Arrive-t-il encore que l’on entende l’expression de l’ennui chez nos enfants ? Ou alors ne survient-elle pas le plus souvent en réaction à une sollicitation toujours plus importante ? Expression d’un sentiment de vide qui s’installe soudain quand, pour un temps, l’enfant est enfin laissé « livré » à lui-même et que son emploi du temps n’est plus contraint par un trop-plein d’activités qui lui interdisent l’oisiveté.
Et pourtant, comme ils sont riches ces moments d’ennui, porteurs de créativité, d’inventions en tout genre, quand l’imaginaire peut enfin se libérer de cadres restrictifs et parfois assujettissants.
Résolue à ne pas participer à la course effrénée aux loisirs de toutes sortes, je l’ai entendu bien des fois ce fameux refrain « je m’ennuie », tandis que les pas traînants portaient l’enfant jusque dans sa chambre où il s’adonnait alors à des occupations libres et ouvertes, répondant par la même occasion à un désir insatisfait, une (petite) frustration.
Trois bouts de carton, un rouleau adhésif et un cartable à roulettes-maison surgissait de son imagination. « Tu ne veux pas m’en acheter un, alors je l’ai fabriqué ». Comme ces super-héros en papier découpé que son aîné agitait au cœur de combats impitoyables entre peluches et autres personnages faits de bric et de broc. Et d’explorer ainsi le monde en le réinventant.
Du temps pour ne rien faire
De nombreux spécialistes de l’enfance s’accordent sur ce point : il faut laisser du temps à nos enfants. Cesser de vouloir le rentabiliser sous prétexte que l’oisiveté conduirait à de tristes dérives et qu’une vie réglée et cadrée dès le plus jeune âge ne peut que contribuer à former un adulte adapté à notre société, au monde du travail et à ses codes rigoureux.
C’est ce que défend la psychothérapeute Etty Buzyn dans son livre Papa, maman, laissez-moi le temps de rêver, prônant les mérites de l’oisiveté que l’on peut considérer comme un espace et un temps de liberté pour « apprendre à se défendre par rapport à l’extérieur (et) à exploiter ses propres ressources ».
Elle partage ce point de vue avec le psychosociologue Jean Epstein qui rappelle, lorsqu’il décrypte le rôle du jeu dans le développement de l’enfant, l’importance de laisser l’enfant jouer, sans intervenir systématiquement, de le laisser ne rien faire précisant qu’en « réalité, l’enfant ne fait jamais rien, il rêve, il observe ». « Il faut le laisser s’ennuyer et trouver par lui-même les moyens de s’en sortir », affirme-t-il encore.
On observe en effet trop souvent, chez les plus jeunes, des symptômes d’anxiété, des états dépressifs et même des burn-out, alerte le psychothérapeute Tihamer Wertz qui déplore le surinvestissement et la rentabilisation que font les adultes du temps des enfants, en période scolaire comme pendant les vacances. Il nous interpelle sur les dégâts que cette attitude peut engendrer :
« Au début, tout va bien. Tels des éponges, avides d’expériences et de découvertes, les enfants prennent, apprennent et parfois même, en redemandent. Et puis, subrepticement, ils plafonnent puis régressent un peu ». Dans le meilleur des cas, « cela se limite à un gros coup de fatigue. D’autres fois c’est beaucoup plus sévère (…) ».
Terrains d’aventure et liberté de paresser
Il oppose à cette sollicitation outrancière l’expérience qu’il a vécue lorsqu’il dirigeait un terrain d’aventure à Liège, en Belgique,
« lieu de vie et de développement de soi, espace d’apprentissage et d’expérimentation du vivre-ensemble sur lequel le jeune peut agir. (Où) les règles de vie sont définies simplement par la notion de respect (et dont) le principe de base repose sur (…) un accès libre et gratuit et la liberté de ne rien faire ! ».
Les animateurs, « à disposition des envies et des projets » des enfants, « (y) font (avant tout) des choses qui leur plaisent, dans lesquelles les enfants qui le souhaitent peuvent à tout moment entrer ou non ». Adultes et enfants évoluent dans un univers de recyclage, « la plupart des activités (étant) basées sur le réemploi et le détournement de ce qui est usagé, obsolète ».
Ce dispositif favorise l’émergence de désirs et l’imagination des moyens de les « mettre en projet ». Il valorise « le temps vécu » et donne à la production une place secondaire. C’est un moyen de former aussi les jeunes « à la citoyenneté, à la responsabilité, à la critique, à l’action et à la solidarité ».
Et Tihamer Wertz souligne lui aussi combien un tel espace de liberté permet à chaque enfant ou jeune de « se réapproprier ce qu’il capte autour de lui ou qu’on lui apprend (…), d’expérimenter sa capacité à transformer tout en prenant la mesure de ses ressources et capacités créatrices (et d’accéder) à la confiance en soi ».
