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Publié le 17 janvier 2016 Mis à jour le 17 janvier 2016

Adaptive learning : révolution ou robotisation de la formation?

L'adaptive learning a du succès, mais est-ce seulement un délire de technophiles?

Il s'agit presque d'une obsession dans le milieu de l'éducation : trouver la façon de marier technologie et éducation qui pourrait transformer l'apprentissage et le rendre plus efficace. Toutes sortes de tendances se sont succédées dans les dernières années dont peu ont résisté à l'usure du temps et à la progression technologique.

Or, à l'automne 2015, il y eut une excitation dans les médias spécialisés et traditionnels; causée par des jeunes entreprises en expansion qui révolutionneraient autant la formation à distance que celle en classe.

Adaptive learning et big data

L'adaptive learning – qui n'a pas encore de bon équivalent en français – est devenu le terme à la mode dans les six derniers mois. Pourquoi? Parce qu'il s'agit d'un mode de formation inspiré totalement du Big Data et des algorithmes qui font le succès des plus grands sites du Web 2.0.

En effet, cet enseignement adaptatif – traduction libre – se modifie selon l'utilisateur. Ainsi, la progression se fait d'après la maîtrise de l'apprenant d'un sujet, sa vitesse de compréhension, etc. Si le programme ne décode pas une compréhension de l'usager, le module lui redonne des exercices et ainsi de suite jusqu'à la fin de la formation.

Cela ressemble à de l'apprentissage personnalisé. Or, il y a des différences. Comme l'explique ce site, par exemple, une formation personnalisée dans un cadre professionnel va créer son module de formation en fonction du département, de l'emploi, du groupe d'âge, des aptitudes demandées, etc. L'adaptive learning va, quant à lui, continuellement évaluer le comportement de l'usager et lui proposer des chemins en conséquence. Bref, les deux concepts peuvent se compléter.

Une idée qui date

Et pourtant, le concept d'adaptive learning date d'il y a plutôt longtemps. L'idée d'une mécanisation de l'enseignement existait déjà quand le professeur en psychologie B.F. Skinner créait la machine à apprendre dans le milieu des années 1920. À l'époque, déjà, la création de Skinner offrait la possibilité pour l'apprenant d'obtenir des rétroactions en fonction de ses réponses. Cela était, certes, limité, mais ce béhavioriste était convaincu qu'il s'agissait de l'avenir.

Près d'un siècle plus tard, c'est exactement ce qui se produit avec des machines qui peuvent calculer des millions d'algorithmes par seconde. Que ce soit Knewton ou Aleks, le marché de l'adaptive learning grandit peu à peu et commence à intéresser les établissements d'enseignement américains. Malgré tout, il ne faut pas se faire d'illusion. L'approche est loin d'être répandue. Selon le cabinet spécialisé dans l'enseignement supérieur EduVentures, à peine 5% des universités américaines disposent de cet outil. Un marché très niché et dont les utilisations sont encore très timides. Il n'y a donc pas encore de curriculum utilisant uniquement cette approche.

Le prof vs les données

Il faut dire qu'une adoption massive et complète signifierait un changement radical pour les professeurs, tous niveaux confondus. Ils ne seraient plus des maîtres, mais des guides et des accompagnateurs tout au plus. Malgré tout, les entreprises d'adaptive learning répètent sans cesse qu'ils ne perdraient pas leur rôle dans les établissements de formation présentiels ou à distance.

Néanmoins, la pression commence à se faire sentir pour que plus de gens s'y intéressent. Les entreprises comme Knewton soulignent déjà des améliorations impressionnantes de résultats des apprenants grâce à cette méthode d'enseignement. Des augmentations de notes aux examens standardisés pour le Northeastern University en Illinois et un baisse importante du taux d'abandon (47%) dans des cours à l'Arizona State University.

De quoi faire saliver les créateurs de modules en ligne qui doivent combattre contre l'abandon dans les MOOCs et autres. Au point où beaucoup réclament que ces solutions soient proposées de plus en plus au grand public.

Des questionnements

Le problème est que cette révolution réclamée ne l'est pas par tous. Ils sont plusieurs à se demander si le discours technophile n'est pas en train de dénaturer l'enseignement. Non pas que la technologie soit foncièrement mauvaise, mais l'adaptive learning ne serait pas le saint Graal de l'éducation, selon la chroniqueuse en éducation Audrey Watters.

Dans un long exposé sur le sujet, elle souligne que cet enthousiasme se passe dans un contexte où, particulièrement en Amérique du Nord, les investissements en éducation baissent continuellement à tous les niveaux. Conséquemment, vouloir trouver une solution qui permettrait de réduire les frais de ressources humaines serait, selon elle, une des raisons de cette vague d'appui à l'adaptive learning. Ainsi, le modèle idéalisé du tuteur, cet enseignant entièrement dédié à un apprenant, serait reproduit mécaniquement sans avoir à débourser de salaire.

