La plupart des grandes organisations viennent à peine de s’apercevoir que leurs collaborateurs sont devenus plus agiles qu’elles-mêmes dans la navigation avec les nouveaux modes sociaux-collaboratifs promues par internet. Elles restent peu ou prou sur des modèles hiérarchiques pyramidaux, descendants, matriciels.
Malgré quelques aménagements, les normes de production standardisés, les workflows, le contrôle et le reporting restent les pratiques majoritaires. Les entreprises libérées, les sociétés coopératives, les adhocraties collaboratives restent minoritaires.
L’objet de cet article est dans un premier temps de visiter quelques impacts opérationnels de ce qu’il est possible de nommer webisation, puis dans un second temps de repérer les incidences sur la formation.
Les organisations font face à la webisation
La webisation est le phénomène d’invasion de l’entreprise de pratiques issues majoritairement des réseaux sociaux. Ces pratiques touchent plus particulièrement la façon de capter, traiter et organiser de l’information.
Les arborescences internes des systèmes d’information organisant les données sont dépréciées en faveur des moteurs de recherche sémantique. L’accès aux individus distants dans l’organigramme par des voies hiérarchiques formalisées, a priori, cède le pas à une envie de communication directe. La frontière entre temps, personnels et professionnels, est partiellement remise en question par des pratiques de chevauchement invasion de messagerie personnelle au travail en particulier pour les travailleurs les plus qualifiés (86% des cadres ont accès à un ordinateur sur leur lieu de travail pour 26% des employés/ouvriers), dossiers professionnels emmenés à son domicile.
Cette webisation vient questionner la sécurité des données, mais dans le même temps, l’ouverture facilitée avec des acteurs externes autorise des perspectives nouvelles d’échange et d’innovations par friction avec des idées différentes, par exemple de clients ou de fournisseurs. Les organisations doivent aussi se préoccuper de leur capital de réputation, voire de celui de leur collaborateur.
La distance permise par les moyens informatiques autorise à penser le télétravail pour nombre d’activités tertiaire, mais également accélère la formation en dehors de contraintes spatiales. L’équipement technologique individuel permet aussi de faire pénétrer dans les entreprises de nouvelles pratiques, des nouvelles façons de se lier d’agir et d’apprendre.
Les incidences sur la formation
Pourquoi attendre qu’un stage se mette en place alors que je peux accéder à un tutoriel vidéo sur mon téléphone portable et résoudre sur le champ un problème ? Pourquoi croire ce que m’indique le formateur, alors que je peux adresser une demande rapide à un collègue distant ? Pourquoi payer une formation, ou demander l’autorisation à mon entreprise quand je peux bénéficier d’un MOOC sur une variété de thèmes ? Voilà quelques questions que les individus se posent au travail.
La webisation a 5 incidences sur la formation :
- Les individus prennent de plus en plus l’habitude de chercher seul des informations, ce qui renforce le processus d’auto-direction des apprentissages.
- La circulation démultipliée d’information et l’accès à des professionnels distants augmentent la dimension sociale des apprentissages (social learning).
- Les échanges qui se créent tant en interne qu’en externe facilitent les idées nouvelles et les stimulations pour apprendre. Les apports externes par exemple issus de forums viennent étayer ou contre-dire les informations circulant en interne.
- La disponibilité généralisée d’écrans et de terminaux, facilite les dialogues où que les individus se situent (renforcement du rôle du conflit sociocognitif au cœur de l’apprentissage), l’apprentissage se déroule tout au long de la vie mais aussi quel qu’endroit possible de la vie.
- La possibilité de rechercher des informations à partir de moteur sémantique plutôt qu’à partir d’arborescences pré-organisées, facilite le repérage d’informations clés (influence croissante des sources d’information externes en complément des sources internes).
Pour les entreprises, il est bien sûr possible d’utiliser ces nouvelles possibilités de s’informer et d’interagir pour développer l’envie d’apprendre seul et en réseau. Plutôt que de combattre ou de limiter ces nouvelles pratiques un effort d’accompagnement peut être réalisé. Cet effort pourrait passer par :
- l’apprentissage de la caméra des smartphones pour filmer des gestes professionnels et les étudier en réunion d’équipe,
- l’apprentissage de l’usage des forums pour en tirer un enseignement,
- l’aide à la création de requête sur les moteurs de recherche,
- l’appui à la création d’environnement professionnel,
- l’encouragement et la mise à disposition de moyens quand des besoins de se lier en réseaux professionnels se mettent en place,
- le conseil et le tutorat complémentaire pour participer à des MOOC,
- le référencement des bases de données les plus intéressantes à imbriquer avec les bases internes,
- le balisage de problématiques intéressantes ou l’organisation d’une veille collaborative.
Ces nouvelles missions pourraient refonder certains métiers de la formation professionnelle ou faire apparaître de nouveaux métiers dont le nom reste à imaginer : médiateur d’apprentissage ?
Illustration : Bloomua - ShutterStock
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