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Publié le 31 mai 2016 Mis à jour le 31 mai 2016

Mieux connaître pour mieux comprendre... et mieux enseigner.

Une approche globale de l’élève / enfant, pour une communication réussie, en classe FLE

L’élève allophone qui intègre une classe ordinaire ou une unité d’accueil spécialisée « possède un passé qui constitue son expérience humaine et nourrit son identité propre », écrit Michaël Rigolot, enseignant-formateur au CASNAV de Besançon.

L’enseignant se doit alors de construire de façon rationnelle des « connaissances adéquates, la production d’une langue de communication et une approche pédagogique étayée. (…) La connaissance de l’apprenant (est) le support dynamique sur lequel se construit l’échange autour de thématiques telles que l’identité, l’expérience, les savoir-faire ».

Connaître l’élève et son parcours ne pourra que faciliter la communication.

Chercher à connaître l’élève

Accueillir un élève allophone implique de prendre en compte à la fois l’écart ou la proximité linguistique entre langue(s) première(s) et langue cible, l’écart ou la proximité du patrimoine scolaire de l’élève « avec l’attendu ordinaire de l’école locale» et également l’écart ou la proximité sociale.

Chacun de ces domaines apporte des informations précieuses sur l’élève qui contribuent à mettre en œuvre le parcours le plus adapté possible. En effet celles-ci aident à mesurer les difficultés auxquelles les élèves sont confrontés. Ainsi, selon la langue d’origine, la perception, la distinction puis la production des sons nouveaux du français ne mobilisent pas le même investissement, ni la même adaptation phonologique. De même, la connaissance du parcours scolaire permet de « comparer l’existant, réinvestir l’appris, formaliser l’informel, compléter l’ébauche, corriger les erreurs et les graphies… ».

Enfin « l’écart ou la proximité de la situation originelle (de l’élève allophone) avec sa position actuelle influe sur la compréhension et l’adhésion aux nouveaux schémas scolaires et sociaux rencontrés », poursuit Michaël Rigolot.

Il s’agit donc de prendre en compte le passé et le vécu de l’EANA (élève allophone nouvellement arrivé). Sur le plan scolaire et éducatif, linguistique mais aussi biographique, même s’il est « le plus délicat à explorer » et qu’il ne peut en aucun cas « donner lieu à un questionnement intrusif », ni faire l’objet de « formalisations écrites ».

Ce champ biographique peut se dessiner à travers le témoignage de l’élève, mais aussi celui de la famille, des camarades,… Et il se devine aussi par les « recherches personnelles de l’enseignant qui le conduisent à intégrer à sa pensée des données sociologiques, ethnographiques, linguistiques, religieuses, économiques, climatiques et géopolitiques, bien au-delà de son champ disciplinaire ». Une démarche de recherche et de découverte, un engagement dans la connaissance de l’élève « dans des perspectives de médiation, de compréhension des problématiques, de proposition de soins ou d’appui aux familles », dans le cadre de l’élaboration de parcours individualisés.

Connaître la biographie pour faciliter les apprentissages

Ces éléments de la biographie de l’élève peuvent permettre d’entrevoir les difficultés, de comprendre des blocages, d’établir ou de rétablir une communication parfois fragilisée par la méconnaissance d’un vécu passé.

Quand l’entrée dans la langue cible est retardée par la crainte de dévoiler ses savoirs antérieurs dans une ou d’autres langues acquises au cours du parcours migratoire, pour des familles en attente de régularisation, comme l’explique Marion Avrillier, du CASNAV (Centre académique pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs) de Grenoble, à travers les témoignages qu’elle rapporte dans son article Porter au jour les biographies langagières : ou comment écarter certaines pierres d’achoppement sur le parcours d’apprentissage du FLSCO.

Parfois aussi la progression régulière en français langue seconde est altérée par « les situations de loyauté conflictuelle entre langue première et langue de scolarisation du pays d’origine », cette dernière court-circuitant une référence à la langue maternelle qui permettrait de soutenir l’apprentissage de la nouvelle langue.

Aussi « pour permettre à chacun de mobiliser toutes ses compétences langagières en toute sécurité pour entrer dans le français langue de scolarisation », il s’agit pour l’enseignant (et l’institution scolaire en général) de communiquer à l’EANA « le message de l’égale dignité des langues », écrit-elle encore, et de lui donner la possibilité de « faire vivre (ses) compétences plurilingues dans toute leur complexité ».