Une balade ou même un dé pour ralentir
Il est question ici d’épanouissement et de construction de soi harmonieuse que pourra encourager l’expérience d’une balade au ralenti que nous proposent, comme un défi, les auteurs du site Bubblemag, consacré au monde de l’enfance et au « métier » de parent. Un bonne façon de nous recentrer sur le présent, dans lequel les enfants savent si bien s’inscrire. Il faudra commencer par prendre le temps de se préparer à sortir, en se calant sur le rythme de l’enfant, et observer le monde à travers son regard, se tenant à l’écoute de ses interrogations et de ses attentes telles celles exprimées par le jeune Gary sur le site les Petits Citoyens :
« ce qui me rend heureux en ce moment, c’est que je vais pouvoir commencer à me balader dans la nature et apprendre des nouveaux noms de plantes », se réjouit-il.
La petite Marianne y déclare à son tour : « ce qui me rend heureuse dans la vie, c’est quand je joue avec mes amis ».
Jouer, se balader, flâner, prendre le temps, laisser du temps pour contrer une anxiété liée à un mode de vie trépidant régi par une exigence de performance.
La psychologue québécoise Danie Baulieu nous propose ainsi un petit exercice, à travers une courte vidéo : il s’agit d’introduire un dé dans notre quotidien qui nous rappellera la nécessité de nous laisser des chances pour réussir une activité quelle qu’elle soit. Tout comme il sera peu probable que nous tombions sur un « 5 » en un seul coup, plusieurs essais seront nécessaires, la plupart du temps, pour mener à bien un projet, une action, un travail. Lancer le dé permettra alors à chacun de retrouver confiance en soi, comme dans les autres, et encouragera l’enfant à faire preuve de persévérance.
Flâneries « technologiques »
Et si vous souhaitez mêler jeu, balades, découvertes et technologie, avez-vous pensé au geocaching ?
C’est ce type de course au trésor revisitée, version collaborative, que nous propose l’association bretonne Bande de Breizh dès le 12 juin 2015 à l’occasion des 25 ans des Côtes d’Armor. Une découverte des plus beaux sites du département « à travers un grand jeu d’aventure grandeur nature » autour d’énigmes à résoudre et qui repose sur deux outils : un carnet de route téléchargeable et un site Web sur lequel il sera possible de jouer en ligne, de suivre ses avancées et d’échanger avec les autres joueurs dans le cadre d’un forum.
Le geocaching est arrivé en France il y a une dizaine d’années et de nombreux offices de tourisme y ont trouvé l’opportunité de faire découvrir et de promouvoir leur région. On compterait en France plus de 100 000 « caches » à découvrir et plus de deux millions à travers le monde. C’est une activité que l’on peut pratiquer en famille et qui s’adresse à toutes les générations. On pourra même partager ses aventures sur le site geocaching.com
L’animateur de l’espace public numérique du village corse de Penta-Di-Casinca a réalisé, en février 2013, un diaporama à destination des enfants du centre de loisirs pour les initier au geocaching : une présentation claire et succincte qui en explique le principe, détaille la démarche à suivre et rappelle le vocabulaire associé à cette activité.
Et ceux qui souhaitent allier geocaching et écologie pourront se rendre sur ecocaching.org.
Alors, équipés ou non de nos petits appareils technologiques, musardons, flânons sans but précis mais jamais vraiment pour rien !
Illustration : 110graf, Voilà
Références :
"Développement de l'enfant : pourquoi ont-ils absolument besoin de temps libre ?", propos d'Etty Buzyn recueillis par Delphine Soury pour le magazine Toupie, familiscope, vosquestionsdeparents.fr,
http://www.vosquestionsdeparents.fr/dossier/853/developpement-de-lenfant-laissez-leur-du-temps-libre
"Le jeu ne se limite pas au jouet", entretien avec Jean Epstein, Réseau enfance parents professionnels,
http://documentation.reseau-enfance.com/spip.php?article287
"Mon enfant a-t-il le droit de ne rien faire ?", entretien avec Tihamer Wertz,
http://www.femininbio.com/sante-bien-etre/actualites-nouveautes/laisser-temps-libre-a-enfant-71359
Terrain d'aventure du Péri, orientation du projet,
http://www.taduperi.be/orientation-du-projet/
"Défi : une sortie au ralenti", Bubble le mag,
http://www.bubblemag.fr/defi-une-sortie-au-ralenti/
"Qu'est-ce qui te rend heureux ?", la discut'minute, les Petits Citoyens, l'espace média des 7-11 ans,
http://lespetitscitoyens.com/laminute/quest-ce-qui-te-rend-heureux/
"Apprendre à un enfant à se laisser le temps de réussir", vidéo de Danie Baulieu, Bubble le mag,
http://www.bubblemag.fr/apprendre-a-un-enfant-a-se-laisser-le-temps-de-reussir/
Historique du geocaching, France Geocaching,
http://france-geocaching.fr/articles.php?lng=fr&pg=6#.VVxH9_ntmko
"Trouvez la Stèle", chasse au trésor dans les Côtes d'Armor,
http://www.chasses-au-tresor.com/chasses/trouvez-la-stele-cotes-darmor.html
"Le geocaching expliqué aux enfants", diaporama,
http://fr.slideshare.net/m4rylin/le-gocaching-expliqu-aux-enfants
Le geocaching au service du développement durable, ecocaching.org,
http://www.ecocaching.org/
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