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Publié le 17 mai 2016 Mis à jour le 17 mai 2016

Éloignées ou pas les écoles gagnent à se constituer en réseaux

Le programme Écoles Éloignées en Réseau s'internationalise

Présentation et Historique

Au Canada, au lieu de fermer les écoles à classes multi-âges, des pédagogues en font depuis 2002 des classes de meilleure qualité. Maintenir l’école ouverte pour maintenir le village. La raison sociale de l’École Éloignée en Réseau (ÉÉR) fut d’abord d’enrichir l’environnement d’apprentissage de petites écoles rurales afin que leur fermeture ne soit plus associée à la qualité déclinante de l’éducation qui y était offerte.

En 2010, 23 districts scolaires, plus de 200 écoles dont la majorité est du niveau primaire, 170 enseignants et plus de 2 000 apprenants ont participé à cette initiative. En 2015/2016, on dénombre 25 commissions scolaires participantes au déploiement de l’École en réseau.

Thérèse Laferrière est professeure titulaire à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, Directrice du Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaires (CRIRES), responsable du réseau PÉRISCOPE (Plateforme Échange, Recherche et Intervention sur la SCOlarité : PErsévérance et réussite). Elle est une référence-clé en ce qui concerne le projet ÉÉR dont elle décortique pour Thot les tenants et aboutissants.

Quels sont les effets de l’ÉÉR sur le développement local ?

3 configurations de développement favorisant la synergie école/communauté ressortent de cette étude menée par des chercheurs associés au CEFRIO, soit La création de synergie école/communauté dynamique reliée au projet EER,

 par ordre de complexité :

  • autonome, l’école propose (offre de service), la communauté dispose;
  • participatif, actions communes avec autonomie de chacune des parties;
  • et même codéveloppement quand le projet commuautaire porté par l’école est un mélange de l’école partagée, élargie et réseautée. L’objet de l’interaction est développemental car les acteurs scolaires et ceux du milieu cherchent à faire mieux ensemble.
     

C’est une concrétisation du développement durable car les liens se tissent, se raffermissent et se complexifient quand l’école et son entourage social interagissent grâce à Internet et aux outils numériques. Les ressources émanent de l’école et parviennent par la communauté.

Genèse du modèle ÉÉR

Il y a de plus en plus d’écoles qui prennent l’ÉÉR en modèle. On ne parle plus d’ailleurs d’école éloignée mais d’école en réseau tout court. On est toujours quelque part éloigné ou pas mais on n’en est pas toujours proches pour autant… le concept de réseautage ça peut être utilisé partout.

L’école en réseau comme innovation a commencé avec ceux pour qui ça avait l’air le plus pressant, et la pédagogie de coélaboration de connaissances ou knowledge-building pedagogy, ancrée dans la psychologie de l’écriture de Bereiter et Scardamalia, remonte à 1987. L’aventure avec la technologie numérique avait commencé avec les Inuits au Canada, dont l’intérêt des pédagogues locaux avait été suscité par des chercheurs. On s’est rendu compte que ce qui était appliqué dans 1 seule classe pouvait l’être en interclasses dans un même environnement, avec des partenaires lointains, en France, au Bénin, en réseau francophone, international…

Aujourd’hui, des chercheurs et des praticiens s’y intéressent sur tous les continents… Le Réseau international francophone de coélaboration de connaissances (Rifco) œuvre à dépasser les frontières entre les communautés francophones du monde. Les technologies en éducation ça me taraude depuis 1995 et depuis 2002 l’ÉÉR catalyse l’intérêt de l’approche.

Est-ce que les écoles réseautées favorisent le développement économique et la concertation ?

Dans cette étude de la nature et l’impact des projets de collaboration école-communauté, « Vers une consolidation du lien école-communauté Projet École éloignée en réseau », la valeur ajoutée pour tous les partenaires est bien soulignée.

Ces projets de collaboration, qu’ils se concrétisent dans des accords de partenariat ou non, favorisent le développement d’une communauté car ils augmentent le dynamisme local, soit la capacité des acteurs locaux de faire face, de façon conjointe, à un environnement de plus en plus complexe et turbulent.

