Articles

Publié le 23 février 2016 Mis à jour le 23 février 2016

Comment décoder l'Autre pour échanger et transmettre du savoir ?

Quand les rencontres sont aussi complexes qu'enrichissantes...

Être enseignant offre l’opportunité non négligeable de rencontrer des élèves et étudiants de tous les coins du monde, ou tout simplement de tous horizons. Mais ce qui est en soi une véritable ouverture personnelle, peut également s’avérer une galère terrible lorsqu’il s’agit de transmettre du savoir. Il est alors intéressant de pouvoir prendre du recul et d'analyser ce qui bloque, ce qui éloigne, ce qui crée de l’incompréhension afin de passer outre et réussir les échanges.

Les différences liées au langage

Evidemment, le premier écueil entre deux personnes diamétralement opposées sur le globe terrestre est sans aucun doute la langue. Certains étudiants, fort courageux, quittent ainsi tous leurs repères pour venir en France, sans maîtriser la langue, sans en connaître les coutumes, ni même sans avoir forcément les mêmes religions ou croyances.

Bien sûr, difficile de tout appréhender d’un coup, d’un côté comme de l’autre. L'apprentissage du français peut être vraiment compliqué lorsque la langye d’origine est foncièrement différente : entre la prononciation et l’audition des mots, on ne parvient pas toujours à s’entendre. J'ai eu l'occasion de travailler avec une jeune femme directement venue du Japon pour effectuer un cycle universitaire en français. Ne parlant pas le français, elle communiquait par interprète électronique interposé. Ce système ne posait pas de souci majeur pour écrire une consigne au tableau, qu’elle reportait ensuite dans son appareil pour obtenir la traduction de ce qu’il fallait réaliser. En revanche, il devenait plus ardu de composer sur un sujet sans aller chercher des morceaux entiers sur internet, car la traduction mot à mot par électronique n’était pas plus aisée que de lui expliquer des notions spécifiques. Il fallait donc être patiente, poser les définitions à partir de mots clefs dont l’association ne laissait pas d’interprétation possible. Avec le temps, son français s’améliorant, il fut possible d’avancer beaucoup plus vite, car les bases avaient finalement pu être acquises, lentement. Sanctionner le "copier coller" aurait été contre-productif, alors que lui demander de faire moins long mais en plan très détaillé s'était avérér très efficace.

Les différences de cultures

il existe un autre cas complexe en termes de différences liées à la géographie : celui de la culture. Même si la barrière de la langue est abattue grâce à un apprentissage express par certains étudiants, il est parfois très difficile de repérer ce qui ne va pas dans des échanges spécifiques et pourtant, dont on sait qu’ils sont la clef pour accéder réellement à la personne et lui transmettre ce que l’on a prévu.

Certains traits de caractères de nos compatriotes ont un peu ce même effet, comme chez les timides ou réservés extrêmes, mais d’autres échanges sont très perturbés parce que la relation en elle-même ne correspond pas à des repères culturels. Là encore, à l’université et dans le cadre d’un travail de recherche, j’ai eu la chance de rencontrer des étudiants qui, cette, fois venaient de Chine. Ces garçons et filles parlaient plus que correctement le français, et de ce fait la compréhension n’était pas en cause. Pourtant, après trois semaines de demandes expresses d’une présentation orale sur un sujet, à laquelle ils avaient acquiescé, je n’obtenais toujours pas d’intervention. J’avais bien un « oui Madame » mais rien de concret au final. Jusqu’au jour, où, me documentant un peu sur le Web, j’ai enfin pris conscience que j’étais face à un « oui » qui n’en était pas un. Pour ne pas me froisser, mes élèves et collègues me disaient oui, mais l’intonation et l’attitude qui l’accompagnaient étaient en fait des non déguisés. Or, dans ma petite tête de française contestataire, un non est un non, un oui est un oui, peu importe comment il sera pris. Les relations entre la France et la Chine étant ce qu’elles sont, il me fut très profitable de savoir lire les oui par la suite, afin de formuler mes demandes de manière différente pour obtenir un résultat, en ayant décrypter dès la première seconde si c'était un oui ou un "noui".

