personnes qui ont déjà la culture numérique : qui utilisent leur smartphone, leur tablette... leur tracteur connecté avec une géolocalisation et un suivi précis par GPS. On parle de la Google Car, mais, bien avant, on avait des tracteurs qui se conduisaient seuls en alignant les rangs de semis au cordeau.

L’agriculture a toujours été en avance du point de vue technologique.

Il suffit de monter dans un cabine de tracteur pour le comprendre et la comparer à une voiture Tesla. Cette dernière est un peu moins connectée. C’était plus confidentiel, on n’en parlait pas forcément. Les industriels ont compris que c’était un marché énorme, ils investissent des millions dans ces technologies, dans le Big Data et l’acquisition de données agricoles. C’est un tournant majeur, il y a un engouement autour du monde agricole et les agriculteurs sont prêts à nous suivre.

Comment ce projet innovant a-t-il été reçu par la communauté du monde agricole ?

JD : Comme toute innovation, il y a plusieurs types de réaction dont une phase de peur. “Est ce que j’ai la connaissance ? Est ce que je suis apte ?”. Les agriculteurs gèrent plusieurs paramètres dont le vivant.

C’est le cas quand on explique les choses et que l’on montre la simplicité et le gain de ces technologies du point de vue financier et temporel. Un peu plus que dans d’autres industries, ils veulent un retour sur investissement car on leur a souvent vendu des solutions peu productives et efficaces ces dernières années. On teste les technologies dans les exploitations avant de communiquer et mettre en production.

Sur le site du Champ des Possibles, on parle de e.agriculture, est-ce que cela s’incarne dans le campus ?

JD : C’est l’acculturation et la formation des agriculteurs. On peut leur livrer une technologie efficace, l’idée est d’aller plus loin. C’est mettre en capacité les agriculteurs de réfléchir aux technologies. Dans le groupe de travail, j’apporte des propositions et ils inventent les usages. Le partenariat est global et on réfléchit aux solutions ensemble.

C’est pour cela qu’il y a une montée en compétences numérique et technologique. Nous, notre rôle est d’apporter du conseil agronomique, une aide au suivi des cultures mais aussi une aide au quotidien. C’est faire de la veille technologique, mais leur apprendre à la faire eux-mêmes via la formation.

La transition vers l’agriculture digitale participe-t-elle à la mise en capacités et à la montée en compétences d’un territoire ? Cette mutation ne le rend-elle pas plus attractif ?

JD : Oui à deux niveaux, c’est rendre attractif les territoires euréliens pour des jeunes exploitants. On a un maillage réseau basse consommation et bas débit en avance de phase par rapport à la France. L’idée est d’avoir six mois d’avance pour créer des objets communicants et innover. Il s’agit, aussi, de développer l’économie du territoire par l’accueil de start-ups dans le campus des Champs du Possible en lien avec d’autres pépinières et incubateurs comme celui de Chartres. Il faut créer un environnement propice.

Peu importe l’outil, ce sont les données qui sont stratégiques. Le rôle des start-ups est de créer les outils mais surtout les plateformes d’aide à la décision afin de rendre les données intelligentes. Nous mettons à disposition les datas brutes et le rôle des partenaires est qu’elles soient intelligibles pour nos agriculteurs.

Il y a une dimension d’habilitation des territoires comme il est annoncé dans le programme d’Eure et Link. C’est la mise en capacité des citoyens à être responsables, à réussir par eux-mêmes, à adopter des modèles mais aussi à être innovants tous les jours ?

LDR : Le numérique a réussi la démocratisation des savoirs. Si l’on regarde l’histoire, il n’y a pas si longtemps, l’accès à ceux-ci était réservé à une certaine tranche de la population. Celle-ci ne voulait absolument pas que le reste de la société y accède car cela remettait en cause l’ordre établi et celui qui les détenait.

