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Publié le 12 avril 2016 Mis à jour le 12 avril 2016

La réforme évolutive de la langue française

Transformations et évolutions

Toute langue naît, se développe, évolue ou meurt. La langue française n’échappe pas à cette règle. Elle a dû avant tout s’extraire du latin afin de prouver sa possibilité viabilité autonome et depuis, n’a cessé d’évoluer avec le temps. Des réformes se sont profilées, certaines sont passées, d’autres ont été annulées, d’autres encore, tentées, dans certaines régions, avec plus ou moins de succès, et voici que depuis le début 2016, on reparle de la réforme du français plus inensivement.

Qu’en est-il exactement ? Est-ce une réforme utile à notre langue ? Parle t'on alors d’évolution ou de révolution ? Toute langue a t-elle nécessairement besoin d’évoluer pour pouvoir subsister ?

Strasbourg, le 14 juillet 842, cette date vous dit quelque chose ? Le jour oui, mais pas l’année ! Encore moins le lieu… et pourtant, c’est la première fois qu’on peut trouver dans des manuscrits une place écrite en roman, le «protofrançais». Ces «Serments de Strasbourg» sont la retranscription du discours de fidélité et d’assistance prononcé par les princes Charles-Le-Chauve et Louis-Le-Germanique, tous deux petits-fils de Charlemagne qui se préparent à partager l’empire, dont une partie deviendra la future France. Les princes s’adressent donc à leurs futurs sujets dans la langue romane utilisée alors en Francie Occidentale. Le français se profile alors ! 

Le jeu des conquêtes

Mais le français, ce n’est pas avant tout une langue latine ? Si, bien sûr ! Toute existence d’une langue dépend de son contexte historique et politique. Or, nous savons que les Gaulois, durant la conquête romaine, en 51 av. J-C., ont dû s’adapter à la nouvelle langue imposée par l’empire. On est bien loin du celte antique parlé par nos ancêtres… en effet, ce latin appris sur le tard a fait l’objet d’adaptations par le peuple Gaulois. Comme le souligne la linguiste Henriette Walter dans Le français dans tous les sens,

«Si nous parlons français aujourd’hui, c’est-à-dire une langue romane issue du latin et non une langue celtique formée dans l’ancienne Gaule, c’est d’abord parce que nos ancêtres les Gaulois ont adopté la civilisation romaine et appris à parler le latin. Puisque contraints de vivre avec leurs voisins Francs, Burgondes, Wisigoths et Normands, ils ont bien dû, entre deux affrontements, discuter avec eux, partager leurs repas, courtiser leurs filles… le français résulte de toutes ces rencontres !».

La première évolution a donc déjà eu lieu. On ne parle plus le latin pur, celui de Rome, mais bien celui de Gaule.

De même, le temps passant, la situation géographique continue de jouer, en particulier au niveau nord et sud. En effet, le pays d’oc, au sud, au vu de sa proximité avec l’Italie, a bien évidemment conservé ses dialectes latins, alors qu’au nord, dans le pays d’oïl, les invasions franques ont germanisé le latin déjà modifié. 

Charlemagne, à l’origine du français moderne ?

Le latin, quoique modifié de-ci, delà, demeure la langue en présence dans le royaume. C’est aussi et surtout la langue noble, celle du clergé et de la noblesse, mais aussi des érudits. Cependant, la majorité de la population ne fait pas partie de cette élite et ne parle donc pas cette langue noble, il faut donc s’adapter là encore et chercher le moyen de passer à une langue neutre, indépendante du latin, qui réunira tout le peuple franc. C’est donc sous le règne de Charlemagne (v. 742-814) que cette révolution va prendre forme, à commencer par la prêche qui se fera désormais en roman et en germanique afin d’être mieux comprise par le peuple ! L’empereur sera également à l’origine de plusieurs glossaires latin-roman, comme Les Gloses de Reichenau, qui dressent un comparatif des mots courants et permettent de comprendre ainsi l’évolution ultérieure du français.

Quelques siècles plus tard, à l’époque des Croisades (XIIIe siècle), au moment où les romans courtois apparaissent, il est de bon ton de vouloir parler «le français de Paris». Affaires, justice, administration, le français est sur tous les fronts. C’est aussi à ce moment que naît l’identité nationale, développée encore dans la Guerre de Cent ans, au début du XIVe siècle. Cet ancien-français, savant mélange de langues d’oïls et de latin, tend encore à se développer au cours du Moyen-Âge avec des auteurs comme François Villon et sa Ballade des Pendus ou encore La farce de Maître Pathelin, il devient Moyen-Français… mais le latin a la vie dure, et la réputation de langue noble, tenace. François 1er, vers 1530, prend une décision, celle d’imposer un enseignement de qualité du français au nouveau Collège des lecteurs royaux, futur Collège de France. Pour assoir encore son autorité dans le royaume, il stipule bien que les actes officiels devront alors être rédigés en «langage maternel françoys, et non autrement». Par cette réforme, le français justifie donc sa position d’état, tout en éclipsant le latin comme langue vernaculaire.

