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Publié le 28 février 2016 Mis à jour le 12 janvier 2023

La fin du mythe de l'individu seul acteur de son apprentissage

Pouvoir, vouloir et savoir apprendre

Et si l’on se trompait en déclarant sur tous les tons depuis des dizaines d’années que « l’individu acteur de sa formation professionnelle » était le Graal absolu des approches pédagogiques et l’élément clé de l’organisation des systèmes de formations ? Si l’on avait surestimé la possibilité d’activer effectivement des « droits à se former » ?

Regardons l'exemple français. En France, à voir le succès mitigé du droit à la formation individuel par exemple des modalités d’individualisation (le  Droit Individuel à la Formation n’a bénéficié qu’à environ 6% des salariés français par an, et la Validation des Acquis de l'Expérience permet de diplomer 27 000 personnes par an, quant au Congés Individuel de Formation, il bénéficie à environ 45 000 personnes), force est de constater que cette voie tant révérée de l’individualisation  :

  • ne permet pas de toucher un grand nombre de participants potentiels;
  • ne permet pas aux plus défavorisés d’accéder à la formation dont ils pourraient faire usage.

La logique à la française de « droits individuels » qui se cumulent dans les différents champs sociaux, sécurité sociale, maladie, etc. mais aussi, dans le cas présent, la formation, pourraient, en fait, créer des injustices sociales entre les inclus et les exclus des systèmes. Ceux qui bénéficient et profitent de ces droits et savent les activer et les autres qui ne sont, soit titulaires d’aucun compteur d’heures de formation, soit, ne savent pas bâtir un projet pour en bénéficier et n’en ont même pas l’idée.

La difficulté de l’idée « d’individu acteur de sa formation » est qu’elle mélange d’une part les possibilités matérielles d’apprendre, « en théorie » rendue possible par les dispositifs législatifs généreux proposés, et, d’autre part, la posture de l’apprenant qui s’auto détermine dans son projet d’apprendre. Les trois conditions à réunir pour que l’apprentissage et ses effets se produisent ne sont pas réunies. Le pouvoir, le vouloir et le savoir apprendre se rencontrent mal. Examinons pourquoi.

Le « pouvoir d’apprendre » s’incarne dans les dispositifs conçus pour les individus. Plus le législateur s’efforce d’être précis et de se mettre au service des individus, plus il semble échouer à l’aider. Ce paradoxe tient de la complexité et des complications qu’il introduit. En voulant le protéger, lui éviter des déboires, par exemple la rencontre avec des organismes de formation, ou de dispositifs de formation inadaptés, plus le législateur crée de barrières entre les motivations  (parfois fragiles), et les situations de formation. A force d’une multitude d’étapes administratives et de validations à franchir, un apprenant  peu  téméraire se décourage.

Le « vouloir apprendre » renvoie au projet individuel, aux conditions extérieures perçues, aux différentes motivations internes pour apprendre. Les motivations intrinsèques et extrinsèques sont essentielles pour que le projet d’apprendre soit suffisamment durable. L’effort pour s’engager, trouver un financement, persister dans l’apprentissage nécessite un climat de soutien. C’est certainement là que la difficulté est la plus forte et laissée au hasard des histoires individuelles.

Le « savoir apprendre » que l’on nomme aussi « apprendre à apprendre » est une compétence partagée par les autodidactes, mais, pas si fréquemment développée, au regard d’une culture scolaire qui préfère s’assurer de la mémorisation de contenus et de méthodes pensées en extériorité des apprenants, plutôt que de les laisser construire leur savoir. Entre transmettre et développer le gout d’apprendre, les institutions ont nettement fait le choix de transmettre.

À partir de là, seuls ceux qui se conforment à la réception de savoir développeraient le goût d’apprendre. Les autres garderaient en mémoire qu’apprendre est extérieur à eux-mêmes et dépend d’un maître, et des motivations de celui-ci à organiser et rendre son cours intéressant. Ainsi, leur dire qu’ils sont responsables de leur apprentissage peut s’avérer douloureux voire contre-productif, car, leurs capacités à apprendre par eux-mêmes ont été peu étayées.