Aujourd’hui, avec internet, c’est complètement horizontal. La démocratisation de l’accès aux savoirs donne du pouvoir à chaque citoyen. Pour les agriculteurs, l’accès aux données agricoles va leur donner du pouvoir sur la connaissance fine de leur exploitation. Ils vont pouvoir individualiser le traitement de la parcelle de champ en fonction de l’état du sol. Cela va simplifier le processus et la capacité de décision de chaque individu. C’est un «empowerment» extrêmement fort.

Dans un article du 3 juillet 2013, Laurent Calixte évoquait le problème des données dans son article intitulé :Espionnage : 10 conseils pour protéger son entreprise. Il écrivait dès les premières lignes : “Copiées, endommagées, détruites ou falsifiées, les données d’une entreprise ne sont jamais à l’abri d’une tentative de fraude.”  Pourquoi la question des données est-elle stratégique pour le monde agricole ?

JD : Il faut dissocier deux types de données : celles qui sont météorologiques, par exemple, qui pourraient être de l’ordre de l’open-data. Les objets connectés, eux, fournissent des datas sensibles : la position GPS d’un tracteur, d’un objet ou même de la porte d’un hangar ouverte ou fermée. Elles doivent être sécurisées. Notre volonté est de remettre l’agriculteur au centre de la problématique.  

Auparavant, il subissait un peu. Il achetait une station météo, il était tributaire du logiciel de la station et des options offertes. Il ne pouvait pas toujours le coupler avec un logiciel de prévision d’irrigation. C’est l’effet silo quand les outils ne communiquent pas entre eux. Nous, on veut mettre en place un système où l’entrepreneur agricole est maître de ses données et choisit à qui les communiquer. Pour les exploiter, il sera libre de sélectionner une plateforme payante ou gratuite. Il pourra, donc, décider de changer pour un service plus efficace et être maître du jeu.

Avec l’émergence du Big Data, des données, il y en a beaucoup. C’est difficile pour un usager de séparer “le grain de l’ivraie” afin que celles-ci soient utiles tout de suite. Comment aider les agriculteurs à différencier et dissocier les bruits des données pour relever ceux qui les porteront demain ?

LDR : Comme dans tous les secteurs, la propriété et l’exploitation des données pour optimiser la production et les ressources sont essentielles. C’est à partir de celles-ci que l’on va comprendre comment améliorer les techniques agricoles qui sont utilisées depuis le XXème siècle. Aujourd’hui, les données sont produites par de nombreux outils qu’utilisent les agriculteurs. Il n’y a pas de plateforme qui les agrège, autrement dit il n’y a pas le Edgerank de facebook pour les données agricoles. Il y a, en revanche, des grands industriels agricoles qui captent et utilisent ces données. Il y a celles qui sont embarquées dans les tracteurs et celles qui sont produites par les consommations de produits de chaque exploitation.

Il faut que chaque agriculteur soit conscient de l’importance, pour lui, de maîtriser les données, de les conserver et d’en garder la propriété.

C’est pour cela que le travail qui doit être fait en Eure-et-Loir et initié aujourd’hui à Eure & Link tourne autour de la construction d’une plateforme de façon coopérative pour et avec les agriculteurs. Demain, s’ils ne maîtrisent pas leurs données, ils ne maîtriseront plus la capacité à optimiser leurs techniques agricoles. Ils ne seront plus leur chef d’entreprise. Ils seront pieds et poings liés avec un géant de l’agriculture numérique qui sera, peut-être, la transformation d’une grande entreprise agricole d’aujourd’hui ou une autre qui n’est pas du secteur.

Qui sait si demain Google ne va pas s’y intéresser ? C’est embêtant pour eux et pour l’avenir de l’agriculture française. Ça l’est aussi pour tous les français. On est très attaché à la qualité de nos productions agricoles, à la traçabilité de nos produits, à la qualité de nos exploitations et à nos paysages qui sont liés à une certaine façon de cultiver. Si on perd cette capacité de maîtrise des techniques agricoles par l’absence de maîtrise de données, c’est très triste pour la France.