La communauté est plus que la simple somme de ses parties, qu’elles soient des ressources ou des acteurs. L'école et la commission scolaire peuvent prendre la place qui leur revient dans le déploiement et le maintien d’un environnement fondé sur la détention d'une expertise et d'une technologie de pointe. De cette façon, elles favorisent l'émergence d'un cadre relationnel communautaire renouvelé ainsi qu'un projet éducatif novateur, riche et pertinent pour les enfants et les jeunes.


Est-ce que ça augmente le niveau de professionnalisation dans la communauté ?

Ce type d’approche induit un haut de niveau de professionnalisation chez les enseignants qui bénéficient de formations, bénéficient d’une ouverture d’horizons dans leurs pratiques plus complexes et motivantes. Un dispositif de recherche-action et de soutien en temps réel auprès des équipes-écoles est déployé en continu pour la réalisation et suivi des activités d’apprentissage : les conseils pratiques d’une équipe universitaire qui, en assurant une présence continue dans la salle virtuelle d’un système de visioconférence, peut répondre sur-le-champ aux demandes d’information ou de formation des enseignants, etc. Dans l’ÉER, plus d’une vingtaine d’activités-types se produisent. Elles nécessitent du soutien technique et pédagogique.

Comme l'école est conservatrice par essence, il me semble que le meilleur profit généré par l’école en réseau c’est de nourrir la curiosité intellectuelle, de favoriser l'exercice de la créativité. En général, les enseignants préfèrent suivre leur programme, ils craignent de s’adonner à des activités nouvelles dont ils ne voient de prime abord que la menace de chronophagie.

Or, la classe en réseau c’est bien le curricula officiel mais concrétisé autrement, ça ramène en classe des ressources insoupçonnées : des experts locaux ou lointains, des ressources du web, des outils techno-pédagogiques …bref une flexibilité et des perspectives énormes. Les plus motivés, les innovants, les dynamos se lancent en premier et les essais concluants amènent les autres.

La procédure est certes exigeante autant pour les enseignants que pour les élèves mais au bout on récolte l’amélioration de l’apprentissage par la technologie. Il faut que ça en vaille la peine pour s‘engager dans une pédagogie qui exige la collaboration ... Ce travail a du sens, à savoir la coélaboration des connaissances.

D’autres professionnels que les enseignants peuvent aussi utiliser le réseau pour accroitre leur offre de services aux élèves. Par exemple, des orthophonistes, des orthopédagogues, des psychoéducateurs, des conseillers d’orientation et autres professionnels font l’expérience actuellement d’une toute nouvelle approche combinant le face-à-face en salle et à distance auprès des élèves requérant leurs services. Des partenariats avec les ressources locales en santé ont aussi vu le jour et laissent entrevoir des possibilités pour le réseau de la santé de tirer profit de cette approche.

Quel est l’effet ÉÉR sur les élèves, les apprentissages ?

La méthodologie employée c’est que les élèves sont appelés à s’interroger sur des problèmes réels et à développer une compréhension commune autour d’une question qui les préoccupe et qui est en rapport avec le programme de formation, et ce, à l’aide d’un outil qui structure le travail en équipe et facilite le développement de compétences attendues au 21e siècle en éducation.

La combinaison du forum électronique et de la visioconférence offre la possibilité de vivre des activités, en même temps ou en différé, et de communiquer à l’oral ou à l’écrit. Toutes les perceptions convergent vers la certitude que les élèves sont plus performants.

Ces perceptions ont été corroborées par une récente étude «L’amélioration de la compréhension chez les élèves et de leur capacité d’explication au moyen de l’utilisation d’un forum de coélaboration de connaissances » qui a montré que lorsque les étudiants sont dans un environnement stimulant, novateur, qui leur permet de travailler sur de véritables idées et des problèmes complexes, ils sont capables d'atteindre plus.

Combinant entretiens oraux, avant et après des activités d’explication sur le KF, et analyse des écrits explicatifs des élèves sur le forum (fournir une information, une opinion, preuves à l'appui; faire une inférence, pointer vers une cause; pour générer une nouvelle question; offrir une meilleure explication en ce qui concerne un problème), l’étude a montré que les performances des élèves sont positivement influencées par la participation au KF, notamment quand cette participation est fréquente et que les fils de discussion sont affinés.