« l’élève allophone doit (en effet) concilier un avant/ailleurs en rupture géographique et symbolique avec l’ici/maintenant de sa situation scolaire en France », écrit pour sa part Cécile Goï de l’Université de Tours. Reconnaître, valoriser la langue et la culture de l’élève, son identité propre, c’est tout à la fois lui permettre de trouver sa place et de s’engager dans l’apprentissage, et l’aider à « construire des habilités métalinguistiques tout en développant une compétence interculturelle ».

Se raconter pour mieux communiquer

C’est dans ce cadre qu’un projet tel que l’écriture d’un « livre de vie » trouve tout son sens.

Initiée par un groupe de professionnels, une recherche action autour de la mise en œuvre d’ateliers « d’écriture d’un livre de leur histoire familiale par des jeunes scolarisés en classes d’accueil ou en classe régulière avec soutien linguistique » a été conduite en 2011 et 2012 au Québec. Dans ce contexte, où l’on redonne « la voix aux jeunes immigrants et à leurs familles, l’apprentissage du français, pilier du projet, devient graduellement le moyen privilégié d’expression du moi familial, tandis que les langues maternelles gravitent autour afin de supporter l’émergence d’une identité plurilingue au sein de laquelle le français, langue de scolarisation et, langue des échanges publics, a pleinement sa place », écrit Angela Stoïca, enseignante-chercheure participante au projet, dans la préface.

Loin de remettre en cause le souci d’équité et d’inclusion de l’école, l’intégration de l’histoire familiale au sein des pratiques pédagogiques doit permettre de trouver un équilibre entre « la reconnaissance du bagage linguistique et culturel de l’élève immigrant et l’apprentissage, au Québec, d’une nouvelle langue et d’une nouvelle culture». Le récit de l’histoire familiale de migration élaboré en classe devient alors « un vecteur de motivation pour accompagner les jeunes allophones dans leur apprentissage de l’écriture en français ».

L’équipe de chercheures, d’enseignantes et d’intervenants communautaires propose un « outil clé-en main », à adapter au contexte d’enseignement, qui favorise « l’apprentissage des jeunes tant de la langue française que de l’écriture en général, et ce, dans des contextes signifiants ».

Un livre qui « peut être rédigé à plusieurs mains, incluant éventuellement des passages écrits par des membres significatifs de la famille du jeune. Il peut aussi comporter des textes dans les langues d’origine des jeunes et de leur famille. Finalement il représente, pour les jeunes qui l’écrivent, un soutien à l’apprentissage du français écrit mais aussi un symbole de leur insertion au Québec et un lien entre leur passé, leur présent et leur avenir ».

Un outil qui encourage et renforce la communication puisque « l’écriture du livre d’histoire familiale vise des dialogues à divers niveaux : entre l’enseignant et le jeune, entre l’école, les familles et la communauté, entre le jeune et ses parents, entre les jeunes de diverses communautés culturelles et entre les langues… ».

Une mobilisation de tous, une communication entre tous, pour une plus grande compréhension mutuelle

Il revient à l’ensemble des acteurs du monde éducatif de se mobiliser et de collaborer autour d’un « accompagnement global de l’enfant/élève », à travers une approche pédagogique et éducative cohérente, rappelle encore Cécile Goï. 

En accueillant, informant, échangeant, communiquant avec les familles. En tissant des liens et en nouant une « intercompréhension mutuelle ». Car « lorsque les parents des élèves ne sont pas familiers de notre école française, voire pas familiers d’une école quelle qu’elle soit, malentendus, quiproquos, attentes déçues et demandes incomprises sont légion dans les échanges et ce de manière encore plus prégnante pour des familles dont la maîtrise de la langue rend parfois le dialogue difficile sur le plan fonctionnel de la communication en langue française ».

Cette démarche d’ouverture, d’accueil, d’échanges (et d’accompagnement, aussi) concourt à désamorcer les malentendus, expressions de « représentations différentes de l’éducation » tout comme des rôles dévolus aux parents et aux enseignants, qui peuvent survenir et entraver la communication tant avec les familles qu’au sein de la classe - et nuire alors à l’apprentissage de l’élève, coincé dans un conflit de loyauté entre école et famille. La mise en lumière de ces « décalages de représentations mutuelles », si elle ne permet pas forcément une compréhension réciproque pleine et entière, ne peut qu’aider l’enfant à construire son propre parcours.

Citant Martine Abdallah-Pretceille, Cécile Goï propose des pistes telles que la création « d’espaces de relations interculturelles qui ne se limiteraient pas à une connaissance de la culture de l’autre mais développeraient des processus de rencontre interculturelle d’où les familles ne seraient pas absentes ».