JD : Le rôle de la Chambre d’Agriculture est de fournir les objets pour capter les données et peut-être des Outils d’Aide à la Décision (O.A.D.) pour gérer tel ou tel système. Le plus important est de rendre ces données brutes intelligentes. Il va falloir mettre en place des solutions d’aide à la décision dans différents domaines : maladie, irrigation…

Est-ce que l’on peut optimiser l’irrigation pour respecter aussi l’environnement. C’est une attente des citoyens et les agriculteurs ont de plus en plus de pression sur ce sujet comme sur la rentabilité financière des exploitations. Un drone peut être une réponse à ces deux problématiques. On va pouvoir analyser la biomasse. L’étude des données permet de moduler les apports en intrants agricoles. L’agriculteur consomme moins tout en réduisant l’impact sur la facture et la nature. Pour résumer : c’est avoir la bonne dose au bon endroit et au bon moment.

On allie efficience écologique et économique ?

JD : Notre but premier est d’apporter des réponses, aux agriculteurs, à ces deux problématiques : réduire l’impact sur la nature tout en ayant une exploitation rentable et efficiente. Un agriculteur qui peut investir dans ce cercle vertueux est un homme heureux.

Thot Cursus est un journal international francophone lu en France, au Québec et aussi en Afrique. Pourrait-on imaginer un modèle d’innovation ouverte ? Est-ce que ce savoir-faire sera mis à disposition des autres agriculteurs pour qu’ils adoptent ces méthodes ?  Est-ce que le campus des Champs du Possible va être un espace interface avec le monde ?

LDR : On doit le concevoir comme cela même si c’est un des sujets que l’on n’a pas complètement abordé. On le souhaite mondial car on veut que nos innovations soient développées dans le monde. On n’a pas eu encore de projet d’exportation du modèle en tant que tel. Finalement, c’est peut-être la deuxième étape car on est au démarrage du projet. L’accompagnement de nos start-ups pourra se faire par l’exportation même du modèle. Par exemple, Biagri développe une plateforme à Châteaudun qui pourra servir aux agriculteurs sénégalais pour des productions différentes.

Il faut, donc, d’autres interlocuteurs qui soient locaux. On peut construire un réseau en créant un espace autour de son export à l’international avec des champs d’expérimentation, de la formation et en contact avec les agriculteurs locaux. Cela aidera à diffuser. Cela n’a pas encore été débattu par l’association qui porte le campus des Champs du Possible.

Après cet entretien, on peut dire qu’on est loin de l’image d’Epinal d’un monde agricole présent dans notre imaginaire collectif ?

LDR : Oui, je pense que, particulièrement en Eure et Loir, on est loin de ces caricatures.

Les agriculteurs sont très “early adopt” car ce sont des gens extrêmement pragmatiques.

Ils ont vu tout de suite l'intérêt d’utiliser le GPS, la conduite automatique dans leur tracteur ou avoir l’état des lieux de leurs parcelles et en connaître la rentabilité en temps réel au moment de la récolte. Ils sont déjà très connectés et numériques. C’est pour cela que c’est intéressant, ils n’auront aucun mal à adopter ces nouveaux usages. Cela sera très positif pour l’ensemble du département et c’est pour cela que l’on a commencé avec les agriculteurs et les Champs du Possible.

L’agriculture est dans notre ADN car nous sommes le premier département céréalier de France. Si l’on s’appuie sur ces gens qui ont adopté ces nouveaux usages pour leur métier, ils risquent d’en parler aux autres acteurs du territoire eurélien dont les artisans par exemple. Ils pourront dire que la révolution numérique est aussi pour eux, que c’est intéressant et bénéfique pour les activités.

Il y a une dimension d’essaimage, de pédagogie et d’évangélisation.

Plus on est nombreux à évangéliser, plus les gens sont mûrs pour l’adopter. On prépare les gens à prendre ce tournant numérique dans un esprit de conquête et à gagner des parts de marché. J’ai l’ambition que mon département soit gagnant dans cette révolution. C’est un bénéfice pour tous les habitants d’Eure-et-Loir. C’est notre rôle d’élu.