Quelles recherches conduisez-vous ? Votre perception globale de l’ÉÉR ?

Je participe actuellement à 5 recherches dont l’ÉER qui continue de représenter pour moi une excellente initiative à voir se développer et à documenter.

L’ÉER est présentement une véritable infrastructure sociotechnique où existent une capacité de travailler autrement chez bon nombre d’acteurs, une capacité de système d’utiliser les technologies à des fins d’apprentissage. On a créé une infrastructure où divers types de recherches y puisent des données, par exemple il y a une recherche en orthophonie qui utilise le système car on y trouve une facilité à collecter des données ainsi que des possibilités de collaboration entre chercheurs et praticiens quasi illimitées.

L’ÉER est en quelque sorte une grande communauté de pratique dont les artefacts induisent de jour en jour le développement du savoir-faire et du savoir être, la création et surtout la créativité, c’est-à-dire permettent aux facultés intellectuelles d’éclore et prospérer.

Cela nécessite-t-il de nouvelles façons de faire ? des bouleversements ? des réajustements ? une nouvelle mentalité ?

On essaie au sein de plusieurs commissions scolaires impliquées d’établir des standards pour le travail avec les technologies et parmi ces standards comment évaluer, impliquer les conseillers, les enseignants, etc. Il y a beaucoup de travail à faire pour réaligner le tout mais voilà au fil du temps ça progresse les gens s’y mettent, il y a des apprentissages à tous les niveaux, professionnels, avec les apprenants, la route est longue mais réfléchie et passionnante.

Pour améliorer l’apprentissage parmi les formes d’apprentissage par la technologie, ils apprennent à coélaborer, à cocréer des connaissances. Pour les mettre sur la route ça fait des apprentissages cumulatifs à réaliser.

Quelle évolution technologique en soutien au projet ?

On continue sur la même lancée, d’amélioration en amélioration, selon la pratique et le retour sur la pratique des utilisateurs. De iVisit on était passé à VIA (SVi Solutions), et pour KF (Knowledge Forum) on en est à la version 6 (beta) qui peut être utilisée sur smartphone ; les premiers essais concluants ont ouvert des perspectives de développement pour cette voie d’utilisation des technologies numériques.

Il faut néanmoins y aller lentement, par exemple, on va peut-être mettre d’abord les versions 5 ou 6 à disposition d’enseignants volontaires ouverts à mobiliser le propre équipement de leurs élèves. C’est en travaillant avec les logiciels que les usages se clarifient, que l’interaction se fait et que la technologie se plie et épouse les demandes des utilisateurs.

Comment accompagner ? Comment faire de la recherche autour d’un projet ? Comment faire une recherche action ?

Les recherches action collaboratives sont basées sur des partenariats, 5 chercheurs collaborent par exemple à l’initiative ÉER. La méthodologie de recherche action est assez rôdée : expérimentation des devis, innovation concertée et négociée à tous les niveaux de décision et de réalisation… identifier, concevoir, évaluer les pédagogies et technologies à déployer, se préparer à parer la perturbation et l’inconfort généré par les transformations, soutenir les enseignants et tout acteur impliqué dans un programme novateur.

Mille et un Merci Pr. Thérèse Laferrière. Votre modélisation de l’école en réseau, ouverte, participative et créative, est très inspirante pour tous les niveaux d’enseignement dans le monde, pour l’apprentissage et le développement durable coconstruits.

 

Références

Improving students’ understanding and explanation skills through the use of a knowledge building forum - Christine Hamel-  Université Laval - Sandrine Turcotte Université du Québec en Outaouais- Thérèse Laferrière & Nicolas Bisson Université Laval
https://www.erudit.org/revue/mje/2015/v50/n1/1036112ar.html?vue=resume

Revue des sciences de l’éducation de Mcgill • vol. 50 no 1 hiver 2015 - http://mje.mcgill.ca/article/view/9193

La création de synergie école-communauté : dynamique reliée au projet EER - Paul Prévost, Karl Lussier, Michel Boyer, Sébastien Authier
http://eer.qc.ca/doc/2007/01/Synergie_EER_2007.pdf

École en réseau, Classes Collaboratives - http://eer.qc.ca/

 


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