Si donc la voie juridique de « droit à se former », fait porter sur l’individu la responsabilité exclusive de ses apprentissages et conduit à de trop grands obstacles, il faut examiner d’autres perspectives. Il faut peut-être examiner, les conditions qui vont faire en sorte qu’un droit conféré puisse effectivement être convoqué.

L’idée serait alors de s’intéresser à l’environnement de l’individu, environnement qui favorisera le pouvoir, le vouloir et le savoir apprendre. Plutôt que d’octroyer à l’individu plus de droits, on l’a vu difficilement utilisables, car obéissant à des logiques de contingentement (compteur horaires individualisés) et de contrôles sociaux (formation et organismes de formation agréés ou non, procédure stricte à respecter, place prépondérante du maitre), alors misons sur la création d’environnements favorables à l’apprendre. Il est possible de distinguer plusieurs environnements :

  • Les environnements éducatifs et de formation

La création d’espace d’apprentissage déscolarisé qui favorise la liberté de s’engager et d’apprendre est un objectif à poursuivre. En France on se souvient des dispositifs de type Atelier de Pédagogie Personnalisée, mais l’on voit aussi apparaître des réseaux de proximité où l’on apprend de l’un à l’autre, ou des réseaux spontanés d’échange de gestes et de pratiques. Ces types de dispositifs d’écoute et d’élaboration de projets seraient à soutenir et imaginer. Il s’agit d’environnements  promouvant la  pédagogie de la découverte et du projet, plutôt que des seuls objectifs et des programmes.

  • Les environnements sociaux et associatifs

Il est possible de constater la création de dynamiques sociales inspirantes et porteuses de projets d’engagement au sein d’une variété de nouveaux espaces semi-associatifs ou publics. Repérons tous les lieux où l’on apprend tels que les fab-labs, les espaces de rencontres, les espaces de co-working, les Espaces Publics Numériques, soutenons ces lieux et examinons comment ils contribuent aux capacités d’apprendre.

  • Les environnements professionnels

Ce sont dans les environnements naturels de travail que l’on apprendrait le plus et de façon informelle. Pourquoi ne pas s’intéresser à leur enrichissement et au soutien de tous les acteurs de proximité qui y travaillent : managers, groupes de pairs, initiatives et projets apprenants, environnement physiques de rencontres et d’échange à repenser. Mettons des moyens pour favoriser l’acte d’apprentissage en situation. Dégageons du temps de production pour exercer l’indispensable prise de distance face à ses gestes professionnels.

  • Les environnements personnels d’apprentissages

Et surtout, il est possible de miser sur le potentiel numérique pour activer les motivations à apprendre, car les logiciels, les groupes, les forums qui se développent et sont désormais largement accessibles sont autant de ressources pour faciliter l’émergence du « vouloir apprendre »

En somme, il s’agirait de se questionner sur le remplacement de la dynamique d’industrialisation des années d’après-guerre et ses multiples opportunités motivantes  de promotions sociales, à des individus acteurs, héros de l’apprentissage, les autodidactes héroïques qui s’élèvent à la force du poignet, par de nouvelles dynamiques entrepreneuriales investissant les domaines sociaux, numériques, réinventant le vivre ensemble.

Si la formation professionnelle continue n’accompagne pas la conquête industrielle, alors, elle doit mieux servir les enjeux économiques, culturels et sociaux du moment. Ce qui vient d’être décrit procède de la création d’environnements d’apprentissage capacitant qui permettent de transformer un droit en une capacité d’action bien réelle. Des environnements qui permettent de convertir, les multiples ressources disponibles pour apprendre, en facteur de succès, pour engager un projet est certainement la trajectoire à explorer.

Illustration : Goodluz - ShutterStock

Sources

Les DIF : la maturité modeste - R. Descamps - Cereq - Centre d'études et de recherche sur les qualifications
http://www.cereq.fr/publications/Bref/Le-DIF-la-maturite-modeste

La validation des acquis de l’expérience - Séries de données arrêtées en 2013 - Ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
http://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/statistiques-de-a-a-z/article/la-validation-des-acquis-de-l-experience

Doper le compte personnel de formation ! - Arnaud - CFP Formation
http://www.cpformation.com/doper-le-compte-personnel-de-formation/


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