Ainsi, pour faciliter la communication avec les parents allophones, des conseils, outils et propositions d’actions sont mis à la disposition des enseignants sur de nombreux sites web. On trouvera par exemple des documents en différentes langues tels que des formulaires de rendez-vous, des informations sur la scolarité des enfants,…

L’opération Ouvrir l'École aux parents pour la réussite des enfants (OEPRE) conduite en partenariat entre le ministère de l'intérieur et le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche a ainsi été mise en place à titre expérimental en 2008-2009, dans 12 départements de 10 académies. E

lle est définie comme un espace d'apprentissage pour les parents étrangers primo-arrivants autour de l'enseignement du français, de la découverte des valeurs de la République et du fonctionnement du système scolaire. Un dispositif pour soutenir la communication avec les familles, levier de réussite pour les élèves allophones.

Utiliser les bons gestes professionnels

Dominique Bucheton, du laboratoire LIRDEF de l’université de Montpellier, rappelle l’importance d’expliciter (inlassablement) les attentes et les règles de l’école, « ces codes sociaux scolaires trop souvent tacites », pour éviter tout décrochage. Quand l’on sait aussi que « les situations d’échec, de violence, de décrochage, sont souvent liées à des incohérences internes faute d’explicitation des règles et des attendus scolaires », écrit Caroline Veltcheff, IA-IPR EVS de l’académie de Versailles.

L’agir de l’enseignant, « pour l’essentiel langagier est aussi corporel et concerne les mimiques, regards, déplacements, la hauteur de voix. (…) Il s’adresse à des élèves qui sont des personnes diverses avec une histoire et un vécu singuliers. (…) Pour les EANA, il s’agit bien de les aider à s’insérer dans la vie scolaire et sociale, à en être les acteurs et non pas les victimes ».

L’enseignant doit alors tisser un « ensemble de gestes qui aident l’élève à faire du lien avec ce qu’il sait déjà, ce qu’il a appris avant ou ailleurs », à saisir le sens de ses apprentissages, en verbalisant, aussi, les finalités des tâches proposées.

La communication en est ainsi renforcée.

Illustration : A.D., cahier d'équipe

Références :

Contributions des professionnels cités dans l’article et parues dans l’ouvrage Le français comme langue de scolarisation, sous la direction de Catherine Klein, sceren, 2012 :

Michaël Rigolot, Construire la connaissance autour de l’élève nouvellement arrivé en France

Marion Avrillier, Porter au jour les biographies langagières : ou comment écarter certaines pierres d’achoppement sur le parcours d’apprentissage du FLSCO
https://www.reseau-canope.fr/notice/le-francais-comme-langue-de-scolarisation.html

Répertoire de documents en différentes langues à destination des familles allophones sur le site de Catherine Mendonça Dias,
http://www.francaislangueseconde.fr/pour-la-famille/accueil-des-parents/

Intervention de Cécile Goï, enseignante-chercheure à l’université François Rabelais de Tours en sociolinguistique et didactique du FLE et du FLS, dans le cadre de la journée Relations école et Parents en situation interculturelle (29 septembre 2011, IUFM de Chambéry)
http://www.ac-grenoble.fr/casnav/accueil/enseigner-FLE-FLS/index.php?post/2012/07/10/Compte-rendu-de-la-journ%C3%A9e-Relations-%C3%A9cole-et-Parents-en-situation-interculturelle-(29-septembre-2011%2C-IUFM-de-Chamb%C3%A9ry)

Ouvrir l'école aux parents pour la réussite des enfants,
http://eduscol.education.fr/cid49489/ouvrir-l-ecole-aux-parents-pour-la-reussite-des-enfants.html

http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=84351

https://www.reseau-canope.fr/ouvrir-lecole-aux-parents-pour-la-reussite-des-enfants/presentation-de-loperation/objectifs.html

Présentation des ateliers et témoignages
Film de 12mn34 - Réalisatrice : Aude Delattre (Tanacité),
https://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p2_942937/ouvrir-l-ecole-aux-parents-pour-la-reussite-des-enfants

Des histoires familiales pour apprendre à écrire, un projet École-Familles-Communauté, Guide d’accompagnement,
http://www.elodil.umontreal.ca/fileadmin/documents/Guides/ehf/08-complet.pdf

Les gestes professionnels des enseignants ont-ils un effet sur les apprentissages des élèves ?, le café pédagogique, intervention de Dominique Bucheton, 2013
http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2013/GFENAvril05.aspx


 

 


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