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Publié le 22 mars 2016 Mis à jour le 22 mars 2016

Etre instituteur, un choix qui se confirme dans la pratique

J’ai compris d’emblée que ce métier est le bon pour moi et je ne l’ai plus lâché depuis

M. Mouldi Hayouni a été recruté en 1980 en tant qu'instituteur. Il a enseigné le français dans plusieurs écoles de la région de Kasserine aussi bien rurales que citadines.

Qu’est-ce qui vous a amené au métier d’instituteur ? Comment décririez-vous votre carrière ?

Au départ, ce n’était ni par vocation, ni par orientation, c’était plutôt un choix parmi tant d’autres pour travailler, le secteur administratif étant le plus accessible et le plus sûr. Signe d’époque, Instituteur était un métier valorisé et valorisant et il nourrissait bien son homme.

Ensuite, les choses ont changé mais j’étais déjà aguerri et on s’adapte vite, on est emporté de vague en vague, de réforme en réforme, de milieu en milieu, de grade en grade, c’est la vie d’un enseignant, la vie tout court. 

Au début, j’étais parachuté dans une école rurale sans aucune formation pédagogique. Je me rappelle bien que durant les deux années que j’ai passées dans cette école, j’ai eu seulement deux fois la visite d’un assistant pédagogique. Heureusement, les brèves directives qu’il m’avait fournies m’ont suffi à me frayer un chemin et à réussir mes débuts.  Mes élèves ont obtenu de très bons résultats au concours d’entrée en première année secondaire. Voilà, je me mets un peu en porte-à-faux contre toutes les certitudes que, sans formation, on est totalement désarmé. J’ai usé de mille et un subterfuges pour y arriver, donc m’autoformer c’est ça au fond, l’enthousiasme et la foi de la jeunesse ont fait le reste. Je crois aussi que, toute utopie mise à part, j’ai découvert d’emblée que ce métier est le bon pour moi et je ne l’ai plus lâché depuis. 

Quels sont vos rapports avec l’administration, les collègues, l’encadrement pédagogique, les élèves, les parents d’élèves, ... ?

Mes rapports avec l’administration, les parents et l’encadrement pédagogique étaient ordinaires au début mais ils n’ont pris de l’ampleur que lorsque j’étais chargé de la direction des écoles. C’est à ces moments là que j’étais confronté à beaucoup de situations problèmes auxquelles il fallait trouver les solutions rapides, efficaces et convaincantes.

Mouldi Hayouni

Comment devraient-ils être ?  Vos critiques, suggestions, ...

Depuis toujours, la relation instituteur et administration est un peu tendue et fait naitre des conflits qui des fois, nécessitent l’intervention d’une tierce personne pour les résoudre (inspecteur, direction régionale; etc.). Le directeur de l’établissement scolaire, ancien enseignant,  est tenu de se structurer à partir de son expérience et de veiller au bon fonctionnement de l’école sur le plan administratif et pédagogique.

Quant à l‘enseignant, placé sous la responsabilité d’un directeur, souvent autoritaire pour se faire entendre, faisant tout le temps des remarques pour se faire valoir, qui évalue et pèse sur l’avancement de la carrière de ses subordonnés, il n'a pas assez d'opportunités d'épanouissement.

Jamais la coopération directeur/instituteur n’a été féconde sauf dans le cas où le responsable de l’école se montre compréhensif, coopératif, équitable et attentionné par  rapport aux problèmes auxquels se confrontent ses collègues (pour ne pas dire ses subordonnés). J’évoque rapidement ma longue carrière de directeur qui n’a fait que me rapprocher de mes collègues à qui je suis très reconnaissant pour l’aide et le soutien qu’ils m’ont apporté pour réussir notre mission auprès de nos élèves.

Au cours de votre carrière comment avez-vous évolué? Quelle période préférez-vous ? Pourquoi ?

Au cours de ma carrière, j’ai évolué d’une façon très rapide. Je me suis vu accorder les classes terminales dans les grandes écoles de la ville et les résultats que j’ai réalisés au fil de ces années m’ont donné plus de confiance en moi-même et ont fait que je ne me limite pas seulement aux documents officiels.

Au contraire, je fournissais des efforts considérables, je puisais dans les vieux documents puis sur internet à la recherche de textes, d’exercices de valeur qui aident mes élèves à s’épanouir et à se distinguer. Parfois, je me plais à penser que de petites âmes ont découvert le plaisir d'apprendre, une consécration pour l'instituteur que j'étais.

