Vieux pots de peinture, tabouret unijambiste, arbre mort... vous avez sûrement porté et déposé des déchets dans l'espace qui leur est désormais dédié : la déchetterie.
"Désormais" car il y a une dizaine d'années, seules les décharges offraient, à ciel ouvert, leurs entrailles aux déchets de tous ordres, plus ou moins polluants ou toxiques.
Fanny Pacreau, dans un sujet de thèse pour le moins original, s'est intéressée aux déchetteries. Plus précisément à une déchetterie car son travail de recherche émane de la commande d'une collectivité locale de Loire Atlantique (France). Si la décharge locale a quasiment disparu sous un couvert vétégal, il subsiste un vieux portail rouillé et quelques gravats.
Cette technique de camouflage baptisée intégration paysagère est une manoeuvre de la raison technicienne désormais gagnée à la cause environnementale qui vise à tourner une page de l'histoire des déchets et détourner les regards de cette gestion passée (citation page 47).
Logique productiviste
Depuis 2003, les déchets sont entreposés à la déchetterie cantonale de 2500 m2, juxtant une aire d'accueil des gens du voyage. L'installation est une IPCE soumise à des réglementations strictes et à des contrôles. La déchetterie est surveillée par un gardien qui régule les entrées et l'entreposage des déchets. Chacun a sa place. La déchetterie est une lieu de transit, les chauffeurs des filières de recyclage opérant un ballet de camions entrant vides et sortant dégoulinant de déchets à valoriser.
Avec l'avènement des déchetteries, la récupération est devenue une industrie co-gérée par des instutions publiques et privées. Ce n'est pas nouveau mais l'échelle s'est élargie. Rappelons-nous que le préfet Emile Poubelle est l'un des pionniers de la gestion publique des déchets avec l'installation des poubelles, à la fin du XIXe siècle. Pour F. Pacreau, la déchetterie prolonge la société de consommation, c'est un site industriel qui répond à une logique productiviste.
La valorisation des déchets est devenue un espace d'éblouissement technologique. Reste tout de même que l'on ne peut totalement se passer de l'individu car sans tri à la source, il n'y a pas de valorisation possible (citation p. 162)
Les glaneurs
F. Pacreau ne s'en cache pas, l'étude diachronique des lieux n'est qu'un prétexte à scruter l'évolution des pratiques de récupération. Ce n'est pas un hasard si la déchetterie a été implantée à côté d'une aire d'accueil des gens du voyages, public "cible" de la récupération. Pour F. Pacreau les espaces "franges" répondent aux périphéries sociales.
Vivre au plus près de son objet de subsistance permet d’en assurer la surveillance. Toutefois cette proximité géographique n’est pas purement pragmatique. Elle matérialise l’identification qui s’opère entre déchets et périphéries sociales (citation p. 39).
Mais ce n'est pas sans poser de problèmes, ces dernières années car, la concurrence est rude entre les recycleurs officiels, ceux dont les camions entrent et sortent sous l'oeil bienvaillant du gardien et les récupérateurs officieux qui attendent les horaires de fermeture pour venir glaner des métaux dont les prix ont flambé. La déchetterie est un mini "théâtre" de la concurrence pour F. Pacreau.
La vie de la déchetterie se scinde en deux, celle licite du tri pendant les horaires d'ouverture et celle, illicite de la récupération, dès la fermeture. C'est au gardien de maintenir la limite. Les tensions s'exacerbent. Le rapport de force se radicalise et aboutit à une surenchère à la fortification du lieu [installation de vidéo surveillance], couteûse pour les collectivités (citation p. 89-90).
En privilégiant le recyclage à la récup', c'est une part de la créativité humaine qui s'étiolle au profit d'une technico-industrielle, regrette F. Pacreau.
L'écriture soignée et poétique de cette thèse nous balade entre analyses critiques et revêries d'une promeneuse solitaire hantée par Helmut Warzecha, un marginal taxidermiste étudié dans un travail précédent. Vous l'aurez compris, une thèse engagée, profondément humaine et conjuguée à la première personne du singulier, c'est rare et rafraîchissant!
Illustration : bikeriderlondon ShutterStock
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