Défense et illustration de la langue française

En 1549, un autre ouvrage retient l’attention des protecteurs de cette nouvelle langue unifiée, c’est la Défense et illustration de la langue française de Joachim du Bellay, appuyé par de nombreux auteurs de la Pléiade. Peu après, le poète Malherbe vient encore continuer à mettre de l’ordre dans cette langue naissante, en publiant une première grammaire de la langue française.

En 1635, sous Louis XIII, le Cardinal Richelieu suggère la création d’une Académie Française, qui permettra de montrer à tous qu’un état fort, c’est aussi une langue forte. Pour cela, il faut donc s’attacher à sa grammaire, sa rhétorique et sa poétique. Ceci dit, à la fin du XVIIIe siècle, seuls 3 millions de personnes (sur une population de 28 millions d’habitants) savent parler le «bon français», alors enseigné à l’école, mais encore réservée aux élites. La popularisation de la langue se poursuivra avec les Lumières : Montesquieu et son Esprit des Lois, Diderot et D’Alembert avec leur Encyclopédie.

Avec la Révolution française, en 1789, il y a également la révolution de la langue, comme le stipule la circulaire 72 du 28 Prairial, an II :

«Dans une République une et indivisible, la langue doit être une. C’est un fédéralisme que la variété des dialectes, il faut le briser entièrement».

La rupture est alors nette, le français est la langue officielle de la France.

Le Français a donc énormément évolué depuis son apparition. De langue latine, il a su emprunter sa culture et ses influences à ses envahisseurs (Latins et Francs), tout en l’adaptant à son nouvel empire progressivement. Mêlé de langue d’oïl et de langue d’oc, il est devenu progressivement, au fil des différentes réformes une langue à part entière, dont la rupture avec le latin s’est pourtant faite difficilement. L’avènement des lumières et de la pensée philosophique lui a finalement permis de prendre son essor et de continuer à se projeter dans l’avenir.

Finalement 

Plus de 1200 ans après sa première apparition écrite, le français est toujours une langue en activité perpétuelle, la preuve en est que récemment, depuis le début du XXIe siècle, plusieurs réformes linguistiques sont en cours.

Il convient de souligner qu’avant de les imposer définitivement en France, ces réformes sont souvent testées, de façon expérimentales, dans les DOM (départements d’outre-mer) ou dans d’autres pays francophones.

Suggérée en 1990, la réforme de l’orthographe sous le président François Mitterand, n’a pas su susciter un réel engouement et est donc rapidement passé aux oubliettes. Une vingtaine d’années plus tard, une nouvelle grammaire est instaurée et testée au Québec (par exemple, on ne parle plus d’article, mais de déterminant, le complément d’objet direct disparaît au profit du complément direct… c’est surtout un changement typologique qui se veut simplifié) et la nouvelle orthographe est également fortement suggérée (abandon de l’accent circonflexe, comme dans aout  et ile, orthographe simplifiée : nénufar, ognon…). Autre changement majeur, quoique très controversé encore par les puristes, il s’agit de la féminisation des professions. Si au Québec par exemple, on peut dire sans problème (au contraire, on vous y encourage !) une professeure, une mairesse, une docteure… en France cela est encore inconcevable (une femme professeur, madame le maire, une femme docteur).

La réforme de 1990, maintenant érpouvée au Québec, tend alors progressivement à s’installer officiellement dans le reste de la francophonie et ce, depuis mars 2016... même si les notables de l'Académie Française ne sont toujours pas convaincus de son utilité, ainsi qu'une bonne majorité des Français qui ne souhaitent pas voir leurs habitudes linguistiques modifiées...

Finalement

Au XXIe siècle, on peut bien parler d’évolution de la langue française, et non de réelle révolution, car celle-ci s’est déjà faite au fil du temps.

D’ailleurs, il est à noter que les traitements de texte comme Microsoft Word accepte les deux orthographes (traditionnelle et moderne) et que l’enseignement de la nouvelle grammaire se fait de façon progressive dans les écoles. Le numérique a donc su prendre le tournant linguistique moderne sans problème, comme le montre également le logiciel Antidote, spécialisé dans la correction linguistique française (les erreurs sont pointées avec les explications traditionnelles et modernes).

Quant au fait de savoir si toute langue doit forcément évoluer pour pouvoir subsister, il semblerait que oui, car rien ne stagne, tout évolue, même indirectement ou implicitement. Si on veut survivre, il faut savoir s’adapter, il faut savoir évoluer, et il en va de même pour une langue…

 

Illustrations : Deyan Georgie, Aniwhite, Alberto Masnovo, F. Jimenez Meca, Shutterstock

 

Sources :

Serments de Strasbourg - http://w3.restena.lu/cul/BABEL/T_SERMENTS.html

Les Gloses de Reichenau - https://en.wikipedia.org/wiki/Reichenau_Glosses

Les cahiers de Science et Vie, Les origines de la France (numéro 149), novembre 2014

La Défense, et illustration de la langue française - Bibliothèque mondiale
https://www.wdl.org/fr/item/4357/


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