Avez-vous réuni un petit bêtisier charmant de productions d’élèves ? Quelques échantillons…

Malheureusement non ! Pourtant, ce n’est pas ce qui manque. mais il me reste quelques trouvailles charmantes. Tenez mes élèves jonglent avec le pluriel mixte franco-arabe qu'ils construisent à partir d'une racine française avec des déclinaisons arabes: des verbes=vewereb, les examens=lexamenet, des texte=textouet... et puis avec le préfixe re j'ai obtenu cette réponse rebelle=belle + que belle.

Vous avez certainement été marqué par vos propres éducateurs. Quelle est la part de leur influence dans votre pratique ?

Il y a des personnes dont nous nous souviendrons toute notre vie parce qu'elles nous ont marqués en bien ou en mal. Nos instituteurs en font souvent partie ! Nous les avons vus tous les jours pendant des mois et ils ont souvent laissé leurs traces dans nos souvenirs.

Personnellement, c’est M. Faleh Gtari qui m’a enseigné en quatrième année et en sixième années primaires. Il était dévoué pour sa tâche, dispensait tout son temps pour ses élèves. Par son  ingéniosité, son sérieux, sa grandeur et  sa noblesse, il se faisait apprécier de tous et respecter par le parents.  Certes, il était sévère mais nous n’avons réalisé que plus tard à quel point il nous aimait, se sacrifiait pour nous aider…

A contrario, dans le public de vos anciens apprenants, quels retours recevez (ou percevez)-vous ? Ceci a-t-il influé sur votre pratique ? Dans quel sens ?

Ce qui me réjouit le plus dans ma carrière d’enseignant, c’est le respect, l’amour de mes élèves. Quand je revois mes élèves quelques années plus tard, quand j’apprends qu’il y a parmi eux le médecin, l’ingénieur, le pilote, l’enseignant… je me dis que j’ai réussi. Etre enseignant est un métier où on a beaucoup à donner et à recevoir. On ne fait pas qu’enseigner, on apprend aussi avec les enfants. C’est un apprentissage continu.

Y a-t-il un profil idéal de l’instituteur ? 

Tout le monde souhaite des enseignants efficaces, compréhensifs, sérieux, équitables mais modestes.

Personnellement, j’attends des enseignants et spécialement les instituteurs, qui sont les premiers à écrire sur les pages blanches qui leur sont présentées, qu’ils changent le monde. Les enfants ne lisent plus. Ils passent trop de temps devant les écrans des ordinateurs. Ils regardent trop la télévision. Ils ne respectent pas les règles d’hygiène, l’environnement, les vieux, leurs parents, les institutions, etc. " Mais que font donc les instituteurs ?  Qu’attendent-ils pour enseigner l’éducation sanitaire, civique, morale ? Si l’on veut régler le problème à la racine, ne faut-il pas mobiliser l’école en général et les enseignants en particulier ?

Quels sont vos hobbies, vos dadas ou passions, vos projets ?

Malheureusement, la retraite est souvent difficile pour les enseignants tunisiens. Baisse des revenus et surtout changement de rythme de vie. La retraite comporte un certain nombre de risques au niveau personnel, social et familial. Les liens que les instituteurs ont tissés avec leurs amis, leurs collègues, leur entourage sont de moins en moins nourris. Peu à peu, les invitations seront de moins en moins nombreuses, et les occasions de sortir de chez eux aussi. Ils  risquent de se replier peu à peu sur eux-mêmes, et de nourrir de moins en moins les besoins de contacts. Ce qui fait le plus peur aux enseignants retraités est la routine. Comment ne pas tomber dedans ?

Personnellement, je continue à enseigner dans le privé, je m’occupe et je m’en sors tant bien que mal. Un peu de sport, un peu de lecture et d’autres activités sur Internet. Je gère une page FB qui a touché presque cinq mille amateurs en Tunisie et dans le monde « Objets et pratiques tunisiennes d’autrefois ».  Cette page nous montre des objets anciens et nous fait comprendre comment ils étaient utilisés par nos aïeux dans leurs activités quotidiennes et les différentes tâches agricoles, ménagères… Je fais parfois participer mes élèves à certaines productions qui font partie du projet de classe...


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