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Publié le 24 février 2015 Mis à jour le 24 février 2015

Créativité : ordre ou désordre, faut-il choisir ?

Classer : libérer ou entraver la créativité ?

Supermarchés, magasins de bricolage ou boutique spécialisée dans le matériel pour les Beaux-Arts ou les loisirs créatifs ne sont pas avares de propositions et de supports de rangement en tout genre. Boîtes en plastiques ou métalliques, cubes en bois à multiples tiroirs, trieurs en carton, boîtes à fourre-tout escamotables, de toutes les formes, matières et couleurs, nous font de l’œil et tentent de répondre à un besoin de mise en ordre de notre univers quotidien.

Tandis que les magazines d’aménagement et de décoration (tout comme les sites Web dédiés à ce même sujet) regorgent de conseils qui visent à faciliter notre vie. On nous y apprend à rentabiliser l’espace, aussi étroit soit-il. On nous y assure qu’il faut organiser notre environnement, voire le simplifier, l’épurer et le vider pour mieux nous y épanouir, nous y réaliser et donner libre cours à notre esprit créatif.

Influence de l’ordre et du désordre sur nos comportements

Mais justement des recherches ont montré que trop d’ordre bride la créativité et qu’un bureau désordonné ouvrirait à plus de fantaisie et de capacité créative. C’est ce que souligne Stanislas Kraland dans un article, publié sur le HuffPost. Il y fait référence aux travaux de la psychologue Kathleen Vohs qui a communiqué en août 2013, dans la revue Psychological Science, les résultats d’expériences conduites dans des pièces (ou bureaux) ordonnées ou au contraire en désordre. Si, selon certaines études, «  un environnement propre tend effectivement à stimuler un comportement bon pour les autres mais aussi pour nous », l’analyse des résultats de cette série de courts tests laisse entrevoir les bénéfices que l’on peut tirer d’un bureau mal rangé, qui encourage une pensée créative et l’émergence de nouvelles idées.

Et si classer, en essayant d’organiser la créativité, contrariait finalement cette dernière ?

Il arrive ainsi qu’à trop exiger d’ordre, on décourage les aventures (formatrices et structurantes) que suscite l’imaginaire de nos chérubins, lui-même entretenu par les rencontres hasardeuses qui ne peuvent survenir que dans un univers hétéroclite et de préférence encombré. Et il peut même advenir qu’une chambre d’enfant trop ordonnée, où chaque jeu et chaque jouet ont trouvé une place définie, finisse par se transformer en musée, dans lequel aucune scène de bataille apocalyptique, entre petits soldats et ptérodactyle, n’aura jamais lieu.

C’est à cela que nous pousse à réfléchir le psychiatre Alberto Eiguer dans son interview pour le journal La Croix. Pour lui, « un léger désordre peut être source d’une créativité vivante, car il laisse la place au hasard, à la surprise ». Il nous rappelle que « l’ordre correspond à un besoin de maîtrise », à travers lequel « s’expriment certaines tensions préexistantes dans la famille ». Et il ajoute que « même si l’ordre est valorisé dans la société, il ne faut pas oublier qu’il peut être excessif ». Le matériel de rangement « isole chaque chose ». « Ceci traduit une peur du mélange qui existe aussi dans les têtes. Trop d’ordre est par ailleurs inefficace, car l’excès d’ordre paralyse le fonctionnement des gens qui ne peuvent plus se servir des objets. »

Si le rôle des musées est bien de nous présenter, dans un ordre bien réfléchi, des œuvres, des ouvrages et des traces témoignant de la créativité de l’homme, tenter d’organiser la créativité « en mouvement », ne serait-ce pas la priver d’inattendu, d’imprévisible, de découvertes et même de rencontres fortuites promptes à la développer et à l’amplifier ?

Franchir les frontières

C’est justement en dépassant les classements et en brisant les cloisons, que l’on s’empresse souvent de dresser entre des domaines apparemment étrangers, que l’on suscite l’émergence d’entreprises insolites. Et quand la science rencontre l’art culinaire, scientifiques et cuisiniers font naître les projets les plus surprenants et, dans une synergie positive et prolifique, expriment pleinement leur potentiel créatif.

C’est ainsi qu’on peut lire sur le site Animafac, réseau national des associations étudiantes dont le siège est situé à Paris, que « l’université Paris-Sud abrite depuis novembre 2012 le Centre français d’innovation culinaire ». Ce centre est « né de la volonté de Raphaël Haumont (chercheur issu de la faculté des sciences) et Thierry Marx (chef étoilé et apôtre de la cuisine moléculaire) ». Mêlant expérimentation et passion, arts de la table et science, au nom de la pédagogie, «  arguant que la gastronomie est un très bon moyen d’aborder des notions scientifiques, ils organisent des conférences, des ateliers ainsi que des démonstrations destinés aux étudiants et au grand public ».  

Déjà en 2008, Thierry Marx s’était associé au scientifique Jérôme Bibette et « de cette collaboration art/science (étaient) nées de nouvelles sensations », lit-on sur le document de présentation, consacré à l’exposition « Dans la Sphère de Thierry Marx et autre invention culinaire» organisée en 2008 au Laboratoire à Paris, « centre d'expérimentation artistique et de design au cœur de Paris (qui) invite le public parisien et international à découvrir la création culturelle aux frontières de la science ».  Associant leurs expériences et leurs savoirs, c’est en tentant de répondre à des questions aussi singulières que : « Comment créer des billes dont l’enveloppe est aussi légère qu’une bulle de savon et dont l’explosion en bouche révèle toute la saveur unique d’un aliment ou d’un plat ? », que les deux créateurs et chercheurs ont manifesté toute leur inventivité.

