L’année scolaire 2014/2015 a connu des remous dans le corps enseignant et une prise de conscience collective que la Tunisie a mal en son système éducatif.
Depuis deux décennies, le boom des apprenants s’est déplacé dans les universités qui, en bonnes usines à cadres, débarquaient régulièrement sur un marché de travail tristement virtuel des milliers de diplômés voués au chômage. Les collèges et les lycées et surtout les écoles, contrôle des naissances oblige, avaient moins la priorité.
Si on ajoute à cela quatre années de gouvernance provisoire qui dure, et donc pas de stratégie ni de continuité dans la politique éducative, on comprend aisément que la crise se soit insidieusement installée. Quelques indices nationaux (décrochage scolaire, phénomène de suicide d’écoliers et de collégiens) et internationaux (classement PISA) n’ont pas aussi manqué de convaincre de l'urgence à réformer un système éducatif qui s'enlise.
Des revendications syndicales non abouties ont, par ailleurs, électrisé l’atmosphère. Le second trimestre s’est terminé sans évaluation finale pour les collèges et les lycées et les examens de fin d’année au primaire ont été purement et simplement zappés, le passage de classe ayant été décrété automatiquement à tous les niveaux pour tous les élèves. Mais ce n’était que partie remise, menace de boycott de la rentrée 2015/2016, un été chaud et grève en début d’année scolaire. On pouvait faire mieux dans un pays où la matière grise est la richesse sur laquelle on a misé depuis 60 ans...
Cependant, ce qui change la mise c’est que les élections dernières ont porté au pouvoir un gouvernement démocratiquement élu qui peut travailler sur la durée. La réforme du système éducatif tant exigée commence par une consultation nationale de la base vers le sommet, de façon formelle et informelle, officiels et société civile rivalisant de propositions.
Il n’en sortira que du bien même si et sûrement parce qu’il y a confrontation de points de vue totalement divergents et parfois même farfelus (en quelle langue enseigner les mathématiques, quel avenir pour les établissements coraniques, etc.). On ne peut construire sur du non-dit. Alors qu’on s’en donne à cœur joie et viendra le moment où on débouchera sur du concret.
Des mesures concrètes et immédiates
Les écoles primaires notamment dans les quartiers défavorisés ou les régions enclavées sont pour la plupart insalubres, mal équipées, ne sont pas desservies par des transports en commun. Les temps scolaires sont inadéquats et le service de cantine quasi inexistant. Eh bien, c'est par là que la mobilisation a commencé.
Le coût total de la rentrée scolaire 2015/2016 s’élève à 2 000,86 MD contre 1 638,53 MD pour la rentrée 2014/2015 soit une augmentation de 18,1% (362,3 MD). (MD = Million de dinars) (1 Dinar = 0.45 EUR, 0.66 $CA)
Le Ministère a rénové plus de 3000 écoles cet été. Société civile et particuliers ont été aussi de la partie.
Dans le cadre du « mois de l’école », un téléthon a été organisé les 11 et 12 septembre 2015, pour recueillir des dons au profit des établissements éducatifs et surtout aider à la réhabilitation, rénovation, voire reconstruction des écoles primaires dans les différentes régions du pays. En partenariat avec le Ministère de l’éducation, la télévision nationale, une banque de la place ainsi qu’une association civile Almadanya ont organisé cet événement.
Plus d’un million de dinars ont été collectés. On estime que ce chiffre augmentera étant donné que l’opération de collecte de dons se poursuit jusqu’au 6 octobre. La campagne du mois de l’école sera même prolongée pour devenir l’année de l’école.
Les examens nationaux en question
L’examen du Bac se déclinait en 25% de contrôle continu (s'il est favorable au candidat) et 75% d'examen sur table. Ceci donnait lieu à du laxisme, clientélisme si ce n'est à la fraude sur les notes, et donc à la déperdition des valeurs travail et mérite.
Pour l’année 2014/2015, le contrôle continu a été diminué à 20%, les conditions de rachat ont été revues à la baisse. Du coup, les résultats du bac ont chuté vertigineusement, confirmant les détracteurs de la formule en vigueur depuis une vingtaine d'années. Du coup, décision est prise que désormais les 20% de rachat accordés au bac seront supprimés.
Cours particuliers et temps scolaire
Le fléau des cours particuliers fait de l'ombre à un système qui se veut égalitaire. Officiellement, on est déterminé à y mettre le holà, les cours à domicile sont interdits et toute remédiation se fera au sein des établissements scolaires. Ce ne sera certainement pas facile de contrecarrer des pratiques établies mais une commission s'attelle à légiférer à ce propos.
En matière de temps scolaire, une décision à saluer : une expérience pilote dans 38 écoles des régions de l’intérieur pour une séance unique afin de consacrer les après-midis aux activités culturelles et sportives. Cette expérience pourra être étendue progressivement.
Un travail de collecte et de tri de la consultation nationale est également en cours car les vraies réformes sont ailleurs, ce qu'on fait actuellement c'est essayer d'assurer les conditions de réussite de la future Réforme éducative. Quid des enseignants et de leurs revendications ? De la formation continue ? Des pratiques pédagogiques ?...
Ce qui se passe en France : on est tous logés à la même enseigne
Dans un article intitulé École primaire : Il faut mettre le paquet pour la réformer, Sandrine Trouvelot dénombre les axes d'intervention pour des écoles à vivre et non subir
- Augmenter le taux d'encadrement en maternelle et élémentaire
- Développer la scolarisation avant 3 ans dans les quartiers défavorisés
- Limiter l'évaluation des élèves
- Renforcer les horaires de français
- Systématiser le travail en petits groupes
- Assouplir les rythmes scolaires
- Limiter les redoublements en instituant des «cycles»
- Préparer la lecture dès le plus jeune âge
- Muscler l'apprentissage de l'anglais
- Renforcer l'instruction civique et morale
- Recruter des éducateurs dans les établissements
- Rendre la formation continue des professeurs obligatoire
- Apprendre la pédagogie aux futurs professeurs
- Former les profs aux nouvelles technologies
En fait, partout dans le monde, pallier aux urgences oui mais ce travail de fond doit être inlassable.
Références :
"La campagne nationale pour la réhabilitation et la rénovation des écoles primaires | ALMADANYA." La Compagne Nationale Pour La Réhabilitation Et La Rénovation Des écoles Primaires | ALMADANYA. Consulté le 6 octobre 2015.
http://almadanya.org/la-compagne-nationale-pour-la-rehabilitation-et-la-renovation-des-ecoles-primaires/
"École Primaire : Il faut mettre le paquet pour la réformer !" Capital.fr. Consulté le 6 octobre 2015. http://www.capital.fr/enquetes/dossiers/ecole-primaire-il-faut-mettre-le-paquet-pour-la-reformer-1074731
"Rentrée scolaire 2015/2016 : Sous le signe des réformes - L'Economiste Maghrébin." L'Economiste Maghrébin. Consulté le 12 octobre 2015. http://www.leconomistemaghrebin.com/2015/09/15/tunisie-sous-signe-reformes/.
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