Comment redonner du pouvoir aux apprenants ? Fernand Oury, instituteur militant du XXème siècle nous donne quelques pistes très utiles et concrètes pour sortir d'une école enfermée dans des rapports hiérarchiques... Mais cet article aborde aussi quelques solutions plus contemporaines, en suivant l'Université de médecine de Caen, et son utilisation innovante des tablettes.
Contre l'école-caserne
Né en 1920 et mort en 1998, fortement inspiré par Freinet, Fernand Oury fait partie des enseignants qui ont le plus lutté pour redonner du pouvoir aux élèves.
Oury milite contre ce qu'il appelle "l'école-caserne". Fondée sur la discipline, la sélection, et des architectures qui facilitent avant tout la surveillance, l'école-caserne démotive à la fois les enseignants et les élèves. Elle produit de la bureaucratie, de la norme, et aplanit les personnalités. Elle se construit sur une hiérarchie figée, qui va du ministère à l'élève. L'image est sombre. Mais on vous avait prévenu : Fernand Oury est un militant.
Comment redonner du pouvoir à l'apprenant dans un système aussi hiérarchisé ?
Fernand Oury propose de faire de la classe un lieu d'expression. L'apprenant ne communique plus simplement sur des connaissances et des méthodes, mais aussi sur ses émotions et sentiments.
Alors que l'école-caserne est fermée sur elle-même, la classe de Oury échange avec d'autres écoles en établissant une correspondance. Dans une perspective plus contemporaine, des enseignants créent des blogs, des comptes twitter, ou des correspondances numériques par simple mail.
Au coeur de la pédagogie Freinet se trouve l'imprimerie. Oury et ses élèves diffusent un journal. Il développe ainsi l'apprentissage d'une méthode, d'une organisation, et d'un contact différent avec les lettres... Les élèves sont confrontés à l'aspect technique et matériel de la production du journal. Les enseignants contemporains vivent le même type d'expérience quand ils produisent des blogs ou des films, et qu'ils entrent avec leurs apprenant dans les aspects de codage, de compression, de format ou de choix de polices de caractère. Les compétences sollicitées ne sont pas exactement les mêmes, mais on retrouve un côté "main à la pâte". Et surtout, élèves et professeurs vivent ensemble une expérience où il n'y a pas UNE bonne réponse, mais où il s'agit de tâtonner vers une solution acceptable et acceptée par tous. Les élèves travaillent plus qu'ils ne font des exercices, dont la réponse aurait déjà été formalisée.
Oury engage ses élèves à mener des enquêtes à l'extérieur. Elles sont un moyen de sortir de l'architecture fermée de la classe.
Imprimerie, enquête, correspondance évitent la relation duelle entre enseignant et élève qui favoriserait la fascination, la manipulation ou le conflit. On échange toujours autour de quelque chose, d'un objet, d'un projet ou d'une action qui va servir de médiation à la relation pédagogique.
Le conseil de coopération est un autre outil qui vient casser l'organisation pyramidale de la classe. Les élèves et le professeur y établissent des règles qui engagent chacun. Roger Beaumont, instituteur dans le Rhône, en montre concrètement le fonctionnement et les finalités.
Reprendre le pouvoir sur l'école-building que condamne Oury, c'est bien entendu aussi réorganiser l'espace. Oury parle des 4 L : Limites, Loi, Langage et Lieu. Les limites et la loi sont fixées dans le conseil de coopération. Le langage est l'unique vecteur des échanges entre élèves et professeurs. Le lieu est cet espace que s'approprient les élèves, et où circule la parole, les objets et les productions du groupe.
Enfin, et sans prétendre résumer cette approche, la classe se construit autour d'activités de groupes et de rôles. Les rôles changent au cours de l'année, mais ils sont nombreux, valorisants et clairement explicités. Muller et Peretti en proposent un grand nombre dans leur ouvrage Mille et une propositions pédagogiques... et François Muller en détaille certains sur le site Diversifier.