Or, le rappelle Watters, ces tuteurs robots n'ont pas la flexibilité et le lien que peuvent développer un maître et son disciple. L'apprentissage se doit d'être plus nuancé que simplement dire si l'apprenant a raison ou tort. Un enseignant peut s'intéresser, comprendre et tenter de corriger pourquoi un élève choisit constamment la mauvaise réponse. Une machine n'est pas capable de ce type d'analyse.

Ce qui n'est pas un accompagnement idéal pour des élèves en difficulté qui risquent de continuellement buter sur les mêmes questions. D'autant plus que, pour elle, il s'agit surtout de modules de questionnaires à choix multiples sans réelles profondeur. Une affirmation qui est un peu contredite par ceux qui travaillent sur le système Aleks (un concurrent à Knewton) et qui serait, selon eux, plus ouvert et flexible.

Et puis, pour d'autres, l'approche adaptive learning serait beaucoup trop restrictive et ne prendrait pas en compte tout l'aspect social de l'apprentissage même dans une matière comme les mathématiques. En fait, ils résument l'approche comme un musicien amateur qui apprend de plus en plus à jouer à l'aide de pièces musicales précises. Or, en sortant de ce cadre, il est incapable d'improviser avec son instrument. Une éducation qui donnerait donc des musiciens doués... à jouer un nombre limité de pièces. L'adaptive learning est, de ce point de vue, perçu par bien des observateurs avec de la méfiance.

L'adaptive learning a quelque chose de fascinant. Il s'agit de plus d'un siècle d'innovation qui mène ainsi à une véritable machine à enseigner qui peut s'adapter au niveau et à la personnalité d'un apprenant. Or, comme le rappelle sagement Bruno Devauchelle, il ne faut pas méprendre machine à enseigner et machine à apprendre. Ainsi, sans totalement se fermer à ces nouvelles technologies, il faudra redoubler de prudence et se rappeler que l'apprentissage n'est pas qu'un simple algorithme.

Illustration : Lightspring, shutterstock

Références

Buchanan, Jennifer. "Personalized vs Adaptive Learning." Axonify. Dernière mise à jour : 25 septembre 2015. http://www.axonify.com/2015/09/personalized-vs-adaptive-learning/.

Devauchelle, Bruno. "Après Les Classes Inversées, Les MOOCs, L’adaptive Learning ?" Veille Et Analyse TICE. Dernière mise à jour : 20 décembre 2015. http://www.brunodevauchelle.com/blog/?p=1836.

Fleming, Brian. "Adaptive Learning: The Real Revolution in Online Learning." Eduventures. Dernière mise à jour : 10 mars 2015. http://www.eduventures.com/2015/03/adaptive-learning-the-real-revolution/.

Gourdon, Jessica. "L'adaptive Learning, La Révolution Qui Vient." Letudiant.fr. Dernière mise à jour : 11 septembre 2015. http://www.letudiant.fr/educpros/actualite/l-adaptive-learning-la-revolution-qui-vient.html.

Hié, Anthony. "L’adaptive Learning Ou Le Big Data Au Service De L’apprenant !" JDN. Dernière mise à jour : 14 septembre 2015. http://www.journaldunet.com/solutions/expert/62170/l-adaptive-learning-ou-le-big-data-au-service-de-l-apprenant.shtml.

Liu, David. "Why Adaptive Learning Is a Sound Investment - Unlimited Personalized Lessons from Knewton." Knewton. Dernière mise à jour : 26 janvier 2015. https://www.knewton.com/resources/blog/adaptive-learning/adaptive-learning-investment/.

Meyer, Dan. "Adaptive Learning Is An Infinite IPod That Only Plays Neil Diamond." Dy/dan. Dernière mise à jour : 21 mai 2014. http://blog.mrmeyer.com/2014/adaptive-learning-is-an-infinite-ipod-that-only-plays-neil-diamond/.

"On Adaptive Learning: A Partial Response to Audrey Watters." Analytics in Education. Dernière mise à jour : 31 octobre 2015. http://alfredessa.com/2015/10/on-adaptive-learning-a-partial-response-to-audrey-watters/.

Oremus, Will. "Adaptive Learning Software is Replacing Textbooks and Upending American Education. Should We Welcome It?" Slate Magazine. Dernière mise à jour : 25 octobre 2015. http://www.slate.com/articles/technology/technology/2015/10/adaptive_learning_software_is_replacing_textbooks_and_upending_american.html.

Watters, Audrey. "The Algorithmic Future of Education." Hack Education. Dernière mise à jour : 22 octobre 2015. http://hackeducation.com/2015/10/22/robot-tutors/.


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