Mais si classer permettait aussi d'assister la créativité ?

Il est vrai que de nombreuses techniques, qui visent à développer la créativité, procèdent du classement. Ainsi par exemple la check-list, pratique découlant du brainstorming, propose de soutenir la réflexion ou la résolution d’un problème concret (tel que l’amélioration d’un produit ou la création d’un nouvel objet) en soumettant les participants à une liste de questions. En 1971, Robert F. Eberle, pour un usage scolaire, les rangea en 7 catégories rassemblées sous le sigle SCAMPER  (Substituer, Combiner, Adapter, Modifier, Proposer des utilisations nouvelles, Eliminer, Réarranger).

Au-delà des méthodes, on trouve aujourd’hui dans le domaine numérique des outils, intéressants et variés, qui font appel au classement et qui peuvent soutenir notre créativité. 

Les Mind Map ou cartes heuristiques sont des outils d’organisation de la pensée. Ce concept, que certains font remonter à Aristote, a été développé dans les années 70 par le psychologue anglais Tony Buzan. De nos jours les applications, en ligne ou hors ligne, qui nous permettent de réaliser ces schémas sont multiples. La carte mentale est « un outil de créativité hautement structuré (qui) permet d’organiser intuitivement les informations et de les partager » écrit la psychopédagogue Laëtitia Carlier, dans un document que l’on trouvera sur le site de l’inspection de l’éducation nationale de Montpellier.

On peut rappeler ici l’existence d’outils comme Evernote qui, lit-on sur le site dédié, classe documents, textes et images, permet de retrouver tout rapidement,… Outil aux fonctions multiples, « de vos inspirations à la version finale de vos projets, Evernote est l’allié de votre travail », nous assure-t-on sur la page de téléchargement. 

Il n’est qu’un exemple parmi de nombreux « concurrents » qui tentent de s’imposer comme les outils incontournables des créateurs connectés et nomades.

Plus spécifiques, des applications comme yWriter ou Scrivener proposent aux écrivains un soutien dans leur organisation rédactionnelle. Comme l’explique Pénélope Chester sur son blog, yWriter permet de classer et d‘organiser le récit en chapitres et scènes, des sections sont consacrées aux personnages (ou aux lieux) et à leurs fiches descriptives, on peut y insérer des images, des commentaires, des liens, pour construire un univers cohérent et structuré.

 

Aussi, tout comme nos petites boîtes sont bien pratiques quand il s’agit de nous aménager un espace de création serein, où la vue d’un trop grand encombrement ne distrait pas l’attention d’une personne plutôt ordonnée de nature, le recours à des méthodes ou des outils peut être parfois utile.

Tout est sans doute question de tempérament, quand pour certains le désordre suscite les plus grandes idées, pour d’autres un peu ou même beaucoup d’ordre (et de classement) sera le bienvenu ! 

À moins qu’un savant mélange d’ordre et de désordre soit la « formule » idéale…à trouver ?

 

Pour aller plus loin, on peut lire « développer la créativité à l’école », où Guy Aznar écrit :

« L’objectif de l’éducation c’est de lui apprendre à penser, à raisonner. Il s’agit de clarifier, d’ordonner, d’apprendre à intégrer des normes, des règles. L’école, globalement a pour vocation de "créer de l’ordre" (…) Or, l’une des phases du processus de la créativité consiste à remettre en cause l’ordre, à détruire les enchaînements logiques, à favoriser une indiscipline de la pensée… »

Illustration : Jef Safi, Flickr, licence CC

Références :

« Tidy desk or messy desk ? Each has its benefits”, Association for Psychological Science
http://www.psychologicalscience.org/index.php/news/releases/tidy-desk-or-messy-desk-each-has-its-benefits.html

« Ranger son bureau ou être plus créatif, il faut choisir », Stanislas Kraland, huffingtonpost.fr
http://www.huffingtonpost.fr/2013/08/08/ranger-son-bureau-creatif_n_3712703.html

« Un léger désordre peut être source de créativité », Alberto Eiguer
http://www.la-croix.com/Famille/Parents-Enfants/Dossiers/Alberto-Eiguer-Un-leger-desordre-peut-etre-source-de-creativite-2014-12-10-1277824

Le laboratoire, centre d’expérimentation artistique et de design au cœur de Paris
http://www.lelaboratoire.org/

« Dans la Sphère de Thierry Marx … et autre invention culinaire », dossier de presse
http://www.lelaboratoire.org/images/archives/archives-4/thierry-marx-dossier-presse.pdf

Centre d’innovation culinaire, Paris-Sud,
http://www.animafac.net/blog/un-centre-d-innovation-culinaire-a-l-universite-paris-sud/

« Carte mentale, outil pédagogique », Laëtitia Carlier
http://ien-montpellier-nord.ac-montpellier.fr/IMG/pdf/La_carte_mentale_outil_pedagogique.pdf

« Cartes mentales : quel logiciel utiliser ? », Tilékol, enseigner, apprendre, partager (sans s’ennuyer)
http://www.tilekol.org/cartes-mentales-quel-logiciel-utiliser

Présentation de Scrivener par François Magnan
http://www.francoismagnan.info/?p=784

« yWriter pour vous aider à écrire votre roman », Thot Cursus
http://cursus.edu/institutions-formations-ressources/technologie/23833/ywriter-pour-vous-aider-ecrire-votre/#.VONUHfmG8Wl

Les mots de Pénélope Chester, présentation de yWriter
http://lesmotsdepenelopechester.over-blog.com/article-ywriter-82074375.html

« Développer la créativité à l’école », Guy Aznar
http://www.creativite-conseils.com/index.php?name=News&file=article&sid=52


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