PFA : Ah non ! On est très très loin de l’image de l’agriculteur avec sa fourche. Pour vous dire, ma soeur habite à Paris. Avant, je travaillais dans le négoce de pommes de terre et un soir on me demande ce que je fais dans la vie. Je réponds que j’aide les agriculteurs à produire des pommes de terre. Il m’a répondu “Non, mais vraiment ?” Il ne me croyait pas.

On est loin de l’image du paysan avec ses toilettes au fond du jardin.

Il faut savoir que 82 % des agriculteurs sont connectés, vont sur internet pour voir ne serait-ce que la météo, le cours des marchés. On est, souvent, plus connecté que la majorité de la population. C’est un métier éprouvant et on a besoin de les aider.  Aujourd’hui, on monte dans une cabine de tracteur, c’est impressionnant ! L’agriculteur est habile avec les objets connectés. Si les agriculteurs n’ont pas été les plus rapides à entrer dans le numérique, ils y sont les plus actifs.

Pour finir cet interview, quelle est l’agriculture dont vous rêvez pour demain ? On parle d’agriculture augmentée, peut-être que l’on peut parler d’agriculture rêvée ?

LDR : L’agriculture rêvée. D’abord c’est celle qui continuera toujours de produire des produits de grande qualité pour notre tradition culinaire française. On a la culture du goût ; j’aimerais bien qu’on la conserve ou même qu’on la retrouve pour certains produits comme la tomate. Les français ne me contrediront pas dans la volonté de retrouver le goût et la saveur de nos produits. Si le numérique peut nous rendre capable, par l’optimisation des ressources, des moyens humains et techniques, de réussir à produire des fruits et des légumes de grande qualité à moindre coût dans la compétition mondiale : ce sera une victoire. L’objectif est le développement durable, le respect de la santé et de l’environnement.

JD : On aura une multiplication des capteurs avec cette quatrième révolution industrielle. Aujourd’hui, on est entre vingt et vingt-cinq pour une exploitation. Demain, ils vont être multipliés afin que l’agriculteur ait un tableau de bord devant lui. L’idée est de lui permettre de prendre la bonne décision au bon moment. Les drones sont déjà une réalité, on peut imaginer des robots pour désherber et dans cinq à dix ans des tracteurs autonomes.

PFA : Je suis fils d’agriculteur et je suis, je pense, l’agriculteur de demain. Il y a les start-ups et on regarde le métier de manière différente. L’agriculteur a pris du recul sur ce qu’il fait. Il y a une bonne définition donnée par monpotager.com. L’agriculteur de demain, c’est l’ageekculteur. C’est quelqu’un de connecté avec des outils autour de lui pour produire. On ne fait pas n’importe quoi dans les champs car on a des objectifs et on nourrit des gens. Aujourd’hui, on est capable de quasiment tout maîtriser, tout voir et tout analyser. Le Big data est hyper important, on est capable de faire le lien jusqu’au consommateur. L’agriculteur de demain est en lien direct avec lui. Le numérique est un peu disruptif, va parfois à l’encontre de certains modèles mais est là pour améliorer les choses.

Illustration : Campus Les Champs du Possibles

Sources :

Campus les Champs du Possible
http://campusleschampsdupossible.com/

Eure et Link
http://www.eurelink.fr/

Le Village by CA
http://www.levillagebyca.com/

Agrodynamic Eure-et-Loir
http://agrodynamic.com/

Makers, la nouvelle révolution industrielle, Chris Anderson, Pearson, 2012.

Critéo
http://www.criteo.com/fr/

Espionnage : 10 conseils pour protéger son entreprise, Laurent Calixte, Challenges, 3 juillet 2013
http://www.challenges.fr/economie/20130703.CHA1673/10-conseils-pour-eviter-l-espionnage-de-son-entreprise.html

Monpotager.com
https://www.monpotager.com


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