Je me souviens également de nombreux étudiants venant de différents pays d'Afrique. L'un d'entre eux m'avait particulièrement marqué, car nous avions des divergences sur la notion d'horaires à respecter. Je lui avais fait remarquer plusieurs fois qu'il était en retard de 10 minutes. À quoi il m'avait répondu quelque chose qui m'avait fait réfléchir : "Tu sais Madame, moi, j'ai une montre, elle est dans un tiroir chez moi. Toi, tu n'as pas de montre, c'est la montre qui t'a, tu es esclave de ce qu'elle t'indique. Pour moi, inch allah, je vais quelque part et s je dois arriver à telle heure c'est comme ça. La montre ne décide pas pour moi, c'est un objet, je n'en serai pas esclave". Cette remarque, totalement éloignée de mes critères en termes de respect des horaires soulignait tout de même le caractère pressé, urgent en permanence de ma vie. Autant ces repères avaient une raison d'exister dans mon environnement professionnel, autant dans ma sphère personnelle, je peux maintenant envisager d'être moins esclave de cette urgence et je me prends à ne pas porter de montre pendant les vacances ou le week end... même si je consulte fréquemment l'horloge.

Des différences de caractères ou d’âge

Enfin, il est un autre cas dans lequel il peut être compliqué de se positionner : celui de la différence d’âge et de caractère. Certains éléments sont liés aussi aux différences culturelles, notamment pour ce qui concerne la distance entre les personnes. Certains se sentiront agressés lorsqu’on se rapproche d’eux à moins d’un mètre ou deux et perdront toute concentration, se sentant piégés ou sous l’œil du microscope. Reculer d’un pas suffira alors à faire baisser la tension et à créer le lien nécessaire pour qu’ils s’expriment, pleinement concentrés sur le programme à traiter. À l’inverse, d’autres ne pourront se concentrer que si vous êtes proches d’eux, une sorte de connivence, d’échange rendu propice par la confiance et le partage d’un espace commun. Certains ont besoin de vous frôler pour pouvoir échanger, d’autres ne supportent pas le contact. Ces caractères sont très importants à débusquer chez les interlocuteurs, car cela permet d’éviter les impairs qui peuvent parfois s’avérer définitifs. 

Pour ce qui est des différences générationnelles, elles sont présentes dans quasiment toutes les classes, à tous les niveaux, dans tous les territoires. Elles peuvent s’avérer très enrichissantes comme toujours, mais également bloquantes quand le dialogue ne parvient pas à s’installer car aucune des deux parties ne souhaite faire d’effort pour entrer sur le territoire de l’autre. Pourtant, les deux ont à y gagner : les différences de vocabulaire sont telles, que la consigne fixée par l’enseignant ou son exemple peuvent n’avoir aucun sens pour l’apprenant. Surtout si ces derniers ne bénéficient pas forcément de conditions socio-culturelles favorables, dans lesquelles leur vocabulaire connu et leur vocabulaire utilisé seraient consignés dans des secteurs mentaux différents, ne créant pas de liens ou de réflexes de l’un à l’autre. De la même manière, connaître leur mode de vie ou leur musique est un moyen d’échanger sur un ensemble de matières, pratiques ou d’exemples concrets qui permettent de transmettre des notions parfois très complexes, avant d’en imposer le vocabulaire technique. Passer par l'analogie du kebab, d'une chanson, d'une "référence" à la téléréalité créent des passerelles de comprension, et une fois les bases posées, ce ne sont plus que des ajustements de termes techniques ou de formulations adaptées. 

Ce qui est passionnant dans l’enseignement est donc à la fois le partage de savoir et l’envie de donner des clefs pour atteindre un objectif personnel, puis professionnel. C’est aussi un merveilleux moyen pour rencontrer des gens diversifiés, avec des petites manies autres que les miennes et qui ont autant de valeur. Cette capacité d’adaptation à l’autre et de lecture de l’autre sont l’intérêt même de ce métier, parfois si difficile. 

 

Crédit photos :  Pressmaster - Shutterstock n° 223390087


Voir plus d'articles de cet auteur

Dossiers

  • Percer les codes


Le fil RSS de Thot Cursus - Besoin d'un lecteur RSS ? Feedly, NewsBlur


Les tweets de @Thot


Accédez à des services exclusifs gratuitement

Inscrivez-vous et recevez nos infolettres en pédagogie et technologies éducatives

Vous pourrez aussi indexer vos ressources préférées et retrouver votre historique de consultation

M’abonner à l'infolettre

Superprof : la plateforme pour trouver les meilleurs professeurs particuliers en France (mais aussi en Belgique et en Suisse)


 

Ajouter à mes listes de lecture


Créer une liste de lecture

Recevez nos nouvelles par courriel

Chaque jour, restez informé sur l’apprentissage numérique sous toutes ses formes. Des idées et des ressources intéressantes. Profitez-en, c’est gratuit !