Perspectives contemporaines
Dans les paragraphes qui ont précédé, les pédagogies mises en oeuvre ne nécessitent pas d'internet, d'électronique, ni même d'électricité... Comment les évolutions du XXIème siècle permettent-elles d'aller plus loin et de donner davantage de pouvoirs aux apprenants ?
Le choix des moyens
Les objectifs pédagogiques restent définis par l'enseignant, et même par des textes officiels. Mais les technologies permettent de donner aux élèves et étudiants le choix des moyens. Ainsi, plutôt qu'une fiche lecture traditionnelle, ils peuvent produire une bande dessinée, un collage, des petits films, des prezi,...
Donner du pouvoir, c'est aussi permettre à l'apprenant de participer à sa propre évaluation. Les auto-évaluations ou les évaluations par les pairs éloignent de ces logiques de sanction qu'évitait Oury.
Reconquérir les étudiants
Mais les technologies ont changé la donne. Aller au cours n'est plus qu'une stratégie parmi d'autres pour préparer un examen. L'enseignant est en concurrence avec d'autres approches (résumés de cours en ligne, auto-évaluations,...). "A quoi sert l'école si Google nous dit tout ?" comme le formule Ibrar Bhatt...
Quand les étudiants en amphi se sont juste sacrifiés pour venir prendre le cours et le diffuser par internet aux autres... Quand ceux qui assistent au cours passent une partie de leur temps sur leur smartphone, à la fois présents et très loin, l'enseignant n'a plus le sentiment de détenir un pouvoir. Ce sont les étudiants qui choisissent. Ils votent "avec leurs pieds", en venant ou non au cours.
Comment retrouver un pouvoir... d'attraction ?
Au cours des journées de l'éducation pédagogiques de Caen, menées avec Communotic et la région Basse-Normandie, Damien Legallois a apporté des pistes très concrètes.
Les diaporamas et les cours sont mis en ligne, via la plateforme Moodle. Les étudiants peuvent les consulter avant le cours. Ils peuvent ensuite être inscrits sur une application de vote. Le cours ne consiste plus en la diffusion des diapos, mais en questions sur des situations concrètes. Les étudiants votent sur des solutions possibles, face à un cas qui leur est soumis. Pour voter, ils utilisent leur smartphone.
Les réponses sont projetées en temps réel. Si tout le monde fournit une bonne réponse, on passe à une autre situation. Sinon, le formateur développe la réponse, et peut éventuellement interagir avec l'amphi.
Damien Legallois est plutôt modeste et ne prétend pas démontrer que c'est un succès total. Mais en redonnant la possibilité de faire des choix aux étudiants de l'Université de médecine de Caen, ce dispositif a fait revenir les étudiants en amphi.
Illustrations : Frédéric Duriez
Ressources
Jeanne Yves, « Fernand Oury et la pédagogie institutionnelle. », Reliance 2/2008 (n° 28) , p. 113-117
www.cairn.info/revue-reliance-2008-2-page-113.htm.
Jean Pierre Pourtois et Huguette Desmet : "Fernand Oury" in Pédagogues contemporains dir. Jean Houssaye, Armand Colin 1996
Damien Legallois "Dynamiser son cours en amphi avec un système de vote" Journées innovation pédagogique normande 2015
https://www.canal-u.tv/video/centre_d_enseignement_multimedia_universitaire_c_e_m_u/09_dynamiser_son_cours_en_amphi_avec_un_systeme_de_vote_jipn_2015.18448
Adora Svitak Five ways to empower students - Edutopia http://www.edutopia.org/blog/empower-students-adora-svitak
Roger Beaumont Le conseil, pourquoi, quand et comment ? Freinésies - janvier 1998
www2.ac-lyon.fr/etab/ien/rhone/lyon8/IMG/pdf/conseil_R_Beaumont-2.pdf
Kim Haynes Empower Students to take ownership of learning http://www.teachhub.com/empower-student-to-take-ownership-of-learning
André DE PERETTI, Francois MULLER Mille et une propositions pédagogiques pour animer son cours et innover en classe Editions ESF 15/05/2013
Conor Burton 5 ways to empower students in their learning
https://teacherly.io/blog/empower-students-in-their-learning/
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